Intervention de Marie-Christine Blandin

Réunion du 4 décembre 2004 à 9h30
Loi de finances pour 2005 — Culture

Photo de Marie-Christine BlandinMarie-Christine Blandin :

Monsieur le ministre, c'est de démocratie que je souhaite vous parler.

Dans un monde qui voit tomber, une à une, ses certitudes, dans un monde où la rapidité médiatique affiche, dans chaque maison, le spectacle de toutes les décompositions et de toutes les violences, dans un monde qui fait toucher du doigt la fragilité de chacun face aux crocs du libéralisme débridé, nous avons plus que jamais besoin de démocratie pour élaborer les choix publics.

La culture est au coeur de ces enjeux humanistes et sociétaux, en ce qu'elle donne à voir ce qui fut, ce qui est et ce qui peut être.

En la rendant elle-même victime de critères absurdes de rentabilité, en touchant à la protection sociale de ses acteurs, en livrant artistes et techniciens au soupçon et à la calomnie, certains ministres - dont vous n'êtes pas - ont, hier, flirté avec le populisme.

En répandant des chiffres faux, empruntés à on ne sait quel fantasme, les acteurs de l'UNEDIC et du MEDEF, si prompts à réclamer des subventions publiques pour n'importe quoi - le chewing-gum en tube, le désodorisant cancérigène, ou le colloque sur le « moins d'impôts » -, ont failli rendre crédible l'urgence de rompre avec l'intermittence.

Dans un contexte difficile pour de nombreuses structures, et en l'absence d'un cadre ambitieux et rénové pour le financement, on assistait à un étranglement du secteur culturel qui n'avait rien à envier au massacre des laboratoires de recherche.

Une mobilisation exemplaire, aux actions parfois cruelles pour eux-mêmes, a permis aux artistes, aux techniciens et aux réalisateurs d'exiger la vérité, et d'enrayer partiellement la destruction du cadre qui leur permet de travailler et de vivre de la production culturelle que le public attend.

Aujourd'hui, presque un électeur sur deux ne croit plus en la politique et ne se dérange même plus pour voter et choisir ceux qui pilotent les choix publics.

Monsieur le ministre, en l'espèce, vous dites que le budget de la culture ne peut être considéré comme un simple supplément d'âme. Au moment où tout le monde se fait rogner les ailes par Bercy, il est vrai que votre ministère a sauvé quelques plumes !

Mais sans moyens neufs, sans perspectives pour les emplois concernés, c'est toute la vie culturelle qui souffre.

Les parlementaires ont pris leurs responsabilités. Un groupe de réflexion, sans clivage artificiel, présidé par Jacques Valade, a rédigé un rapport aux propositions innovantes.

Un comité de suivi, installé par Noël Mamère, animé par Etienne Pinte et assidûment fréquenté par Danièle Pourtaud, Patrick Bloche, Jack Ralite et quelques autres, réunit syndicalistes, coordination, employeurs, réalisateurs, artistes et techniciens. Nous produisons des diagnostics partagés et formulons des demandes communes. Vous avez su entendre les plus urgentes contre des injustices flagrantes et vous avez accepté une expertise indépendante sur les effets du protocole liberticide, comme sur les effets probables de tel ou tel choix à venir.

La qualité du travail de M. Guillot ne doit pas nous faire oublier l'inadmissible : l'UNEDIC ne sait pas ou ne veut pas donner les chiffres exacts qui, selon elle, justifiaient le protocole du 26 juin 2003. En effet, à l'expert mandaté par le ministre à la demande des parlementaires, l'UNEDIC n'a fourni ni le nombre d'entrées et de sorties dans le régime, ni les métiers concernés, ni les recettes des métiers permanents de la culture, ni celles qui proviennent des cotisants non indemnisés !

Gageons que le CNRS, le Centre national de la recherche scientifique, mandaté par les régions, n'aura guère plus de succès !

On pourrait s'attendre à plus de sérieux ou de transparence de la part d'un organisme qui gère les droits de millions de salariés.

Le fonds spécifique est reconduit, tandis que la base de calcul est de nouveau fixée à 507 heures pour douze mois. C'est un point positif, mais la confiance ne sera rétablie que lorsque les ASSEDIC en seront informées et qu'elles mettront en oeuvre cette mesure avec bonne volonté.

Le rapport a le mérite de remettre les choses en place : face à l'image pénalisante d'un déficit de 800 millions d'euros dans le secteur culturel, il y est précisé, pour ceux qui ne mesurent qu'en espèces sonnantes et trébuchantes : « La valeur ajoutée est d'un peu plus de 11 milliards d'euros, soit autant que celle de la construction aéronautique, navale et ferroviaire ». En miroir, les artistes et techniciens, hier « profiteurs » et déconsidérés, s'y révèlent en précarisation, un demi-SMIC étant le lot d'un tiers d'entre eux.

L'emploi culturel, par sa spécificité, ne peut pas s'accommoder de séparations étanches entre activité visible et invisible, entre le temps où l'on donne le savoir-faire et celui où on le reçoit. Il ne peut ni ne doit s'accommoder des critères du MEDEF pour faire vivre, sur tout le territoire, l'épanouissement et l'émancipation de chacun grâce à la rencontre de l'autre.

Quel sera l'agenda ? Croisement des fichiers, débat au Sénat, nouveaux protocoles ou lois ? Quelles perspectives autres que des réparations successives allez-vous donner à l'emploi culturel ? La démocratie a porté ses premiers fruits. Monsieur le ministre, irez-vous jusqu'au bout ?

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