L’objet de cet amendement, qui avait été présenté par notre collègue Jacky Le Menn, est de rappeler que chaque Français a le droit au repos à 60 ans après une vie de travail et de cotisation.
Nous sommes fiers de notre système de retraite par répartition et de l’avancée que représente la possibilité de partir à la retraite à 60 ans ; c’est une conquête sociale, contrairement à ce qui a été dit tout à l’heure lors des questions d’actualité, et nous devons la préserver.
Par le passé, ce système a fait la preuve de son efficacité en matière de solidarité intergénérationnelle et a permis à tous les Français de se projeter plus sereinement dans l’avenir, en sachant qu’une vie les attendait après leur carrière professionnelle.
En remettant en cause cet acquis social majeur, le Gouvernement méconnaît profondément certaines réalités socioéconomiques. Retarder le départ à la retraite, c’est ne pas tenir compte du fait que deux tiers des plus de 55 ans sont aujourd’hui au chômage ; c’est mettre une barrière supplémentaire à l’entrée des jeunes sur le marché du travail ; c’est s’attaquer aux salariés les plus fragiles, les plus précaires, à savoir ceux qui ont une carrière longue et fractionnée. Bref, c’est méconnaître les aspirations et les besoins des Français : il y a un temps pour travailler et un temps pour se reposer.
Nous pourrions considérer que les conditions de travail se sont améliorées et que la fatigue physique pure que pouvaient connaître nos parents ou nos grands-parents s’est réduite. Pour autant, celle-ci n’a pas totalement disparu ; pis encore, elle a fait place à une nouvelle forme de fatigue, cette fois morale et psychologique, liée aux mutations économiques et sociales que nous connaissons depuis une trentaine d’années.
L’usure existe toujours, elle n’est simplement plus la même. La pression au travail, le stress, la culture du chiffre et du rendement, le développement des carrières précaires sont autant de facteurs qui engendrent de la souffrance et de la fatigue, tant psychologiques que physiques.
Est-il nécessaire de rappeler le nombre de suicides qu’ont connu certaines entreprises ou encore l’explosion du nombre des dépressions liées à l’activité professionnelle ?
Il n’est donc pas plus facile de travailler aujourd’hui qu’il y a trente ans. Le résultat est le même pour la plupart des salariés, qui aspirent à une retraite méritée après une vie de travail.
On ne cesse de marteler que l’allongement de la durée de la vie induit mécaniquement un report de l’âge de départ à la retraite, du fait que les Français seraient aptes à travailler de plus en plus vieux, mais c’est une idée reçue.
Faut-il rappeler que la durée de vie d’un ouvrier est actuellement inférieure de sept ans à celle d’un cadre ? Faut-il rappeler que les femmes, ayant souvent des carrières fractionnées en raison de leurs obligations familiales, sont contraintes de travailler beaucoup plus tard que leurs homologues masculins ? Faut-il enfin rappeler qu’un allongement de l’espérance de vie ne s’accompagne pas nécessairement du maintien d’un bon état de santé, permettant de profiter pleinement de sa retraite ?
En revanche, si l’activité professionnelle est source d’épanouissement pour certains, il semble sans doute normal de leur permettre de travailler au-delà de l’âge légal de départ à la retraite. Cependant, je ne surprendrai personne en indiquant que ces cas sont loin d’être la norme et que bon nombre de salariés attendent leur retraite avec impatience. Parmi eux se rangent les travailleurs les plus précaires et les plus défavorisés, ceux qui ont connu des carrières difficiles, longues, fractionnées, ceux qui ont occupé des emplois physiquement pénibles ou très peu qualifiés.
Tous ceux-là méritent de pouvoir partir à la retraite à 60 ans. Nous ne pouvons pas toujours demander plus à ceux qui ont le moins, en épargnant systématiquement les plus aisés. Il faut absolument permettre aux Français d’avoir une vie culturelle, sociale après la fin de leur activité professionnelle, d’autant que les retraités participent pleinement à l’activité économique, sociale et surtout associative de notre pays. Alors que beaucoup, parmi les défenseurs de votre réforme, rappellent l’importance de raviver les liens sociaux, intergénérationnels, il semble paradoxal de réduire le temps que les retraités peuvent consacrer à leur famille, à leurs proches, à leurs activités.
Le droit à la retraite ne relève pas de la mendicité ou d’une charité remontant au xixe siècle ; il est dû par l’État à chaque Français qui a travaillé et cotisé toute sa vie. Arrêtons de considérer les retraités comme un poids pour la société et votons l’amendement présenté par le groupe socialiste !