Intervention de Pierre-Yves Collombat

Réunion du 10 novembre 2005 à 15h45
Mise en oeuvre de la lolf dans la justice judiciaire — Débat de contrôle budgétaire sur un rapport d'information

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

Les taux d'appel dépendent également de la jurisprudence de la Cour d'appel et de la durée des procédures. Longues, les procédures sont généralement dissuasives. Sont également dissuasives les jurisprudences dont les taux d'aggravation des peines sont élevés. Dans certaines cours, que je ne citerai pas, on fait très peu appel parce que l'on sait que la peine risque fort d'être aggravée.

Ainsi, les taux d'appel mesurent plus le modus operandi des cours d'appel que la qualité du travail des TGI.

A cet égard, permettez-moi de lire la conclusion d'un article paru en décembre 2001 dans Infostat justice : « Il serait donc illusoire d'espérer une interprétation univoque d'un taux d'appel global, en considérant par exemple qu'un faible taux d'appel serait le signe d'une bonne justice en premier ressort. »

Une décision de qualité serait-elle donc une décision acceptée par la vox populi médiatique ? Vous conviendrez avec moi que c'est souvent le contraire ! Est-ce une décision qui fait une place minimale à la détention provisoire ? Cette question n'est même pas évoquée.

Même un objectif apparemment facile à quantifier, comme « améliorer l'exécution des décisions pénales », n'est pas facile à interpréter, l'usage de la détention provisoire facilitant l'exécution des peines.

Ces difficultés, me direz-vous, ne résultent pas de la mise en place de la LOLF : elles tiennent à la complexité du domaine concerné ; en approfondissant notre réflexion, en « peaufinant » nos indicateurs, nous trouverons une solution. Probablement ! Mais, là où le problème se pose vraiment, c'est lorsque, pour entrer de force dans le cadre managérial, on en vient à privilégier l'accessoire au détriment de l'essentiel.

Cela me fait penser à ce que répondait Alfred Binet, l'inventeur des tests d'intelligence, à ceux qui lui demandaient : « Qu'est-ce que l'intelligence ? ». Il répondait : « C'est ce que mesure mon test » !

Qu'est qu'une bonne justice ? C'est ce que mesurent les indicateurs : les délais de réponse, le nombre de dossiers moyen par juges, l'ancienneté des stocks, le taux de rejet par le casier judiciaire national, etc.

Ces critères ne sont pas seulement imparfaits - tout critère est imparfait ! - ; ils sont la marque d'un choix, particulièrement contestable, de ce que serait une justice de qualité. C'est l'indicateur qui définit la justice et non plus la nature de la justice qui commande l'indicateur !

De fait, cela revient à privilégier le soin apporté au traitement des affaires simples, au détriment des affaires complexes, à la délinquance banale plutôt qu'à la délinquance financière. Ces choix ne sont pas que techniques, ils sont politiques.

En tout cas, réduire les erreurs matérielles et la « productivité » des magistrats ne peut constituer qu'une amélioration, certes utile, mais marginale de l'institution judiciaire.

Dans sa conclusion, le rapporteur spécial souhaite que « la réflexion sur la qualité des décisions juridictionnelles soit approfondie ». On ne peut qu'être d'accord !

Les indicateurs sont plus des révélateurs de dysfonctionnements que des compteurs de performance. S'il est utile, par exemple, de repérer des délais de traitements aberrants ou des distorsions importantes entre le nombre de dossiers traités par magistrats, afin d'y remédier, prétendre mesurer la qualité de la justice rendue avec de tels indicateurs chiffrés est non seulement un leurre, mais une tromperie susceptible d'entraîner de graves dérives.

Telles sont les quelques réflexions que le rapport stimulant de notre collègue m'a inspirées.

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