Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi dont nous achevons aujourd'hui l'examen souffre de se trouver coincé entre la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, votée l'été dernier, et le nouveau projet de loi sur le pouvoir d'achat, présenté en conseil des ministres le 12 décembre dernier alors même que nous n'avions pas commencé la discussion du présent texte !
Loin de montrer l'attention toute particulière que le Gouvernement et sa majorité ont pour le pouvoir d'achat de nos concitoyens, le présent texte prévoit une série de mesures purement libérales, qui ont pour conséquence soit de valider des pratiques concurrentielles déloyales, par exemple les marges arrière, soit de mettre en cause les droits des salariés et des consommateurs.
Si l'on examine les conclusions de la commission mixte paritaire, peu d'avancées réelles sont à constater.
Le texte ne fait bien souvent que maquiller les abus de position dominante des plus grands de la distribution ou des oligopoles de la communication et de la banque.
Bref, malgré de nouveaux amendements, la CMP, loin de corriger les défauts du texte, a surtout confirmé la volonté de la majorité parlementaire de supprimer le droit au repos dominical. Car, et nous sommes désolés de vous le dire, c'est sans doute l'article de ce projet de loi qui marquera le plus !
Sur certains attendus idéologiques, le projet de loi tend à nous faire croire qu'une concurrence libre et non faussée serait la condition nécessaire à la baisse des prix et à l'amélioration du pouvoir d'achat de nos concitoyens.
Venant d'un gouvernement qui, après avoir privatisé Gaz de France, s'apprête à laisser cette entreprise accroître de près de 6 % ses tarifs dès le 1er janvier, l'affirmation ne manque pas de sel !
Comment cette question de la formation des prix a-t-elle été appréhendée ?
L'examen des comptes des géants de la distribution nous montre qu'au fil du temps la pratique des marges arrière, pudiquement appelées « accords de coopération commerciale », s'est généralisée et se traduit par des abus manifestes quant au principe de la liberté des prix.
Ainsi, sur la durée, vingt et un ans après l'ordonnance Juppé-Balladur, les résultats des géants du commerce de détail se sont chaque année bonifiés au détriment des fournisseurs, des petits producteurs agricoles, des marins pêcheurs.
Au demeurant, l'interdiction du seuil de revente à perte continue de ne pas concerner les producteurs de denrées périssables, ce qui signifie que nos éleveurs, nos paysans, nos marins pêcheurs sont toujours autorisés à subir la loi des grandes centrales d'achat !
Aujourd'hui, dans ces entreprises de grande distribution où l'on fidélise la clientèle avec de prétendues cartes de crédit, on s'autorise à ne payer ses fournisseurs que dans des délais égaux ou supérieurs à quatre-vingt-dix jours.
Pourquoi aucune disposition n'a-t-elle été prise, dans ce texte, sur cette question essentielle, alors que le Président de la République annonçait, le 7 décembre dernier, la réduction des délais de paiement à soixante jours maximum ?
Je retiendrai quelques éléments concernant la formation des prix.
Dans le prix d'un produit donné proposé sur le marché entrent bien souvent des éléments fort divers. La part des salaires se révèle, avec le temps, de plus en plus faible, en tout cas pour le dernier vendeur.
Pour ceux qui l'ignorent, Carrefour ou Auchan sont des enseignes où le coût du travail est d'ores et déjà particulièrement bas, représentant, cotisations sociales comprises, moins de 8 % du chiffre d'affaires !
Tout ce qui contribue, dans ce texte notamment, à demander poliment à ces grands groupes de bien vouloir baisser leurs prix - ce qui reste à prouver - va se traduire immanquablement par une pression accrue sur les salaires ou sur les fournisseurs.
Une pression accrue sur les salaires ? Mais est-ce encore possible quand 48 % des employés du commerce travaillent à temps partiel et que leur niveau de rémunération en équivalent temps plein est le plus faible de France, après celui des employés de maison ?
Une autre possibilité existe : celle de délocaliser les fournisseurs. Mais, si Carrefour ou Auchan décident de le faire - c'est déjà le cas pour une bonne partie des produits vendus sous marque de distributeur -, l'emploi dans notre pays y gagnera-t-il ?
Faut-il encourager, au motif d'une baisse des prix tout à fait hypothétique, un accroissement de notre déficit extérieur par un achat massif de denrées alimentaires, de produits textiles, de chaussures dans d'autres pays étrangers ?
Alors, bien entendu, vous avez commandité notre collègue Isabelle Debré pour déposer cet amendement visant encore à élargir les dérogations au repos dominical, en l'occurrence pour la vente d'éléments d'ameublement.
Une telle proposition soulève évidemment de sérieuses questions et aurait au moins mérité une concertation plus large avec toutes les parties intéressées, au lieu de faire droit uniquement aux attentes de patrons qui, depuis des années, violent la loi sur le repos dominical.
Dans un rapport récent que Daniel Raoul a cité, le Conseil économique et social, sous la responsabilité de M. Jean-Paul Bailly, PDG de La Poste - pourtant très partisan, dans sa propre entreprise, de la flexibilité des horaires -, alerte sur le sens de cette disposition.
Le rapport précise qu'il convient de ne pas banaliser le travail du dimanche et de n'envisager aucune nouvelle dérogation de plein droit.
En effet, l'amendement de Mme Isabelle Debré, que l'on peut aussi baptiser « amendement Ikéa-Conforama » - on pourrait même ajouter Leroy Merlin - vient ajouter une rubrique supplémentaire à la liste déjà bien longue des dérogations existantes concernant le travail du dimanche, qui en compte déjà plus de 180 !
De plus, comme chacun sait, le débat sur la dérogation est aussi ouvert de longue date - notamment depuis la loi quinquennale sur l'emploi de 1993 - pour les zones touristiques, et pas seulement pour des raisons de périmètre de ces zones !
Enfin, je dirai surtout que l'adoption de l'amendement en question revient à valider par la loi ce qui procède de la délinquance patronale.
Ainsi, à titre d'exemple, Conforama a été condamné pour ouverture dominicale à 150 000 euros d'astreinte pour chaque ouverture par le tribunal de grande instance de Pontoise !
De même, comment ne pas évoquer à nouveau le cas des enseignes de la zone de Plan de Campagne, dans les Bouches-du-Rhône, condamnées cet été par le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence !
Et qu'on ne vienne pas nous dire que les salariés de ces magasins sont favorables à l'ouverture du dimanche !