Intervention de Renaud Donnedieu de Vabres

Réunion du 4 décembre 2004 à 9h30
Loi de finances pour 2005 — Culture

Renaud Donnedieu de Vabres, ministre :

Madame la présidente, je veux tout d'abord vous rassurer, si je réponds un peu longuement aux questions des rapporteurs, je serai plus bref dans les réponses que j'apporterai aux orateurs. Je souhaite expliquer l'environnement auquel se réfère chaque question.

Messieurs les rapporteurs pour avis, je vous remercie, en écho à la réponse que je viens de faire à M. le rapporteur spécial, d'avoir souligné combien le budget de mon ministère témoigne de la volonté du Gouvernement de conserver à l'action culturelle de l'Etat son caractère prioritaire.

A ceux d'entre vous qui participent régulièrement aux débats forains de la culture - et ils sont nombreux dans la période actuelle ! -, je tiens à exprimer ma gratitude parce que ce n'est pas l'Etat seul, ou le Gouvernement seul, qui peut agir pour dénouer certaines difficultés.

J'ai été particulièrement sensible à ce que vous ayez perçu le souci d'équilibre de ce budget, qui constitue l'instrument d'une politique culturelle équilibrée, entre patrimoine et création, entre Paris et les régions, entre les investissements et les interventions.

Mon ministère est un ministère régalien, mais c'est aussi un ministère partenaire. Et pour être un partenaire solide, il faut pouvoir fonder son action sur des crédits d'Etat qui sont sanctuarisés, c'est-à-dire qui ne font pas l'objet d'annulation en cours de gestion, ce qui a bien été le cas au cours de l'exercice 2004, grâce aux décisions de M. le Premier ministre.

Il existe un grand nombre de projets communs à l'Etat et aux collectivités territoriales qu'il nous appartient de mener à bien, dans le souci majeur de l'aménagement et du développement de nos territoires.

Je suis heureux de vous confirmer que, cette année, les crédits d'investissement du budget de mon ministère se répartissent à peu près à parité entre Paris - 52% - et les régions -48%. Cette législature marque un rééquilibrage par rapport à la législature précédente. En moyenne, entre 1997 et 2001, 62% des crédits d'investissements étaient consacrés à Paris contre 38% pour les régions.

Ce budget, vous l'avez relevé, monsieur Nachbar, porte des efforts particuliers en faveur du patrimoine et de la relance de la commande publique. Le patrimoine, ce sont bien sûr nos musées, nos monuments, les « vieilles pierres », auxquels nous sommes très attachés ; j'y reviendrai dans un instant.

Mais notre patrimoine n'est pas fait que de pierres, si belles et si vénérables soient-elles. Notre patrimoine n'est pas seulement monumental, avec d'ailleurs la diversité que sous-tend ce terme. La façade authentique d'un café dans une commune rurale peut avoir autant de valeur, par rapport à nos racines et à notre histoire, que certains monuments très emblématiques.

Le patrimoine est aussi fait de toute notre histoire et de la richesse de nos répertoires, dans toutes les disciplines, du cinéma au spectacle vivant et jusqu'aux créations les plus contemporaines, qui participent, avec le dynamisme de nos créateurs, au rayonnement de notre pays, à notre identité, à notre fierté.

Nous sommes ici au coeur de l'alliance entre le patrimoine et la création, sur laquelle repose la politique culturelle. Il s'agit pour moi d'un seul et même combat. C'est pourquoi je considère qu'il est aussi important de replacer durablement, au-delà de la sortie de crise, les artistes et tous ceux qui font le spectacle vivant au coeur de la cité, que d'accorder à nos monuments toute l'attention qu'ils méritent.

Je n'oppose pas les artistes à la défense de notre patrimoine : c'est le juste équilibre dans l'attention portée aux uns et aux autres qui permettra une politique culturelle réussie.

Avec les artistes et les techniciens, avec tous les acteurs de ce secteur majeur de notre rayonnement, en particulier les élus, et en m'appuyant bien sûr sur les propositions et sur l'analyse que le Sénat, par la voix de sa commission des affaires culturelles, a formulées, j'essaie de construire une politique de la culture fondée sur cette conviction profondément humaniste déjà exprimée par Malraux : « La culture ne s'hérite pas, elle se conquiert. » C'est pourquoi, au-delà de la présente discussion, je compte sur votre engagement dans le débat sur le spectacle vivant que nous conduirons prochainement ici même.

Monsieur le rapporteur pour avis, vous m'avez interrogé sur le patrimoine.

Vous avez raison, l'augmentation des crédits de paiement concerne principalement le titre V, car elle a pour objet de répondre à l'engagement des autorisations de programme qui ont été consommées. Cette année, en dehors de la loi de finances rectificative, le taux de consommation des crédits de paiement sera de 100 %, comme pour le titre IV. En revanche, il restera des autorisations de programme, car toutes n'ont pas été engagées afin de ne pas créer ce que l'on pourrait appeler une « crise des crédits de paiement ».

Il est vrai que, dans les années à venir, avec la délégation de la maîtrise d'ouvrage aux collectivités locales ou aux partenaires privés, les crédits relèveront du titre VI. Mais ce ne sera effectif qu'à partir de 2006. Or, vous le savez, l'application pleine et entière de la LOLF dès l'année prochaine résoudra, j'allais dire « naturellement », les problèmes de cloisonnement que vous évoquiez. La distinction entre ces deux types de crédits n'aura plus de sens, ce qui, évidemment, représentera un progrès pour leur gestion.

Saurai-je pour autant faire face à toutes les demandes et répondre à toutes les sollicitations qui me sont adressées chaque fois que je viens à l'Assemblée nationale ou au Sénat ? Je dois reconnaître devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'il faudra parfois avoir le sens de l'étalement dans le temps ! (Sourires.)

Il est vrai que l'augmentation des engagements des autorisations de programme en 2005, comme déjà en 2003 et en 2004, va nécessairement conduire à l'augmentation globale des crédits de paiement. D'ailleurs, monsieur le rapporteur pour avis, dans votre propre estimation des dépenses nécessaires pour le patrimoine vous étiez à 1 milliard d'euros près, puisque vous les avez chiffrées à 5 ou 6 milliards d'euros...

Je vois bien toutes les autres demandes qui s'expriment, notamment, et de manière croissante, de la part des territoires pour la création ou la rénovation de grands équipements culturels structurants.

Vous avez évoqué l'enseignement artistique, priorité forte pour 2005. Le ministre de l'éducation nationale et de la recherche et moi-même préparons pour le courant du mois de janvier une communication en conseil des ministres sur ce sujet. Vous comprendrez aisément que la présentation de ce plan d'action ait été légèrement différée du fait de la mobilisation de l'ensemble du ministère de l'éducation nationale pour l'élaboration du projet de loi d'orientation sur l'école, texte qui ne renie pas la place de l'enseignement artistique et que, j'espère, vous soutiendrez lorsqu'il viendra en discussion devant vous.

On constate d'ailleurs que le ministère de la culture et de la communication, d'une part, et le ministère de l'éducation nationale, d'autre part, sont fortement imbriqués, comme l'examen cet après-midi des crédits consacrés à la communication l'illustrera encore une fois : je pense notamment aux actions de pédagogie au sujet de la presse écrite que nous devons mener auprès des plus jeunes de nos concitoyens.

Attachant une très grande importance aux enseignements artistiques, j'ai demandé aux DRAC d'en faire une priorité dans leurs budgets pour 2005. Avant même la communication en conseil des ministres que je viens de mentionner, François Fillon et moi-même organiserons une réunion conjointe des recteurs et des directeurs régionaux des affaires culturelles afin de les sensibiliser à la question et de les encourager à travailler dans une collaboration la plus étroite possible, car ce n'est pas toujours le cas actuellement. De ce point de vue, c'est vrai, il y a certainement des progrès à faire !

Vous avez évoqué, monsieur le rapporteur pour avis, la commande publique et les acquisitions. Parce qu'elle se situe au coeur de l'alliance entre création et patrimoine, qui constitue le terrain d'action de ce ministère, je souhaite donner un nouvel élan à la commande publique ; tout en dégageant des moyens pour les crédits d'acquisitions. C'est là un axe important de ma politique.

J'ai donc décidé symboliquement que les crédits concernés, même s'ils peuvent paraître modestes, seront sanctuarisés : on ne pourra plus dire qu'ils sont sacrifiés et servent en cours de gestion de variable d'ajustement aux besoins parfois constatés dans d'autres secteurs du ministère.

La relance de la commande publique doit également s'accompagner de mesures pour permettre d'exposer les chefs-d'oeuvre que l'on ne voit plus. Pour cette raison, j'ai décidé de restaurer rapidement la galerie Formigé, à la Manufacture nationale des Gobelins, ce qui permettra au Mobilier national d'exposer ses acquisitions et ses oeuvres ; car il possède non seulement des trésors du Moyen Age, de la Renaissance ou des XVIIIe, XIXe, voire XXe siècles, mais aussi des créations ultracontemporaines. L'ensemble de ces pièces mérite d'être exposé.

Monsieur Lagauche, j'attache comme vous une grande importance aux questions de droits d'auteur, mais je ne suis pas moins attentif aux équilibres économiques du secteur du cinéma et, plus généralement, de l'industrie culturelle.

La lutte contre la contrefaçon numérique est évidemment au coeur de mes préoccupations. Le sujet n'est pas facile et exige que nous nous montrions pédagogues à l'égard de nos concitoyens.

Mesdames, messieurs les sénateurs, en politique, la sémantique est importante ; j'en appelle donc à votre sagesse proverbiale pour me suggérer une expression meilleure que celle de « piraterie », qui, pour les plus jeunes de nos concitoyens, jouit d'un coefficient de sympathie bien mal venu et renvoie à un imaginaire par trop fécond. Si nous voulons montrer que nous n'avons pas d'autre objectif que le respect de la diversité de la création, de la situation des artistes et des auteurs dans notre pays, il nous faut, là aussi, faire preuve d'imagination.

Par les pertes financières qu'elle implique, la contrefaçon numérique affecte la rentabilité de l'industrie cinématographique et pourrait, à terme, altérer nos capacités de création artistique, et donc notre diversité culturelle. Certes, la France est solide en la matière et peut sans doute résister plus facilement que d'autres pays dont l'activité culturelle, artistique, cinématographique ou musicale est beaucoup plus faible. Mais, si nous n'y prenions garde et si nous laissions faire, tous les acteurs seraient perdants et la diversité culturelle et artistique dans le monde ne serait plus qu'un leurre.

Pour éviter cet équilibre du pire, le ministère de la culture et de la communication a développé une politique de lutte active contre toutes les formes de piraterie, politique qui s'appuie sur deux axes essentiels : sur la communication et la pédagogie auprès des publics, en particulier des publics jeunes, et, par delà, sur la légitime et structurante action de répression.

Le rôle du ministère de la culture est d'encourager, de faciliter la « nouvelle alliance » que les fournisseurs d'accès et les professionnels du cinéma cherchent à sceller autour d'intérêts convergents. On ne me fera jamais dire que je suis contre l'accès à la musique et au cinéma grâce à Internet : je suis simplement obligé de mettre en garde contre le principe de gratuité tous azimuts, parce que son application risque de réduire à néant la juste rémunération des talents. Je souhaite que les négociations en cours aujourd'hui pour la musique comme pour le cinéma aboutissent.

L'enjeu est clair : il s'agit évidemment d'utiliser les potentialités des réseaux à haut débit et d'encourager le développement d'un ensemble d'offres légales.

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