Intervention de Jacky Le Menn

Réunion du 7 octobre 2010 à 21h00
Réforme des retraites — Article 5

Photo de Jacky Le MennJacky Le Menn :

L’article 5, qui vise à compléter titre IV du livre Ier du code de la sécurité sociale, consacre le recul de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans. Il est présenté comme l’article clé qui permettra de sauver le financement des retraites. De plus, il semble reposer sur une évidence qu’il serait incongru de questionner. C’est pourtant ce que je vais faire, monsieur le ministre, et je vous prie par avance de bien vouloir m’en excuser.

Nous vivons plus longtemps, il est donc normal de travailler plus. Cette idée a été si souvent assénée qu’elle semble frappée au coin du bon sens. La loi de 2003 lui a donné un contenu, en fixant une règle tout à fait arbitraire selon laquelle les gains d’espérance de vie devraient se partager entre, pour un tiers, l’allongement de la durée du travail, et, pour deux tiers, l’allongement de la retraite. Cette formule est tout aussi creuse et dénuée de fondement que la règle du non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux dans la fonction publique.

Des chiffres ronds n’ont jamais tenu lieu de politique et encore moins de règle de justice, nous rappelle fort à propos Pierre Concialdi, économiste à l’Institut de recherches économiques et sociales, dans son récent ouvrage Retraites : en finir avec le catastrophisme dont je vous conseille la lecture. Permettez-moi de vous en livrer quelques extraits.

« Les gouvernements, dont le nôtre, qui affichent cette idée font mine de se tromper d’objectif » : personne n’est dupe. « Ce ne sont pas les gains d’espérance de vie qu’il faut partager, mais les gains de productivité » pour participer au redressement du financement de nos régimes sociaux, notamment du régime des retraites.

Mais là, nous touchons à un tabou : il n’est pas question pour notre gouvernement de déplaire au MEDEF qui, lui, n’entend pas voir remis en cause un partage largement inégalitaire des gains de productivité, au bénéfice des plus gourmands de ses mandants, ceux qui sont abonnés au CAC 40. Il est plus confortable pour eux de voir reculer l’âge légal de départ à la retraite des ouvriers, des employés, des cadres – des soutiers du monde du travail, en somme –, ainsi que des femmes pour trouver des financements sans solliciter davantage leurs capitaux propres, ou seulement à la marge, capitaux avec lesquels ils pourront sans vergogne se livrer à leur jeu favori : la spéculation financière. Or, cette dernière n’apporte rien à notre économie et ne crée aucun emploi mais, en revanche, elle provoque des catastrophes, comme celles que nous avons connues au cours des années 2008-2010, pudiquement baptisées « années de crise ».

Autre argument, proclamé cette fois par le Président de la République à l’occasion des vœux aux partenaires sociaux le 15 janvier dernier : « Cela fait cinquante ans que nous gagnons un trimestre d’espérance de vie par an ». Mais l’espérance de vie à laquelle il se réfère est celle qui est évaluée à la naissance qui, en effet, a beaucoup progressé en 50 ans – je l’ai rappelé en commission des affaires sociales –, le taux de mortalité infantile s’étant effondré, et c’est heureux, de 33, 4 décès pour 1000 en 1957 à 4, 7 pour 1000 en 2007.

Or l’espérance de vie des retraités n’est pas concernée par le taux de mortalité infantile. L’important, pour un retraité, est l’espérance de vie en bonne santé qu’il a à 60 ans. Selon l’INSEE, l’espérance de vie en bonne santé est de 63, 2 ans pour les hommes et de 64, 2 ans pour les femmes. J’ajoute que l’INSEE retient une définition très restrictive de ce que l’on entend par « bonne santé », à savoir « une absence de limitation d’activité dans les gestes de la vie quotidienne et une absence d’incapacité ». Ainsi, une personne en rémission d’un cancer, atteinte d’un diabète correctement soigné ou ayant subi un pontage coronarien est considérée comme étant en bonne santé : sans commentaire !

Selon le rapport du Conseil d’orientation des retraites, l’espérance de vie à 60 ans pourrait augmenter d’un an et demi tous les dix ans, soit 0, 65 trimestre par an. C’est loin de l’allongement dont fait état le Président de la République, mais les thuriféraires de la retraite à 62 ans n’en sont pas à une approximation près.

Quant à l’espérance de vie en bonne santé, elle est déjà aujourd’hui fortement inégalitaire entre les retraités selon les lieux de vie et selon les types de professions qu’ils ont exercés tout au long de leur carrière.

Quoi qu’il en soit, le report de 60 à 62 ans de l’âge légal de départ à la retraite est une mesure idéologique aux conséquences désastreuses pour les plus fragiles de nos concitoyens, les chômeurs, ainsi que pour les femmes, qui sont particulièrement pénalisées. Et, monsieur le ministre, ce n’est pas l’amendement gouvernemental déposé à la hâte ce matin pour essayer de désamorcer le mécontentement populaire qui va sensiblement améliorer les choses.

Une autre conséquence certaine du recul de l’âge légal de la retraite, dont on parle peu, c’est qu’un plus grand nombre de salariés ne seront jamais en retraite, car, hélas ! ils seront décédés ! Si l’espérance de vie augmente, on continue de mourir avant la retraite. Ce recul signifie qu’environ 22 000 personnes supplémentaires de la génération née dans les années soixante-dix ne pourront jamais bénéficier de la retraite parce qu’elles décéderont avant d’avoir atteint l’âge de 62 ans.

Cette disposition de votre projet de loi, qui va transformer un « jeune » retraité en « vieux » chômeur et transférer le mistigri du déficit des caisses de retraite aux caisses de l’UNEDIC est de toute façon attentatoire à l’équité entre nos concitoyens. Cela revient, vous ne pourrez sérieusement me démentir, monsieur le ministre, faire payer largement le financement du système actuel de retraites par les travailleurs modestes.

La grande majorité de nos concitoyens ne saurait admettre une telle hypothèse. Nous nous opposerons donc avec la dernière énergie à l’adoption de cet article déplorable qui met fin à une grande conquête sociale.

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