Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, réviser la Constitution, notre loi fondamentale, n'est jamais anodin. Et je serais tenté de dire que le caractère anodin d'un tel acte s'estompe encore lorsqu'il s'agit de permettre l'entrée en vigueur d'un texte qui, s'il était ratifié, affecterait, selon la terminologie utilisée par le Conseil constitutionnel à l'occasion de l'examen des traités de Maastricht et d'Amsterdam, les « conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ».
Il s'agit donc aujourd'hui, pour les parlementaires que nous sommes, de préparer l'entrée en vigueur du traité de Rome du 29 octobre 2004.
Je n'aurai pas peur de dire ici que ce traité, quasiment « refondateur » de l'Union européenne, présente beaucoup de défauts, notamment celui de constitutionnaliser des politiques publiques dans sa partie III.
Tel n'est toutefois pas l'objet de ma présente intervention, et mon ami Jean-Pierre Masseret a très bien dit hier dans la discussion générale ce que nous sommes nombreux à penser sur ce point.
Il faut cependant reconnaître à ce texte constitutionnel une qualité - pour ne pas dire une vertu -, et non des moindres, celle de prévoir, par son protocole n° 1, « une participation accrue des parlements nationaux aux activités de l'Union européenne » et de « renforcer leur capacité à exprimer leur point de vue sur les projets d'actes législatifs européens ainsi que sur d'autres questions qui peuvent présenter pour eux un intérêt particulier », ce dont tous les parlementaires des pays membres se réjouiront.
Mais nous, sénateurs français, à l'instar de nos collègues députés, pouvons-nous réellement participer à cette joie collective qui inonde sans aucun doute tous les parlements nationaux, de Madrid à Varsovie, de Stockholm à La Valette, si la Constitution de la Ve République reste telle qu'elle est aujourd'hui et telle qu'elle demeurera si nous adoptons le projet de loi constitutionnelle en l'état ?
Pour moi, la réponse est évidemment négative, car vous conviendrez facilement avec moi, chers collègues, qu'avant de se réjouir qu'un traité européen nous donne plus de pouvoirs encore faudrait-il que notre propre Constitution nous autorise à les utiliser !
Et si certains d'entre vous restent peu convaincus du constat, je les renvoie à la lecture du rapport qu'a rédigé notre excellent collègue le doyen Gélard au sujet de ce projet de révision constitutionnelle.
S'interrogeant sur les moyens « d'associer davantage encore le Parlement au droit de l'Union européenne », M. Gélard revient à l'une de ses propositions précédemment formulées, en l'occurrence obliger le Gouvernement à prendre en considération les résolutions parlementaires lorsqu'il détermine sa position au sein du Conseil des ministres de l'Union.
Mais, surpris de sa propre audace, le rapporteur de la commission des lois s'abrite immédiatement derrière la crainte du rétablissement d'un régime d'assemblée, pour conclure qu'envisager ainsi de remettre en cause l'équilibre des institutions de la Ve République mérite - M. Gélard me permettra de le citer une nouvelle fois - « d'être examiné avec la plus grande prudence ».
Cependant, mes chers collègues, comment pourrions-nous prendre une part accrue à la prise de décision en Europe sous le régime du traité constitutionnel si l'Assemblée nationale et le Sénat restent les deux chambres d'un Parlement « croupion », soumis à la bonne volonté d'un pouvoir exécutif dominé par le Président de la République, qui estime que la politique européenne reste partie intégrante de son domaine réservé ?
Ne laissons donc pas passer cette occasion de prendre les pouvoirs que nous offre le traité de Rome du 29 octobre 2004. Nos concitoyens, inquiets de la dérive bonapartiste - pour ne pas dire consulaire - de notre République ne le comprendraient pas !