Intervention de Marie-Agnès Labarre

Réunion du 7 octobre 2010 à 21h00
Réforme des retraites — Article 5

Photo de Marie-Agnès LabarreMarie-Agnès Labarre :

Quel est ce mensonge ? Le mensonge, c’est que la France de 2010 n’aurait plus les moyens de s’offrir ce que celle de 1945 et de 1981 lui ont permis de se payer. Le fautif ? La mondialisation.

Quelle est la réalité ? La réalité, c’est que la France n’a jamais été aussi productive, ni aussi riche. Deux salariés produisent aujourd’hui plus de richesse que trois il y a trente ans.

La réalité, c’est que le gouvernement de la France, le vôtre, a choisi de distribuer ce surcroît de richesse de façon injuste, inéquitable, insupportable.

La réalité, Le Parisien de ce jour nous la rappelle en rendant public le rapport de la Cour des comptes sur les niches fiscales et sociales qui bénéficient aux entreprises et, bien sûr, peu à l’emploi ; le manque à gagner pour les caisses de l’État et des organismes sociaux qui en découle s’élève à 172 milliards d’euros.

La réalité, c’est que votre bouclier fiscal a pour effet d’assécher les comptes publics et de placer de fait notre système de solidarité en faillite.

La réalité, c’est qu’on a volé l’argent des salariés pour l’offrir aux financiers qui nous fabriquent cette mondialisation qui vous va si bien et que vous prenez comme prétexte pour nous vendre l’invendable : il faudrait travailler plus durement, plus longtemps, moins se soigner, moins étudier, pour être compétitifs !

Gageons que, grâce à vos bons soins, nous serons compétitifs le jour où nous recommencerons à travailler dès 8 ans, jusqu’à 75 ans, avec des semaines de 48 heures, usines et bureaux ouverts le dimanche, payés à l’heure « productive » et à coups de trique ; le jour où les employeurs n’auront plus à cotiser au chômage. Oui, ce jour-là, le prix de revient de notre production nationale sera enfin revenu au niveau de celui de l’Asie du Sud-Est. Qui sait s’il ne sera pas même inférieure, car ces gens-là, voyez-vous, prétendent aussi gagner et améliorer leur vie !

Voilà pourquoi nous ne sommes pas dupes : le passage à 62 ans n’est qu’une étape, rien qu’une étape dans le processus de déconstruction de notre modèle de société.

Vos 62 ans ne sont même pas crédibles : qui croira qu’on pourra partir sans décote à 62 ans, quand les débuts de carrière sont retardés, chômage oblige, quand les carrières sont morcelées, quand la flexibilité de l’emploi et les temps partiels subis sont érigés en summums de la modernité dans le travail ? Qui partira à la retraite à 62 ans en ayant cotisé le nombre de trimestres que vous exigerez de lui ? Qui partira à la retraite à 62 ans avec une pension de misère, quand vous ne voulez pas entendre que le SMIC lui-même, auquel le futur retraité pourra difficilement prétendre, est un salaire de misère qui ne permet pas de se loger et de se nourrir en même temps ?

En réalité, vous nous inventez la retraite à 67 ans. Pour ce faire, pour faire adhérer les naïfs à vos fausses évidences, vous nous faites le coup de la durée de vie qui s’allonge, en conséquence de quoi, mesdames, messieurs, il est bien normal que la durée de travail s’allonge en proportion...

Mais de quelle vie parlez-vous ? De la vie biologique ou de l’espérance de vie en bonne santé ? Certains de nos concitoyens, voyez-vous, ont un boulot qui ruine leur santé, et il ne s’agit pas seulement des travailleurs de force. Ils se ruineront donc deux ans de plus, si on ne les vire pas avant – voire davantage, pour ceux qui auront besoin de plus qu’une aumône en guise de pension, et ceux-là se répareront moins bien, moins vite et moins sûrement. C’est plus abîmés qu’ils vivront vieux : qui convaincrez-vous que c’est là le destin des travailleurs des pays riches comme le nôtre ?

De plus, vous savez bien que ce n’est pas le nombre d’actifs potentiels qui importe, mais bien le nombre de cotisants, car des actifs au chômage ne participent pas au financement des retraites.

La question première est donc bien celle de l’emploi : si tous les actifs avaient un emploi, la question du financement de toutes les caisses de solidarité existantes serait résolue.

Bref, la retraite, c’est à 60 ans, et il est urgent de l’améliorer, pas de la fusiller ! Puisque nous savons comment nous y prendre, laissez-nous faire !

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