« Le tout est de tout dire, et je manque de mots et je manque de temps et je manque d'audace... », disait Paul Eluard.
En vérité, mes chers collègues, c'est essentiellement de temps que je manquerai aujourd'hui pour tout dire sur ce budget pour 2005 des anciens combattants et victimes de guerre. Mon intervention sera donc malheureusement un inventaire des principaux points de défense des droits, sur lesquels je vous ferai connaître nos propositions, qui permettraient véritablement un progrès pour nos anciens combattants, leurs veuves, le devoir de mémoire.
Analysons tout d'abord la hausse du budget : 0, 14 %. Ce budget a été arrêté à 3, 394 milliards d'euros. Nous en prenons acte mais nous constatons que ce budget ne fait qu'allouer - enfin ! - les crédits nécessaires pour appliquer en année pleine 2005 les mesures nouvelles votées en 2003 et qui auraient dû s'appliquer pleinement en 2004.
D'ailleurs, le rapporteur pour avis M. Marcel Lesbros a décrit fort joliment ce subterfuge : le Gouvernement a souhaité « corriger certaines évaluations inexactes des budgets précédents ». Mais c'est une réalité et nous connaissons la pertinence des points de vue du rapporteur pour avis.
Pour le dire autrement, c'est ce que j'appelais, l'an dernier, un « budget insincère », un « budget en trompe-l'oeil ». Je rappelle en effet que les annulations de crédits ont porté sur 3, 3 millions d'euros en septembre 2004, ce qui fut la cause, comme l'année précédente, par exemple, de la non-prise en charge en temps voulu des soins gratuits. Les anciens combattants vous en ont d'ailleurs fait le reproche, monsieur le ministre.
Et surtout, pour la première fois, ce budget ne contient aucune mesure nouvelle.
Rien pour la retraite du combattant, malgré vos promesses réitérées depuis plusieurs années, monsieur le ministre !
Le monde combattant réclame une revalorisation de 15 points depuis de très nombreuses années. Je proposerai tout à l'heure par amendement une première étape de 33 à 38 points.
De la même façon, je proposerai une revalorisation du plafond majorable de la rente mutualiste du combattant, pour le porter à 130 points.
Je voudrais évoquer aussi le rapport constant qui nécessite une réforme fondamentale.
Vous affirmez que l'amendement voté par l'Assemblée nationale apparaît comme la solution. Pour avoir rencontré différentes associations d'anciens combattants - c'est ce qui justifiera mon vote contre -, notamment lors d'une étude approfondie avec l'association républicaine des anciens combattants et victimes de guerre, l'ARAC, il semble que ce n'est pas l'amendement que vous avez fait adopter - que vous avez imposé, devrais-je dire - à l'Assemblée nationale qui va résoudre le problème de fond et rattraper les retards. Cet amendement ne porte que sur la clarté du processus actuel, et non sur le rattrapage des 41 % de retard de la valeur du point PMI, et encore moins sur le mécanisme fondamental du rapport constant.
Monsieur le ministre, il faut d'urgence réunir - peut-être pour la dernière fois - les élus et le mouvement ancien combattant et mettre en oeuvre une véritable concertation afin de trouver la solution à ce problème, car un certain nombre d'entre eux ne souscrivent pas à la solution proposée.
De même, il faut revenir à la concertation d'urgence pour mettre en place un véritable processus de soins et de réparation des psychotraumatismes de guerre.
J'en viens aux orphelins dont les parents ont été victimes de la barbarie nazie.
Du fait de ses références au code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, le décret n'est pas clair concernant les orphelins des résistants fusillés et massacrés, de ceux des otages assassinés dans les villes martyres, ou encore de ceux qui ont été achevés à la suite des combats du Vercors, des Glières, de ceux qui ont été massacrés à Oradour-sur-Glane, par exemple. Aussi, nous vous demandons d'affirmer ici solennellement que ce décret permet bien que soit accordée l'indemnisation à toutes ces catégories d'orphelins.
Par ailleurs, au mois d'octobre dernier, en commission vous parliez, monsieur le ministre, de 500 dossiers en instance de réponse, sur les 7 000 à 8 000 personnes qui seraient concernées. Je vous interroge sur le bien-fondé du délai de quatre mois au-delà duquel les demandes sont présumées rejetées. Les intéressés ne devraient-ils pas en recevoir la notification écrite afin de se pourvoir éventuellement devant les tribunaux ?
S'agissant de l'ONAC, les réductions de personnels se poursuivent à marche forcée - 50 cette année - sous couvert d'une augmentation des postes dédiés à la mémoire - plus 60. Je n'ose imaginer le résultat d'une pareille méthode - contrat dit d'objectifs et de progrès - qui doit être appliquée à l'INI.
Je voudrais évoquer à présent la situation des veuves.
Le rapport tendant à recenser les anciens combattants et leurs veuves âgées de plus de soixante ans ayant des ressources inférieures au SMIC a été remis au Parlement.
Il se limite malheureusement à un état des lieux et M. le ministre nous écrivait, dans la lettre qui accompagnait ce document, que le Gouvernement allait « poursuivre ses efforts en leur faveur ». En réalité, on entend poursuivre une démarche, que je ne qualifierai pas d'humiliante, d'aide au cas par cas, alors que les sections départementales de la FNACA, de l'ARAC - pour ne citer qu'elles - reçoivent chaque jour des femmes connaissant de réelles difficultés ! Cela m'est régulièrement confirmé dans le département du Rhône, où les services sociaux des associations sont constamment débordés !
Ce qu'il faut pour redonner leur dignité à ces femmes de combattants, c'est la création immédiate d'une allocation différentielle de solidarité servie par l'ONAC, à l'instar de qui fut créée au profit des anciens combattants en Afrique du Nord chômeurs en fin de droits.
Par ailleurs, qu'en est-il des 15 points votés en faveur des veuves pensionnées et qui devaient prendre effet le 1er juillet dernier ?
Examinons maintenant les crédits de la mémoire. Ils sont en baisse. Comme d'habitude, on nous dit qu'ils seront abondés... par les reports de crédits des années précédentes. Nous sommes à présent habitués à ces tours de passe-passe budgétaires - une baisse de 26, 84 % - alors que vous affirmez vouloir commémorer avec un faste particulier - c'est tout à fait normal - le soixantième anniversaire de la victoire du 8 mai 1945 et de la libération des camps nazis.
Quant à la campagne double, chacun sait qu'il s'agit d'une très ancienne revendication en faveur de l'égalité des droits devant la loi des fonctionnaires et agents publics ayant participé à la guerre d'Algérie. Une mission d'étude sur ce sujet a été confiée à un inspecteur général des affaires sociales, ancien inspecteur général des anciens combattants. Pouvez-vous nous préciser, monsieur le ministre, l'échéance à laquelle cette mission d'étude rendra ses conclusions ?
J'évoquerai cette année encore le cas des RAD-KHD, les incorporés de force dans les formations paramilitaires nazies. Le dossier a avancé puisque la France a proposé de prendre en charge 50 % de l'indemnisation. C'est à présent la fondation franco-allemande qui bloque. Que comptez-vous faire pour clore enfin ce douloureux dossier ?
Enfin, monsieur le ministre, je voudrais insister sur le fait que le droit à réparation doit s'appliquer à tous, y compris aux victimes des irradiations nucléaires liées aux essais effectués au Sahara ou en Polynésie, ou des irradiations subies lors de la première guerre du Golfe. Je souhaiterais connaître votre sentiment sur cette question.
Après avoir exposé de manière non exhaustive mes inquiétudes, je tiens à dire que ce budget contient en germe des régressions, immédiates ou à moyen terme.
Je parlerai d'une solidarité apparente. En effet, l'augmentation de 3, 83 % des crédits sociaux de l'ONAC ne saurait cacher que l'on prend le chemin de l'assistanat, si l'on s'en réfère aux termes employés dans l'étude qui nous a été remise par le Gouvernement sur les anciens combattants et leurs veuves âgés de plus de 60 ans.
L'inquiétude des associations est également avivée par la loi organique relative aux lois de finances, qui entrera en vigueur en 2006. Elle aura pour conséquence de faire disparaître le budget autonome des anciens combattants et victimes de guerre en excluant notamment les pensions militaires des missions et charges générales de l'Etat. De là à annoncer la disparition d'un ministère des anciens combattants, il n'y a qu'un pas, et je soupçonne fortement le Gouvernement d'être sur le point de le franchir. Bien sûr, vous vous en défendez, monsieur le ministre. Cela ne nous empêche pas de nous interroger, comme nous le faisons depuis plusieurs années. Déjà, la circulaire du 16 novembre 2004, signée par M. Jean-Pierre Raffarin et relative à la réforme de l'administration départementale de l'Etat, préfigure la disparition de l'ONAC. Il convient d'y ajouter la création de « commissions pivots », qui, à terme, conduiront à la suppression des conseils départementaux de l'ONAC.
En conclusion, je crains, monsieur le ministre, que le Gouvernement ne fasse peu à peu disparaître l'histoire des luttes du peuple français - j'exagère sans doute -, ses acquis sociaux, la notion de droit imprescriptible à réparation, et ne s'oriente vers l'assistanat ainsi que vers une politique de mémoire indifférenciée faisant peu à peu disparaître la spécificité des combats du siècle tout juste écoulé.
Déjà, l'adossement de l'ancien secrétariat d'Etat aux anciens combattants et victimes de guerre est battu en brèche par la création de l'observatoire de la santé des vétérans, uniquement composé de militaires, création qui gommera la spécificité de l'héroïsme de notre peuple, des femmes et des hommes qui ont su inventer les formes les plus adaptées de résistance à l'oppression et aux guerres injustes.
A cet égard, l'invention de la date du 5 décembre efface la véritable histoire de la fin de la guerre d'Algérie alors que les faits imposent la date du 19 mars 1962.