Je viens d’entendre tous les arguments des partisans de l’élection des conseillers communautaires au suffrage universel par la voie du fléchage. Apparemment, ce système est plus démocratique que la désignation directe des délégués par les conseils municipaux.
Je voudrais attirer l’attention sur l’esprit de l’intercommunalité. Jusqu’à présent, l’intercommunalité était une coopérative de communes. Avec l’élection des délégués communautaires selon le système du fléchage et la multiplication des communes où s’appliquera le scrutin proportionnel de liste, vous allez introduire dans les conseils communautaires les divergences idéologiques et politiques séparant les différentes listes. C’est inévitable.
Cela est plus démocratique, nous dit-on, mais je voudrais souligner que si les états-majors décident très vite, il faut du temps pour percevoir les conséquences de ce que l’on veut.
La désignation des conseils communautaires selon ce système va entraîner une politisation, pas forcément au bon sens du terme. Certes, la politisation peut évidemment être positive, lorsqu’elle a trait aux grandes options idéologiques, mais en l’occurrence on verra apparaître, s’agissant de projets très concrets, tels que la création d’un gymnase ou la définition d’un intérêt communautaire sur telle ou telle voirie, des majorités quasiment automatiques, qui obéiront beaucoup plus à des présupposés politiques qu’à des considérations de terrain. Cela aussi est inévitable.
Je reconnais n’y avoir pas moi-même spontanément pensé. C’est au fil du temps que je suis arrivé à cette conclusion : ce mode de scrutin par fléchage va transformer l’esprit de l’intercommunalité, qui ne sera plus une coopérative de communes, mais deviendra un quatrième niveau de collectivité. Tel est bien l’objectif visé, au fond, par le projet de loi.
En effet, je ne suis pas convaincu par l’argument développé par M. Maurey tout à l’heure, selon lequel nul ne conteste que la commune est l’échelon de base de la démocratie et est à ce titre intangible. En réalité, les communes nouvelles constituent une innovation déjà inquiétante à cet égard, parce qu’une telle structure pourra être créée sur l’initiative d’un préfet ou d’un EPCI désireux d’absorber les communes qui le constituent.
Au-delà, c’est l’intercommunalité même, dont vous aurez transformé l’esprit, qui va inéluctablement diminuer la légitimité des maires. Jusqu’à présent, ces derniers choisissaient dans une très large mesure les délégués communautaires qui allaient les assister pour défendre leur commune. À partir du moment où l’élection de ces délégués se fera par fléchage, ils seront désignés dans l’ordre des listes. Des majorités ou des minorités de rencontre se formeront donc forcément à l’échelon du conseil communautaire. Vous aurez alors pollué, sans l’avoir voulu, l’esprit de l’intercommunalité.
En diminuant la légitimité des maires, vous ferez inévitablement s’estomper le rôle des communes. Je ne pense pas que ce soit ce que vous voulez, mais je vous garantis que c’est le résultat auquel vous aboutirez en faisant adopter en l’état le dispositif.