Intervention de Ivan Renar

Réunion du 4 décembre 2004 à 15h30
Loi de finances pour 2005 — État b

Photo de Ivan RenarIvan Renar :

On peut être un mécréant et respecter un certain nombre de choses !

Monsieur le ministre, je me félicite que vous ayez à coeur de défendre le pluralisme de la presse écrite, et le budget présenté témoigne effectivement de votre engagement sur cet enjeu déterminant pour la démocratie. Toutefois, les mesures prises sont-elles bien à la hauteur des défis auxquels est confrontée aujourd'hui notre société ? Car la crise des quotidiens concerne bien, au-delà de la presse écrite, l'ensemble de nos concitoyens, et en particulier leur droit à une information pluraliste, et non à un nouveau RMI, revenu minimum d'information !

La décision de stabiliser les tarifs postaux, l'effort financier consenti à la presse écrite, en particulier avec la création d'un fonds de modernisation pour la presse quotidienne nationale, sont des mesures importantes dont je ne veux pas diminuer la portée. Renforcer le lectorat et, surtout, améliorer les ventes, cela passe aussi par une sensibilisation des jeunes, comme vous l'avez souligné, tout en facilitant la diffusion de la presse dans les établissements scolaires.

Toutefois, ces mesures ne doivent pas nous exonérer de nous attaquer à la racine du mal qui affecte aujourd'hui la presse écrite : les symptômes ne sont pas la maladie.

Dénoncer les phénoménales concentrations jusqu' alors inédites dans la presse écrite, s'émouvoir de l'uniformisation et de l'aseptisation d'une presse dans les mains d'une poignée de groupes, s'inquiéter du fait que les journaux perdent leur âme en vendant leur indépendance, c'est bien. Mais ce n'est ni suffisant ni efficace. Pourquoi ce qui a été possible il y a soixante ans, dans les pires conditions, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale ne serait pas possible aujourd'hui ? Je fais référence, bien évidemment, au visionnaire programme du Conseil national de la Résistance qui, dans sa grande sagesse, avait pris la précaution de libérer l'information de la toute-puissance des monopoles économiques. Tout démocrate convaincu, quelles que soient sa sensibilité et ses convictions, ne peut accepter de courir le risque que les idées ne parlent plus que d'une seule voix : celle du plus fort, du plus lourd financièrement.

On trouvera peut-être mon analyse excessive. On me répondra que la presse écrite doit aussi s'adapter à un monde en profonde mutation, qu'elle doit faire face aujourd'hui aux terribles concurrents que sont la télévision, Internet et la presse gratuite, et on aura raison. Mais je n'ai pas tort, car il y a là de véritables bombes à retardement. Ces outils sont souvent aux mains des mêmes et des plus puissants dont les objectifs sont convergents : capter le maximum de recettes publicitaires. Je voudrais souligner au passage que les médias dits « gratuits » ne le sont pas. La naïveté serait de croire que dans notre monde la gratuité n'aurait pas de prix. Chacun de nos concitoyens paie au prix fort les dépenses pharaoniques de communication publicitaire incluse dans le tarif des produits qu'il achète en tant que consommateur. Le système est bien rodé et pernicieux puisqu'il se donne les apparences de l'indolore.

Pourtant, les conséquences ne le sont pas. Les implications économiques, sociales, culturelles de cette nouvelle donne médiatique sont redoutables. Non seulement elles mettent en péril la presse écrite et l'emploi dans ce secteur, mais elles fragilisent un pilier indispensable à la bonne santé de la démocratie : le pluralisme de la presse, et donc le pluralisme des idées, des pensées, des opinions comme de la liberté de leur expression et de leur diffusion.

C'est pourquoi, monsieur le ministre, il est urgent de soutenir encore plus résolument les journaux à faibles recettes publicitaires, qui, tant bien que mal, font vivre la démocratie au quotidien. Ne pas renforcer cette aide revient à les condamner à disparaître malgré les combats permanents que ces journaux mènent pour gagner de nouveaux lecteurs. L'intervention des pouvoirs publics pour soutenir la presse, avec des règles de financements publics spécifiques aux journaux quotidiens, est indispensable à leur sauvegarde.

Par ailleurs, si la situation est particulièrement préoccupante, elle n'est pas irrémédiable. C'est pourquoi je plaide pour que soit organisée une conférence nationale, associant tous les acteurs, dans le but d'aboutir à une grande loi nationale s'inspirant de l'esprit des ordonnances de la Libération afin de garantir dans les conditions d'aujourd'hui le pluralisme de la presse écrite et son développement.

Alors que nous baignons dans une forme de présent perpétuel qui pousse à l'amnésie généralisée et flatte l'ignorance et la déculturation, alors que les flux d'informations s'accélèrent et que l'image devient de plus en plus prépondérante, plus que jamais la presse écrite occupe dans le champ des mass media une place déterminante et une fonction irremplaçable. Elle favorise la prise de recul et propose de la perspective par les débats et les réflexions qu'elle suscite.

Ainsi, face au prêt à penser, l'écrit contribue à ce que les citoyens se forgent leur propre opinion. L'information est un bien commun, qu'il convient de ne pas sacrifier aux seules logiques de marché. Et là, je voudrais être assez grave, monsieur le ministre, car, par définition, le marché pousse à la concentration, donc à l'oligopole, voire au monopole.

Le bien commun dont je viens de parler est un élément constitutif de la démocratie. Il est donc évident qu'il faut limiter cette logique du marché, qui résulte tout simplement du traitement de l'information comme une simple marchandise. D'autant que l'article XI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen permet d'intervenir pour défendre le droit à l'information.

Quand des groupes connus, comme Dassault, Bouygues, Hachette, possèdent les grands médias, mais aussi davantage, il est évident que leur poids dans la société, dans le dialogue avec les pouvoirs publics est énorme.

Nous devons y réfléchir, y compris sur le plan européen, car, aujourd'hui, on ne peut pas dissocier la communication du pouvoir politique. C'est un élément structurant. Mais, attention, monsieur le ministre, danger !

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