Voilà quelques instants, M. le garde des sceaux nous disait son attachement à la Constitution de la Ve République.
Si j'ai déposé cet amendement, c'est pour réaffirmer moi aussi mon attachement à la Ve République.
On voit bien que se pose un problème d'interprétation. Pour le résoudre, affirmons la primauté de notre Constitution sur les autres formes de droit européen ! C'est le principe de cet amendement.
Que prévoit l'article I-6 ? Il constitutionnalise la jurisprudence de la Cour de Luxembourg. Or, M. Pierre Mazeaud l'a souvent dit, cette Cour a une vision téléologique et proclame haut et fort, en tout lieu, la supériorité du droit européen sur toute autre forme de droit, même constitutionnel, même postérieur.
J'avais prévu de défendre cet amendement différemment, mais, après avoir écouté MM. Mélenchon et Charasse ainsi que M. le rapporteur, je me situerai dans l'articulation de leurs propres raisonnements.
Hier, lors de la discussion générale, M. Gélard nous a dit qu'une double objection s'élevait sur ce point de la primauté du droit européen.
Faudrait-il, d'une part, lire l'article I-6 à la lumière de l'article I-5 ?
Cela ne semble pas nécessaire. En effet, réunis au sein de la conférence intergouvernementale, les chefs d'Etat ont affirmé, dans une déclaration particulière destinée à éclairer l'article I-6, que « la conférence constate que l'article I-6 reflète la jurisprudence existante de la Cour de justice des Communautés européennes ». Dont acte !
Cette déclaration correspond en tous points à l'article III-375 du traité, aux termes duquel les Etats membres s'engagent à ne pas soumettre un différend relatif à l'interprétation ou à l'application de la Constitution à une autre instance que la Cour de justice.
Je considère donc que ce va-et-vient entre les articles I-5 et I-6 est très fragile.
D'autre part, une deuxième ligne de défense, beaucoup plus complexe, a été développée par MM. Charasse et Mélenchon.
Ce que le Conseil constitutionnel nomme les « dispositions expresses contraires à notre Constitution » représente le « noyau dur du noyau dur ». Cela peut être le principe de l'égalité à la française, ou encore le principe de la laïcité à la française.
Nous disposons déjà d'une réponse sur ce point : M. Gélard parlait tout à l'heure de Karlsruhe. Or les juges de Karlsruhe savent à quoi s'en tenir, ils se fondent sur l'arrêt « Tanja Kreil » du 11 janvier 2000.
Dans quelles circonstances cet arrêt a-t-il été rendu ? Une directive européenne de 1976 stipulait le principe d'égalité entre hommes et femmes. Or, dans la loi fondamentale allemande, se trouve une disposition qui interdit aux femmes de porter les armes, cette disposition prenant tout son sens dans le cadre du processus de démilitarisation de l'après-guerre et touchant à l'identité même de l'Allemagne.
Cet arrêt nous intéresse pour trois raisons. Il y est d'abord explicitement question d'une « réserve expresse », d'une disposition expresse, l'égalité. D'autre part, il intervient dans le domaine de la défense, domaine qui n'est pas encore communautarisé. Enfin, il intervient sur une question d'identité, objet de l'article I-5 : on pourrait fort bien considérer comme une question d'identité en Allemagne le non-port d'une arme par les femmes, après les événements de la Deuxième guerre mondiale.
Sur le principe de laïcité, le Conseil constitutionnel, notamment vis-à-vis de l'article II-70, a un curieux raisonnement.
Pour faire en sorte qu'il n'y ait pas contrariété, il dit se fonder sur la jurisprudence établie non par la Cour de Luxembourg, mais par la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg.
Toutefois, cet arrêt du 29 juin 2004 est frappé d'appel. Le Conseil constitutionnel se fonde donc sur une jurisprudence qui n'est pas stable, ce qui est étrange.
De plus, cela sous-entend que l'on est certain que le juge de Luxembourg se soumettra demain au juge de Strasbourg. Or qui pourrait l'affirmer, mes chers collègues ?
Je suis bien sûr pour la paix, pour la prospérité, mais je considère que le droit est une matière objective. Si nous n'avons pas de certitude, prévoyons alors la primauté de la Constitution à l'article 1er du projet de loi de révision constitutionnelle, et tout sera clair !