Intervention de Brigitte Gonthier-Maurin

Réunion du 7 octobre 2010 à 21h00
Réforme des retraites — Article 5

Photo de Brigitte Gonthier-MaurinBrigitte Gonthier-Maurin :

Avec cet article, nous entrons véritablement au cœur des dispositifs « piliers » du projet du gouvernement, piliers qui détruisent le droit à la retraite pour tous dans des conditions décentes.

Tout d’abord, une atteinte, peu anodine, à ces droits, fait passer l’âge de départ légal à la retraite de 60 à 62 ans. Mais comme si cette régression sociale ne suffisait pas, il faut y ajouter l’article précédent, qui prévoit l’allongement de la durée de cotisation des assurés pour la porter à quarante et une annuités et demie.

Enfin, pour s’assurer coûte que coûte que rien ne viendra entraver les intérêts financiers ni de l’État ni des entreprises, on assène le « coup final » : la retraite sans décote n’est assurée qu’à partir de 67 ans, et non plus 65 ans.

Trop soucieux de la réduction de la dette publique pour satisfaire les agences de notation et les marchés financiers, l’État sacrifie donc purement et simplement les salariés.

Le cumul de ces trois principales atteintes portées au régime de retraite actuel aura des conséquences dramatiques pour chaque assuré, qui se verra obligé de choisir entre une retraite avec pension entière accordée très tardivement, amputant ainsi son temps de retraite en bonne santé, ou une retraite à un âge décent, au sacrifice d’une partie de ses cotisations.

Est-ce, franchement, un choix raisonnable et, surtout, efficace tant au plan économique que social ?

Cette réforme est d’autant plus inadmissible qu’elle ne tient pas compte de la pénibilité du travail accompli. Les maigres mesures destinées à prendre en compte les conditions de travail difficiles ne font qu’évoquer le handicap. Une autre question se pose : celle de la reconnaissance collective de la pénibilité de professions en lien avec la nature du travail accompli et de ses conditions d’exercice.

Je voudrais ici, pour appuyer mon propos, évoquer un métier, parmi beaucoup d’autres, que cette réforme impactera énormément. Je veux parler du métier d’enseignant, dont l’exercice jusqu’à 62 et 67 ans serait très difficile et aurait des conséquences importantes pour les enseignants, mais aussi pour les élèves et, in fine, pour l’avenir du pays.

Une étude du Centre de recherches et d’études sur l’âge et les populations au travail de novembre 2009, réalisée à l’initiative de Dominique Cau-Bareille, s’est penchée sur le « vécu du travail et la santé des enseignants en fin de carrière ». Cette étude confirme que beaucoup d’enseignants souhaitent quitter dès que possible un métier qu’ils jugent souvent pénible et fatiguant.

En dehors des conditions d’exercice de ce métier, il faut noter un premier facteur qui pèse nécessairement sur les enseignants. Ce métier, autrefois valorisé, est aujourd’hui dénigré, accompagné de peu de reconnaissance.

Mais au-delà, la fin de carrière des enseignants est assez mal vécue du fait de difficultés propres au métier.

Enseigner signifie en effet être présent, attentif à chaque instant, initier, écouter chaque élève ainsi que les familles, répondre aux attentes et aux espoirs qu’elles placent en eux, ou encore gérer les élèves en difficultés, ainsi que les tensions au sein de l’école, et tout cela dans un contexte de forte réduction de postes, imposée depuis plusieurs années par votre Gouvernement. Tout cela contribue à générer un stress important chez les enseignants, qui s’épuisent au fur et à mesure des années.

Il faut à cela ajouter un élément : les professeurs des écoles entrent dans la vie active assez tardivement, et cette tendance ne va pas aller en s’arrangeant, puisque le recrutement des enseignants se fera désormais au niveau du master. Ainsi, les professeurs des écoles entrent dans la vie active à 27 ans en moyenne.

Que dire, d’ailleurs, de la « masterisation », qui place actuellement de jeunes enseignants sans aucune formation professionnelle devant une classe, ce qui génère beaucoup de souffrance ?

Une profession pénible, une carrière qui commence tard, le fait que près d’un enseignant sur trois est parti à la retraite en 2007 avec une décote, tout cela doit nous fait comprendre la nature des difficultés vécues en fin de carrière.

Qu’en sera-t-il après cette réforme qui repousse à 67 ans l’âge de départ à la retraite sans décote ? Tout laisse à penser que cette profession, dans son exercice comme dans son système de retraite, va se dégrader considérablement. Faut-il rappeler ici toute l’importante de ce métier ?

Les enseignants forment de jeunes citoyens, et l’exercice de ce métier est primordial. Il est essentiel, dans l’intérêt de l’enseignant comme de l’élève, que ce métier s’exerce dans des conditions psychologiques et physiologiques qui permettront à chaque élève de tirer profit du savoir dispensé, mais aussi aux enseignants de ne pas subir leur fin de carrière.

Les enseignants jouent un rôle déterminant pour l’avenir de notre pays. Ce serait mal connaître et reconnaître leur rôle que de les condamner à percevoir une retraite indécente ou à enseigner en mauvaise santé sans plus de passion et ni de motivation.

Je suis, pour toutes ces raisons, formellement opposée à la destruction de la retraite qui nous est proposée par cet article.

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