Intervention de Jack Ralite

Réunion du 4 décembre 2004 à 9h30
Loi de finances pour 2005 — Culture

Photo de Jack RaliteJack Ralite :

Le projet de convention de l'UNESCO sur la diversité culturelle peut être appréhendé de deux façons.

La première est positive : pour la première fois, une norme culturelle est introduite pour régler les échanges internationaux. C'est la théorie du grain de sable qui vient troubler la machine bien huilée de l'OMC et des accords de commerce internationaux.

Pour la première fois, la culture est abordée sous l'angle du contenu et pas seulement du support. Les partisans du projet de l'UNESCO ont raison de noter que le texte porte sur la promotion de la diversité culturelle et des contenus culturels, et qu'il ne s'inscrit pas seulement dans une démarche défensive par rapport au commerce, à qui est ainsi opposée une notion riche de contenu.

Mais il y a une autre façon de comprendre le texte de l'UNESCO.

Il y a eu l'opposition nette et active contre le GATT, puis contre l'AMI. Dans les deux cas, la détermination et l'inflexibilité l'ont emporté : c'était l'invention et la mise en acte de l'exception culturelle.

Par principe, la culture se situe au-delà des questions de commerce, qu'elle surclasse. Or ce qui me gêne dans le texte de l'UNESCO, c'est la faiblesse de la détermination et l'absence de sanction.

L'article pivot de la convention, l'article 19, qui réglera ces rapports dans le droit international, comporte deux versions.

La première version, soutenue par les Etats-Unis, est évidemment à rejeter, car la convention y est considérée comme moins forte que tous les autres traités internationaux. C'est la variante « B ».

A Beaune, aux rencontres cinématographiques de l'ARP - la société civile des auteurs-réalisateurs-producteurs -, auxquelles vous avez participé, monsieur le ministre, le successeur de Jack Valenti, Dan Glickman, a évoqué la question et s'est montré ouvert, tout en ajoutant néanmoins, ce qui est révélateur, que cela ne devait pas permettre un retour au protectionnisme.

Je suis toujours scandalisé quand j'entends un américain qui a de grandes responsabilités prononcer de tels propos ! Ce soupçon de protectionnisme est tout de même un peu fort venant d'un pays où l'ensemble des cinématographies mondiales ne représente que 3 % de la diffusion cinématographique !

En outre, dans le groupe d'experts de l'UNESCO nommés par le directeur général de cette institution, se trouve un professeur d'économie à l'université George Mason de Virginie, Tyler Cowen, qui a notamment déclaré : « Plusieurs pays, et plus spécialement la France, aimeraient que l'UNESCO ait le pouvoir de renverser les engagements de libre-échange pris dans le cadre de l'OMC et de l'Union européenne. »

Après cette première version, particulièrement instructive, la deuxième version de l'article 19 est la variante « A », qui est considérée comme positive par certains partisans de la diversité culturelle. Pourtant, le partisan que je suis en la matière regrette la faiblesse d'une variante selon laquelle la convention est moins forte que tous les autres traités sauf, et l'ajout est d'importance, si la diversité culturelle est sérieusement menacée.

A priori, donc, la culture est moins importante que le commerce, sauf si la preuve d'un danger est apportée. Or, qui apportera la preuve, par quelle procédure, et avec quelle sanction ? Il s'agit donc d'un recul par rapport à l'exception culturelle.

Ceux qui approuveraient cette variante telle quelle mériteraient l'appréciation de René Char, qui, non pas en tant que poète, mais en tant que Résistant, s'exprimait ainsi : « Méfiez-vous de ceux qui se déclarent satisfaits, parce qu'ils pactisent ».

Heureusement, l'Union européenne, qui a commenté ce texte, considère qu'aucune de ces variantes n'est satisfaisante : s'appuyant sur l'article 151 du traité sur l'Union européenne, selon lequel elle tient compte des aspects culturels dans son action, l'Union considère ne pas pouvoir accepter que les autres traités internationaux prévalent sur la convention de l'UNESCO sur la diversité culturelle.

Malheureusement, cette position de l'Europe reste ambiguë, car elle spécifie que, à l'inverse, la convention de l'UNESCO ne devrait pas non plus prévaloir sur les droits et les obligations découlant d'autres accords internationaux. Il faut donc, toujours selon l'Europe, que la convention et les autres instruments internationaux se renforcent mutuellement et ne se nuisent pas.

En fait, l'Union européenne tergiverse, et je ne suis pas de ces optimistes à courte vue qui font valoir que cette indéfinition même est un succès !

Monsieur le ministre, quelles propositions faites-vous, qui ne permettront pas au commerce de « pirater » ou de « corsairiser » - je vous laisse le choix du terme ! - l'avancée réelle que constitue l'irruption de la culture dans le droit international ? C'est une tâche extraordinairement difficile, mais, pour la culture, il n'y a pas d'autre chemin que la réussite.

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