Ce débat sur les objectifs généraux et les finalités assignés à notre régime de retraite par répartition me semble essentiel.
Par-delà une déclaration de principes que je trouve pour ma part un peu emphatique, est posé un débat de fond qui traduit des clivages et des conceptions fort différentes de la protection sociale.
À cet instant, je voudrais revenir sur deux thèmes capitaux : la démographie et l’économie. Nous avons en effet l’impression que, sur ces deux points, quelques éléments ont été oubliés.
Concernant la démographie, on nous dit, depuis plusieurs mois, que notre pays risque, à l’horizon 2040, de compter environ trois actifs pour deux retraités, voire moins. Nous devrions donc composer avec une réalité démographique redoutable, pesant lourdement sur le financement des retraites. Nous serions contraints, de ce fait, d’allonger la durée de cotisation et de reculer l’âge de cessation d’activité.
Cependant, la démographie est parfois trompeuse. Tout d’abord, la situation démographique de notre pays est très nettement différente de celle des autres grands pays européens. Ainsi, en matière d’excédent naturel des naissances sur les décès et de solde migratoire, la situation de la France n’est pas celle de l’Allemagne, de l’Espagne, de l’Italie ou de la Belgique, tous pays dont la population stagne sous les effets conjugués d’un ralentissement des naissances et d’un solde migratoire pas aussi favorable que le nôtre.
Dans l’absolu, nous risquons d’observer une contraction de la population chez la plupart de nos voisins, tandis que la population française, dans l’Hexagone et outre-mer, devrait continuer à croître, pour tendre vers 70 millions d’habitants en 2040. Nous connaissons aujourd’hui un taux de natalité suffisant pour assurer le renouvellement des générations. Ce simple fait, original en Europe, pourrait justifier, si l’on s’en tenait à la seule démographie, que nous ne prenions pas les mêmes mesures que nos voisins face au problème des retraites.
Cela étant, la démographie nous apprend aussi, notamment, que le taux d’activité global de la population française est orienté à la hausse, et ce de manière continue. L’évolution la plus spectaculaire concerne, de ce point de vue, l’activité professionnelle des femmes. En 1968, la majorité des femmes en âge de travailler étaient sans activité professionnelle. Les évolutions constatées dans les années soixante-dix et quatre-vingt, qui se sont poursuivies sans interruption depuis, ont conduit à ce que, aujourd’hui, 80 % des femmes en âge de travailler aient une activité professionnelle.
Dans le même ordre d’idées, le nombre de jeunes diplômés s’est globalement accru et la population active bénéficie aujourd’hui d’un niveau de qualification initiale bien plus élevé que précédemment. Songeons que, en 1968, la France comptait 250 000 étudiants ; ce chiffre a décuplé depuis.
Ce relèvement du niveau de formation des jeunes est sans doute l’un des facteurs essentiels de pérennité de notre système de sécurité sociale, car il implique que nous disposons largement des moyens nécessaires pour mener à bien les mutations techniques et réaliser les gains de productivité susceptibles de permettre la création des richesses indispensables au financement de la protection sociale.
Cette observation nous aidera à faire le lien avec la question économique, présentée depuis de longues semaines de manière caricaturale, sinon erronée. À en croire tous les « pères-la-rigueur » qui sévissent en matière de finances publiques, il n’y a jamais de gains de productivité du travail, la richesse créée par le travail n’est jamais prélevée pour rémunérer le capital et les banques, et nous devrions réfléchir en circuit fermé, en nous lamentant sur le coût du travail, si élevé qu’il nous expose à la concurrence des pays émergents…
Mais ils ont beau dire et faire, la réalité est têtue. Le monde du travail, dans son ensemble, sait pertinemment que tant les mutations technologiques que l’évolution des qualifications sont des facteurs essentiels d’accroissement de la production, et que le temps de travail humain nécessaire pour fabriquer tel ou tel produit ne cesse de se réduire. Il a ainsi été calculé que, en 1960, il fallait autant de temps à un salarié de l’automobile pour construire une voiture qu’il ne lui en faut aujourd’hui pour en produire cinq.