Monsieur le ministre, si votre projet de loi rassemble contre lui l’ensemble des organisations syndicales et la grande majorité des Français, comme l’attestent les manifestations de septembre et du 2 octobre, c’est qu’il constitue l’une des plus importantes remises en cause du droit social que notre pays ait jamais connues.
Cette réforme, à elle seule, illustre ce que nous ne cessons de dénoncer depuis l’élection de Nicolas Sarkozy : le Gouvernement est engagé dans un combat idéologique de longue haleine contre l’héritage du Conseil national de la Résistance.
Ainsi, l’argument démographique auquel vous avez sans cesse recours est d’un rare cynisme. Vous partez du postulat que l’on vit plus longtemps pour imposer un report de l’âge légal de départ à la retraite. L’argumentation que vous déployez peut paraître réaliste et pragmatique, jusqu’à ce que l’on soulève la question non pas de l’espérance de vie, mais de l’espérance de vie en bonne santé. Car les chiffres sont têtus, et vous ne pouvez les nier : après 60 ans, l’espérance de vie en bonne santé est en moyenne de trois ans pour les hommes et de quatre ans pour les femmes.
Repousser l’âge de départ à la retraite revient donc à priver les salariés – souvent les plus modestes, ceux qui souffrent le plus des inégalités sociales en matière de santé – de deux années de retraite en bonne santé. Vous leur volez deux des meilleures années qu’il leur reste à vivre !
Vous avez, me direz-vous, prévu un mécanisme permettant une reconnaissance de la pénibilité du travail. Mais, là encore, derrière l’argumentation apparemment généreuse méthodiquement déployée dans les médias, se cache une mesure inacceptable.
Maintenir l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans pour les 20 000 salariés dont l’usure professionnelle sera avérée par une incapacité physique égale ou supérieure à 10 %, cela signifie en fait, pour reprendre la formule du journaliste Bruno Roger-Petit, « que ceux qui exercent un métier pénible pourront partir en retraite à la condition d’être en partie incapables, donc invalides, donc malades ». Voilà la vérité !
Au travers de ce projet de loi, qui va à l’encontre des droits sociaux, vous entendez en fait rompre entièrement le lien entre travail et vie. Vous voudriez que l’on considère le salarié comme un simple outil producteur de richesses, dont on pourrait se séparer à loisir : en le licenciant, en lui imposant des ruptures conventionnelles ou en l’autorisant à partir enfin à la retraite quand, usé par le travail, il sera moins ou insuffisamment productif. C’est d’ailleurs ce que l’on constate aujourd’hui, eu égard à la faiblesse du taux d’emploi des plus de 50 ans.
La santé des salariés, le droit à une retraite qui soit enfin un temps pour soi, que l’on puisse vivre en bonne santé, sont remis en cause par ce projet de loi.