Intervention de Yves Détraigne

Réunion du 10 novembre 2005 à 15h45
Mise en oeuvre de la lolf dans la justice judiciaire — Débat de contrôle budgétaire sur un rapport d'information

Photo de Yves DétraigneYves Détraigne, rapporteur pour avis :

En effet, la loi du 9 mars 2004 ne comprend pas moins de onze mesures qui tendent à accroître les frais de justice en matière pénale ; je pense, par exemple, aux frais de location de camions ou d'entrepôts pour des opérations d'infiltration, à ceux qui concernent les écoutes téléphoniques dans les nouvelles hypothèses d'intervention du juge des libertés et de la détention et du procureur de la République dans le cadre des enquêtes de flagrance, ou encore à la possibilité de prise en charge des frais de déplacement des victimes en cours d'enquête.

Je pourrais également citer d'autres lois coûteuses en termes de frais de justice, telles que la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure ou encore celle du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.

Toutes ces mesures sont de nature à alimenter l'inflation des frais de justice. Dès lors, pourriez-vous, monsieur le garde des sceaux, vous engager à éclairer le Parlement sur l'effet qu'aura dans ce domaine chaque réforme que vous nous soumettrez désormais ?

En outre, j'ai la conviction qu'une meilleure maîtrise des frais de justice nécessite une évolution de l'approche de ceux-ci au sein de la magistrature et la prise de conscience individuelle de l'impact financier des mesures ordonnées par chaque magistrat.

Une telle évolution ne me paraît d'ailleurs pas inconciliable avec la liberté de prescription des juges. Au contraire, elle est, à mes yeux, plus conforme à l'esprit de la LOLF, qui place au premier plan l'efficacité de la dépense.

Je souhaiterais donc savoir, monsieur le garde des sceaux, de quelle manière les magistrats seront sensibilisés à la maîtrise de ce poste budgétaire.

L'Ecole nationale de la magistrature consacre-t-elle du temps à cette problématique dans le cadre de la formation des auditeurs de justice ? Quelles sont les mesures prises pour sensibiliser les magistrats en fonction à cet impératif ? La formation continue aborde-t-elle cette question ?

Enfin - et ce sera ma dernière remarque au sujet des frais de justice - il me semble qu'une réflexion sur l'amélioration de la maîtrise de ces frais ne saurait être engagée sans que le périmètre des dépenses imputées sur ce poste budgétaire soit redéfini.

Les juridictions semblent avoir des difficultés à comprendre la nomenclature des dépenses figurant aujourd'hui sous la catégorie des frais de justice, compte tenu de la très grande - pour ne pas dire « trop grande » - hétérogénéité que cette catégorie recouvre. Cette situation donne parfois lieu à des erreurs d'imputation qui nuisent à la bonne gestion et au suivi de ce poste budgétaire et ce constat milite, me semble-t-il, en faveur d'une clarification de ce qui constitue véritablement les frais de justice et d'un recentrage de leur périmètre.

Cette démarche me paraît d'autant plus nécessaire qu'elle permettra de simplifier non seulement les tâches de gestion des frais de justice, mais aussi et surtout le suivi des dépenses engagées.

Certaines catégories de dépenses sont, en effet, financées sur ces crédits, alors qu'elles n'ont aucun rapport avec ceux-ci, et ne devraient donc plus y être incluses. Ce point peut, il est vrai, paraître mineur compte tenu du fait que ces charges représentent une part marginale de l'enveloppe allouée aux frais de justice, soit moins de 10 % des dépenses en volume. Toutefois, cette observation prend toute son importance dans la mesure où certaines d'entre elles sont en très forte progression depuis quelques années ; je pense, notamment, à la rémunération des délégués du procureur qui interviennent de plus en plus dans la procédure pénale.

Il me semblerait plus logique d'imputer la rémunération de ces acteurs désormais incontournables sur les dépenses de personnel, à l'instar de ce qui prévaut pour les indemnités allouées aux assesseurs des tribunaux pour enfants ou les vacations versées aux juges de proximité.

De même, il ne paraît pas cohérent de financer sur les frais de justice les indemnités allouées aux jurés d'assises, indemnités qui représentent tout de même 5 % des frais de justice en matière pénale.

Une réforme des modalités de rétribution des différents intervenants extérieurs au monde judiciaire, mais qui participent à l'activité juridictionnelle, pourrait-elle être envisagée ?

Mes derniers commentaires porteront sur les services administratifs régionaux, les SAR, qui apportent une aide précieuse aux chefs de cour dans le cadre de leurs fonctions de gestion.

A compter du 1er janvier 2006, l'ensemble des chefs de cours d'appel bénéficieront du transfert de la qualité d'ordonnateurs secondaires des dépenses des juridictions et de la responsabilité des marchés publics relatifs au fonctionnement courant, d'une part, des cours elles-mêmes et, d'autre part, des juridictions situées dans leur ressort. Ces compétences étaient auparavant, rappelons-le, exercées par les préfets.

Pour exercer ces nouvelles fonctions, les chefs de cours seront aidés par les SAR, chargés de les assister au quotidien et d'assurer les tâches résultant des orientations qu'ils ont définies.

Dans ce contexte, un alourdissement de la charge de travail des SAR à compter de l'année prochaine paraît prévisible. Ces derniers devront, d'une part, assumer les tâches liées à l'ordonnancement qui leur seront transférées par les préfectures et, d'autre part, développer le contrôle de gestion, qui constitue la contrepartie nécessaire de l'autonomie et de la responsabilisation accrue des gestionnaires.

Or je constate qu'il n'est malheureusement nullement envisagé, dans le projet de loi de finances pour 2006, de renforcer les SAR, qui devront absorber à effectifs constants, soit 763 agents, un surcroît de travail important. L'expérimentation menée dans neuf cours d'appel devrait pourtant avoir permis aux services de la Chancellerie de prendre la mesure de l'accroissement des charges engendrées par la mise en oeuvre de la LOLF et d'évaluer les moyens supplémentaires qui doivent être mis à leur disposition.

Pourriez-vous, monsieur le garde des sceaux, nous éclairer sur les raisons pour lesquelles aucun effectif supplémentaire n'est inscrit au projet de loi de finances pour 2006 ? Le groupe de travail mis en place en février 2005 afin de conduire une réflexion sur le rôle des SAR et sur la position des coordonnateurs placés à leur tête a-t-il déjà rendu ses conclusions ? En outre, pourriez-vous nous indiquer précisément si vous envisagez de prendre des mesures particulières pour rendre plus attractifs les emplois dans les services administratifs régionaux ?

Tels sont, monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les points sur lesquels je voulais intervenir au nom de la commission des lois à l'occasion de ce débat. La mise en oeuvre de la LOLF dans le domaine de la justice soulève certes de nombreuses interrogations, mais cela ne doit pas être interprété comme un signe négatif. Je rejoins en cela le rapporteur spécial de la commission des finances.

La réaction des acteurs de l'institution judiciaire démontre leur volonté de s'adapter aux exigences nouvelles imposées par la culture de la performance et de l'efficacité induite par la LOLF.

La LOLF n'en est qu'à ses débuts. Aussi, et compte tenu de toutes les questions soulevées, je forme des voeux pour que l'on ne fige pas, dès le projet de budget pour 2006, la maquette budgétaire de la mission « Justice » et pour que celle-ci ne soit pas fermée aux évolutions qui pourraient apparaître nécessaires.

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