Comment faire pour que cette question ne se pose plus ? La Grande-Bretagne, mais aussi l'Allemagne, la Suède, l'Islande, la Belgique ont eu le courage de faire contribuer les téléspectateurs à un niveau qui est à la hauteur des enjeux de l'audiovisuel. Ces pays ont ainsi substitué à une télévision prédatrice, qui traque le consommateur dans l'individu, une télévision humaniste, qui préfère avertir le téléspectateur plutôt que de seulement le divertir, pour reprendre, en la paraphrasant, une expression de Katerina Stenou, directrice de la division des politiques culturelles et du dialogue interculturel à l'UNESCO.
L'attitude face à la redevance et à son niveau est le critère décisif. La redevance n'est pas un impôt : c'est le paiement d'un service. Il fait partie de ce que l'on pourrait appeler un « actionnariat populaire », qui a fait tout seul, pendant longtemps, nos images et nos sons. Oui, la redevance est un enjeu ! Je l'aurais vue, pour ma part, atteindre 118 euros plus 1, 5 euro ; le Gouvernement, lui, l'a fixée à 116 euros moins 0, 5 euro.
L'un de ces enjeux, dont on ne mesure pas suffisamment l'importance cardinale, c'est la fiction. La télévision a en effet d'abord été saluée comme la possibilité de faire partager à tous les Français des oeuvres de qualité. Cette dimension s'est peu à peu estompée avec la généralisation des émissions de flux, alors que le besoin d'imaginaire est plus que jamais présent et inassouvi. La production de fictions spécialement pour la télévision est l'occasion de créer des oeuvres de grande qualité et de les présenter à des audiences importantes d'emblée. Les fictions télévisuelles sont effectivement parmi les programmes qui réunissent les audiences les plus importantes, répondant sans populisme à l'aspiration d'un large public.
Réunissant des individus isolés autour d'expériences imaginaires et symboliques, les fictions diverses sont au fondement d'une diversité esthétique et imaginaire partagée, chacun et chacune restant soi.
On ne le dit pas assez : plus que l'information, la fiction est partie prenante du lien social.
Je trouve précieux qu'un certain nombre de réalisateurs de télévision viennent de publier un livre, Un film comment, dans lequel ils disent l'alphabet de leur métier, de leurs créations, des innombrables obstacles qu'ils ont à franchir, de leur mêlée avec un grand nombre de téléspectateurs. Soixante-quatorze d'entre eux ont dressé un bilan de l'histoire concrète de leurs réalisations.
A vrai dire, tous ces hommes et ces femmes qui ne renoncent jamais, notamment face aux économies comme méthode de travail, qui protègent dans la vie des mots comme « oeuvre », à ne pas confondre avec un produit de flux ou de circonstance, qui refusent que le terme « intermittent » remplace leur métier si diversifié, des artistes aux techniciens, ne se résignent pas à devoir tourner la page, comme on dit dans les journaux, pour passer de la page « culture » à la page « télévision » : « une forme de ségrégation », selon eux. Ils le font dans la bonne humeur, sans rien cacher de leurs angoisses, mais pour nous les faire partager et les soutenir.
Et si ces skieurs au fond d'un puits, comme dirait Henri Michaux, agissent ainsi, c'est qu'ils n'ont rien à voir avec cette mission que se donne TF 1, qui a tenu le laid propos bien connu maintenant : « rendre les cerveaux disponibles pour la publicité », dont le CSA n'a toujours pas discuté.
Les réalisateurs dignes de ce nom et respectés précisément pour cette dignité ne veulent pas, comme dirait Baudelaire, « s'endormir sur l'oreiller » de l'opinion toute faite.
Il y a, chez l'être humain, un plaisir à sortir de la conjoncture, et les choses visibles débouchent parfois sur le « presque invisible », moins bord secret du visible que parfait aboutissement de la vue, sa floraison. Cela est du bonheur. C'est aussi l'esprit du cadeau de pensée et d'imaginaire que devrait viser France Télévisions.