Intervention de Nicolas About

Réunion du 10 novembre 2005 à 11h00
État de préparation de la france face aux risques d'épidémie de grippe aviaire — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Nicolas AboutNicolas About :

Monsieur le ministre, le 6 octobre dernier, vous avez présenté, devant la commission des affaires sociales, les principales mesures du plan national de lutte contre la grippe aviaire et cette audition a montré le très grand intérêt que nous portons, depuis plusieurs mois déjà, à cette question.

La progression de l'épizootie en Asie, l'apparition des premiers cas avérés de la maladie en Europe centrale et les incertitudes liées à la mutation possible du virus H5N1, qui le rendrait transmissible d'homme à homme, font craindre le pire aux scientifiques et alimentent l'inquiétude de nos concitoyens, qui sont tenus quotidiennement informés de la moindre évolution du mal par des médias attentifs.

Cette situation justifie aujourd'hui votre présence, monsieur le ministre, afin de répondre aux questions que se posent légitimement les élus de la nation sur les mesures prévues par les pouvoirs publics pour préserver les Français d'une catastrophe sanitaire et, dans l'hypothèse où celle-ci surviendrait, en limiter les effets.

Permettez-moi d'abord de rappeler quelques données scientifiques, afin de circonscrire le phénomène sans dramatiser sa portée. Si des millions d'oiseaux et des centaines de mammifères - chats, tigres et léopards - ont déjà succombé à la maladie, cent vingt-quatre personnes seulement - oserais-je dire ! - ont été contaminées à ce jour par le virus H5N1, depuis son apparition en 1997. Et soixante-trois d'entre elles sont mortes, le plus souvent en raison de complications respiratoires aiguës. Il s'agit majoritairement d'éleveurs de volailles en Thaïlande et au Vietnam, c'est-à-dire de personnes en contact étroit, fréquent et prolongé avec des oiseaux atteints par la maladie.

A ce jour, malgré quelques cas suspects, la preuve n'est pas établie d'une contamination directe d'homme à homme. Le risque d'une pandémie directement due au virus H5N1 actuel semble donc pouvoir être écarté.

En revanche, une mutation lui permettant d'acquérir les caractéristiques d'un virus humain est possible, tout comme sa combinaison avec un virus grippal humain existant. Ce nouveau virus pourrait alors déclencher une véritable épidémie, d'autant plus dévastatrice que ce virus associerait l'agressivité de la composante aviaire et le haut degré de contagiosité du virus humain. Un tel scénario s'est déjà produit, notamment lors de l'épidémie de grippe espagnole de 1918, qui a provoqué plus de 50 millions de morts, dont 300 000 en France, et qui, on le sait maintenant, était d'origine aviaire.

Les spécialistes s'accordent aujourd'hui pour considérer comme très probable la mutation ou la recombinaison du virus et, donc, la pandémie humaine qui en résulterait. En effet, le H5N1 est désormais présent chez certains mammifères, comme le porc, qui sont susceptibles d'être touchés également par un virus grippal humain. En outre, l'élimination de tous les oiseaux domestiques, à Hong Kong, en 1997, n'a pas permis d'endiguer sa progression. Ce virus est aujourd'hui endémique dans les élevages de volailles du sud-est asiatique et se répand massivement chez les oiseaux migrateurs, qu'il est utopique de penser exterminer. Enfin, il gagne en virulence, si bien que toutes les tentatives de vaccination animale se sont soldées par un échec. Cette remarque doit rester très présente à notre esprit, pour l'avenir, en cas de transmission du virus d'homme à homme.

Le nombre toujours plus important de pays touchés - des cas sont aujourd'hui avérés en Russie, en Turquie et en Roumanie, c'est-à-dire aux portes de l'Europe -, la puissance du virus et sa présence chez les oiseaux migrateurs indiquent que la France n'échappera pas à l'épidémie si les caractéristiques du virus se modifient. Il convient donc de s'y préparer au mieux pour éviter le scénario catastrophe annoncé par l'Institut de veille sanitaire, l'InVS, qui prévoit, si aucune action n'est entreprise pour contrôler l'expansion de la maladie, la contamination de 9 millions à 21 millions de Français, ce qui entraînerait 91 000 à 212 000 décès.

Toutefois, il n'est pas de fatalité en la matière, notamment pour un pays développé comme le nôtre : les conséquences de la catastrophe annoncée seront moindres si une politique pragmatique de prévention est menée.

En effet, nos atouts sont bien réels. Depuis le bilan dévastateur de la grippe espagnole, notre capacité à identifier rapidement et de façon parfaitement fiable un nouveau virus et, par conséquent, la possibilité de créer un vaccin adapté se sont largement améliorées. En outre, nous disposons de médicaments antiviraux encore efficaces, notamment l'oseltamivir, plus connu sous le nom de Tamiflu, qui permettent de prévenir la maladie ou d'en atténuer les effets s'ils sont pris dans les heures suivant les premiers symptômes.

Il existe également un dispositif épidémiologique performant, piloté par l'InVS et le bien nommé réseau GROG, groupes régionaux d'observation sur la grippe, qui devrait nous permettre de connaître rapidement les premiers cas de grippe dus au nouveau virus dans la population française.

Face à ces atouts, le point faible de la politique de lutte contre une pandémie probable de grippe aviaire tient à l'incertitude existant sur la nature du futur virus, notamment sur sa capacité de contagion d'homme à homme, qui conditionnera l'efficacité des mesures prévues. Toutefois, le risque potentiel justifie, à lui seul, les mises en garde de l'OMS, l'Organisation mondiale de la santé, et la mobilisation des pouvoirs publics français.

Il s'agit, d'abord, d'éviter que la pandémie ne touche notre pays, ce qui, on l'aura compris, paraît difficile. Des mesures de prévention et de protection existent malgré tout et c'est sur cet aspect de la situation, monsieur le ministre, que portent mes premières questions.

En ce qui concerne la seule épizootie de grippe aviaire, quelles sont les mesures prévues en matière de protection des élevages de volailles, notamment ceux qui sont organisés en plein air et pour lesquels cette caractéristique justifie une appellation d'origine contrôlée ?

Les premières estimations laissent entendre que plus de 20 000 emplois pourraient être menacés dans ce secteur d'activité. Certaines entreprises se trouvent déjà en difficulté, du fait d'une diminution importante de la vente de volaille, de 20 % à 25 % selon les estimations. Dès lors, envisagez-vous, monsieur le ministre, de lancer une campagne d'information à destination du grand public, pour rappeler que la consommation de volaille ne présente aucun danger ?

En cas d'épizootie avérée sur notre territoire, comment procèdera-t-on à l'élimination, sans risque pour la santé publique ni pour l'environnement, des volailles contaminées ? Un système de juste indemnisation des éleveurs a-t-il été envisagé ? On sait en effet qu'une indemnité compensatoire par bête abattue qui serait jugée trop faible par rapport au prix du marché pourrait favoriser la non-déclaration de cas, la contrebande et la revente clandestine d'oiseaux contaminés. Ainsi la progression de l'épizootie a-t-elle été plus rapide au Vietnam qu'en Thaïlande, en raison de la quasi-absence d'indemnité pour les éleveurs.

Enfin, la chasse aux oiseaux migrateurs, dont les plumes, en dispersant des particules de fiente, transmettent la maladie, sera-t-elle interdite, ou bien pensez-vous plus opportun d'encourager l'élimination de ces oiseaux ?

Pour ce qui touche à la protection de la France face à un risque venu de l'extérieur, dans quelle mesure est-il possible de contrôler l'entrée sur le territoire national des animaux et des individus porteurs du virus ?

Par ailleurs, les ressortissants français qui pourraient être touchés par la maladie dans un pays étranger seront-ils rapatriés, au risque de contaminer leur entourage, notamment le personnel soignant, ou seront-ils soignés sur place ?

A cet égard, je souhaite rappeler que le syndrome respiratoire aigu sévère, le SRAS, dernière épidémie humaine mortelle connue, dont le virus était pourtant moins contagieux que celui de la grippe saisonnière, s'est étendu à une trentaine de pays en un temps record, du fait d'un seul passager contaminé arrivant de la province de Canton à Hong Kong.

Une question essentielle se pose également en matière de vaccination contre la grippe saisonnière : faut-il la rendre obligatoire cette année, ne serait-ce que pour les professionnels de santé, les personnes à risque telles que les personnes âgées, les jeunes enfants ou les personnes immunodépressives ? Faut-il également le rendre également obligatoire pour tous ceux qui devront maintenir leur activité en cas de crise sanitaire, à savoir les forces de l'ordre, les pompiers, les enseignants, certains fonctionnaires et les commerçants qui vendent des biens de première nécessité ? Une telle campagne pourrait d'ailleurs être doublée d'une vaccination de ces populations contre le pneumocoque, afin de limiter les risques de complications respiratoires mortelles liées à une mutation du virus de la grippe.

Plusieurs arguments plaident, selon moi, en faveur d'une telle mesure.

Tout d'abord, on peut en attendre la diminution du nombre de grippes ordinaires en cas d'apparition de la pandémie et, par conséquent, un diagnostic plus rapide du nouveau virus, ce qui permettra une prise en charge immédiate des malades et évitera la prescription inutile d'oseltamivir à des personnes qui n'en auraient pas besoin.

Ensuite, il en résulterait sans doute un moindre risque de combinaison entre le virus aviaire et le virus grippal humain, si ce dernier est moins présent dans la population.

Enfin, on peut penser qu'une telle mesure favorisera le développement durable, par les laboratoires, des capacités de production de vaccins antigrippaux, indispensables pour qu'un vaccin spécifique soit produit rapidement et à grande échelle.

En outre, une réflexion plus large mérite d'être conduite sur la possibilité de vacciner l'ensemble de la population française, dans l'hypothèse d'une pandémie aviaire déclarée. A cet égard, est-t-il prévu de favoriser une vaccination prépandémique contre le virus H5N1 non muté ? Ce vaccin aura-t-il une efficacité quelconque sur l'homme, alors qu'il n'en a pas sur les animaux ?

S'agissant de l'usage des médicaments antiviraux, de nombreuses questions se posent également.

Par exemple, convient-il de limiter dès à présent la prescription d'oseltamivir, de façon à conserver les stocks pour une éventuelle pandémie ?

Doit-on favoriser la prise préventive d'antiviraux pour les personnes les plus exposées au risque de grippe aviaire ? Quel risque de résistance du virus une utilisation abusive d'antiviraux en cette période de grippe ordinaire fait-elle courir ? Ces médicaments cesseraient-ils d'être véritablement efficaces s'ils devaient être pris, ensuite, de manière curative ?

Sur le volet préventif de l'épidémie, il importe enfin d'examiner les implications financières. Vous comprendrez que la commission des affaires sociales, qui est chargée de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, s'en préoccupe. Aujourd'hui, une somme de 600 millions d'euros a été débloquée sur le budget de l'assurance maladie pour faire face aux dépenses relatives à la mise en oeuvre du plan national de lutte contre la grippe aviaire.

Monsieur le ministre, cette somme sera-t-elle suffisante en cas de pandémie pour couvrir non seulement les dépenses supplémentaires de masques, de médicaments antiviraux et de vaccins, mais aussi celles qui sont destinées, par exemple, à assurer la sécurité des pharmacies et des hôpitaux ? Si une « rallonge » budgétaire se révélait nécessaire, serait-elle prélevée sur le budget de l'Etat au titre de sa fonction régalienne de protection de la population ?

Par ailleurs, il est nécessaire d'organiser une réaction internationale coordonnée face à la menace pandémique. Il s'agit avant tout de faire preuve de solidarité, mais aussi de bien mesurer que la protection de notre pays sera d'autant mieux assurée que la contagion sera maîtrisée dans les pays où le virus nouveau apparaîtra.

En ce sens, si le virus H5N1 mute dans une autre partie du globe, en Asie du Sud-est par exemple, la France ne pourra pas faire l'économie d'une réflexion sur les moyens de venir en aide aux pays touchés. Il est à craindre, en effet, que les pays qui n'ont pu endiguer à ce jour l'épizootie, en raison de l'absence d'un système de surveillance sanitaire vétérinaire efficace, ne soient également les premiers touchés par la pandémie.

L'apparition de la grippe aviaire nécessitera la mise en place de mesures de sécurité sanitaire pour les populations locales et pour ceux qui auront séjourné dans ces pays. De tels dispositifs avaient été déployés en 2003, lors de l'épidémie du syndrome respiratoire aigu sévère, le SRAS, et avaient permis, en trois mois, son éradication. Je pense notamment aux mesures de restriction des déplacements ou de quarantaine.

Il conviendra alors que la France s'implique dans les actions de distribution d'antiviraux et de matériels de protection à ces pays, ainsi que dans des opérations d'aide à la recherche et à la production de vaccins, qui pourront débuter avec l'identification du nouveau virus.

A cette fin, qu'a prévu la communauté internationale ? Dans quelle mesure, et pour quelle enveloppe budgétaire, la France s'est-elle engagée à intervenir ? L'Union européenne est-elle impliquée dans ces opérations ?

A titre préventif, ne conviendrait-il d'ailleurs pas d'aider les pays les plus touchés par l'épizootie, en favorisant l'indemnisation des éleveurs et l'abattage des bêtes malades ? Cela présente selon moi l'intérêt d'alléger ces économies faiblement développées d'une charge qu'elles pourraient trouver trop lourde au regard de préoccupations hypothétiques de santé publique bien éloignées de leur objectif de subsistance.

Par la suite, la mise en oeuvre de mesures d'urgence dans les premiers pays touchés sera, je le rappelle, essentielle pour ralentir la progression de l'épidémie et limiter le nombre de victimes. Cela laissera également aux laboratoires le temps de concevoir, puis de produire, le vaccin adéquat en quantité suffisante.

Ma dernière série de questions est peut-être plus complexe encore, monsieur le ministre, et je vous prie de m'en excuser. Elle concerne les mesures qui sont envisagées au moment où la pandémie fera son apparition en France.

Deux hypothèses sont concevables. La première, optimiste, suppose que le vaccin a déjà pu être mis au point, dans le cas où la pandémie serait apparue à l'étranger et où sa progression aurait pu être ralentie. La seconde, plus défavorable mais peut-être plus probable, envisage l'absence de vaccin disponible.

Dans les deux cas, l'urgence consistera à éviter les occasions de transmission de la maladie. Quelles seront les mesures à prendre en matière de fermeture des lieux publics, écoles, administrations, entreprises, moyens de transport... ? Comment seront conciliés les impératifs de sécurité sanitaire avec le maintien du minimum de vie économique indispensable aux besoins de la population ?

Il s'agira, ensuite, de traiter les malades et de protéger leur environnement. La France disposera, nous a-t-on dit, au début de l'année 2006, de 14 millions de doses de Tamiflu, dont une partie « en vrac ». Ce stock sera-t-il suffisant en cas de pandémie, notamment si le médicament doit aussi être utilisé de manière préventive ? Le service pharmaceutique de l'armée est-il vraiment en mesure de conditionner rapidement sous forme de cachets l'oseltamivir qui serait conservé « en vrac » ?

Si les besoins devaient être supérieurs aux réserves, les laboratoires français seront-ils à même de compléter la fabrication assurée par le laboratoire Roche, qui possède le brevet du Tamiflu ?

Dans le même ordre d'idée, les 200 millions de masques respiratoires FFP2 qui devraient être disponibles à la fin de l'année seront-ils suffisants en cas de pandémie, alors que leur utilisation n'est efficace que pendant six heures ? Les capacités de production nationales seront-elles à même de répondre à une explosion de la demande ?

Je souhaite également vous interroger, monsieur le ministre, sur la sécurité des personnes et des biens dans un contexte de crise.

Dès lors que les stocks d'antiviraux, de masques respiratoires et de matériel de protection sont, par définition, limités, avez-vous fixé des critères de priorité pour leur distribution, par exemple en faveur du personnel soignant et des forces de l'ordre ?

Le risque d'un mouvement de panique en cas d'épidémie est élevé. Comment sécuriser la distribution de médicaments et de masques, notamment par les officines ? Aura-t-on d'ailleurs les moyens de contrôler les produits de contrebande ou de contrefaçon, qui circulent déjà - nous en avons la preuve -, par exemple sur Internet ?

Par ailleurs, les personnels soignants et les hôpitaux se trouveront en première ligne et risquent de faire l'objet de harcèlement ou de menaces, surtout si, comme le prévoit le plan national de lutte contre la grippe aviaire, seuls les 5 % des malades les plus atteints auront accès à l'hôpital. On imagine mal des parents rester sereinement à leur domicile avec un enfant contaminé sans exiger au plus vite, et par tous les moyens, que des soins lui soient dispensés par un médecin de ville, probablement débordé, ou à l'hôpital.

Les services de santé disposeront-ils alors d'un dispositif de sécurité adapté, de façon à permettre une organisation optimale des soins à domicile et à l'hôpital ?

En outre, de quelle manière sera organisée la campagne de vaccination lorsqu'un vaccin aura été trouvé ? Obéira-t-elle également à des règles de priorité au profit de certains publics ?

La France aurait réservé par avance 40 millions de doses de vaccin de ce type. Cette quantité sera-t-elle suffisante si, comme cela semble évident, un rappel est nécessaire pour assurer l'efficacité du traitement ?

Enfin, la question centrale porte sur le délai de disponibilité d'un vaccin efficace mis au point à partir du virus muté. Est-il réellement concevable que celui-ci puisse être créé, testé et fabriqué en moins d'un an ? Le médecin que je suis reste malheureusement sceptique.

Telles sont, monsieur le ministre, les nombreuses questions que pose aujourd'hui la mise en oeuvre du plan national de lutte contre la grippe aviaire et sur lesquelles nous attendons des réponses. Je souhaite, pour ma part, que soit scrupuleusement respecté le principe de précaution, au moment où l'Organisation mondiale de la santé, l'OMS, déclare qu'il ne s'agit pas de savoir si la pandémie aura lieu, mais quand. Il convient toutefois d'éviter de créer une psychose chez nos concitoyens, qui nuirait à l'efficacité des mesures de prévention et à la prise en charge des éventuels malades.

Les modalités selon lesquelles notre pays, que je souhaite fidèle à sa tradition humaniste, interviendra en faveur des pays touchés par la pandémie méritent également d'être discutées.

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