Monsieur le garde des sceaux, je comprends que vous appréciiez la sérénité du Sénat et ses débats décalés tandis que le Gouvernement décrète l'état d'urgence, avec les conséquences que l'on sait sur les libertés. Alors que vous donnez des instructions aux magistrats afin qu'ils ne soient pas trop laxistes, je trouve, pour ma part, très utile que le Sénat se préoccupe des budgets dévolus à la justice.
Cela étant, le rapport qui nous a été présenté est très intéressant. De quoi est-il question ? De l'explosion des frais de justice, de la « sortie » des juridictions administratives de la mission « Justice », de la déconcentration des crédits au niveau des cours d'appel et de la mesure de la performance dans le domaine de la justice judiciaire.
A titre liminaire, je tiens à vous faire part de mon inquiétude face à l'obsession du Gouvernement de vouloir à tout prix apprécier la performance dans le domaine de la justice. Cela s'est notamment traduit par le projet d'instaurer une prime aux résultats pour les magistrats, à laquelle nous nous étions totalement opposés.
Aujourd'hui - sans doute le tollé a-t-il été trop important - nous n'entendons plus parler de cette prime aux résultats. Mais le fond demeure : culture de gestion et mesure de la performance sont devenues les maîtres mots du budget de la justice.
Les magistrats eux-mêmes s'inquiètent de cette difficile mesure de la performance et se sont interrogés, lorsqu'ils ont été entendus par le rapporteur, sur la signification des « indicateurs de qualité » s'agissant des décisions juridictionnelles. Nous partageons leurs interrogations et craignons aussi que le non-respect de ces indicateurs de performance ne soit sanctionné par une réduction des moyens. Nous aimerions, monsieur le garde des sceaux, être rassurés sur ces points.
J'en viens maintenant aux deux points qui ont particulièrement attiré notre attention dans ce rapport, à savoir l'explosion des frais de justice et la « sortie » des juridictions administratives de la mission « Justice ».
Les frais de justice ont en effet explosé ces dernières années. La justice souffre globalement d'un manque de moyens, ainsi que tout le monde ne cesse de le souligner, et les frais de justice en absorbent une grande partie.
Quelles sont les causes de ce phénomène ? Le rapport en relève deux.
La première serait l'attente toujours plus grande des citoyens à l'égard de la justice. Ils demandent que de plus en plus de moyens soient mis en oeuvre en matière d'investigation et de « recherche de la vérité ». Quoi de plus normal ? Il est difficile d'aller contre la volonté des citoyens en la matière.
La seconde cause de l'augmentation des frais de justice serait l'évolution de la législation qui, comme le dit M. le rapporteur, « n'est pas sans incidence sur celle des frais de justice ». C'est le serpent qui se mord la queue !
En effet, il est souligné à plusieurs reprises que ces frais connaissent une forte augmentation essentiellement depuis 2002, notamment en raison des nombreuses lois pénales qui ont été votées durant cette période. Chers collègues de la majorité, pourquoi votez-vous tant de lois pénales ? Seriez-vous schizophrènes ? §
Citons quelques chiffres qui illustrent ce propos. Les frais de justice ont augmenté de 22, 87 % en une seule année, entre 2003 et 2004. Par ailleurs, les frais pénaux représentent à eux seuls 74 % des frais de justice.
Parallèlement à ce constat chiffré, le rapporteur énumère les lois qui ont une incidence sur ces frais : la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d'innocence - va-t-on critiquer le fait que l'on se soit attaché à la présomption d'innocence ? Ce n'est d'ailleurs pas cette loi, sur laquelle le Parlement est revenu, qui va nous coûter de l'argent - la loi du 18 mars 2003 relative à la sécurité intérieure, la loi du 3 février 2003 relative à la conduite sous l'emprise de stupéfiants et, enfin, la loi Perben II du 9 mars 2004.
Le rapporteur prend également comme exemple le fichier national automatisé des empreintes génétiques, qui ne cesse de subir depuis sa création en 1998 de multiples extensions de son champ d'application, ce qui entraîne bien évidemment une augmentation des frais. Cela va continuer avec la multiplication des fichiers.
Un certain nombre de problèmes se trouvent ainsi posés.
Tout d'abord, il n'est pas acceptable qu'en 2004 environ 90 % de l'augmentation des crédits consommés pour le fonctionnement des services judiciaires aient été dévorés par la majoration des frais de justice.
Ensuite, il est incompréhensible que le Gouvernement ne prenne pas en compte cette réalité pour réajuster le budget de la justice pour 2006. En effet, depuis l'exercice 2003, la sous-évaluation des frais de justice est incontestable, et nous la constatons une fois encore pour 2006. Le Gouvernement a fixé son évaluation des frais de justice à 370 millions d'euros, alors que ces frais se sont élevés à 419 millions d'euros en 2004 et que leur progression annuelle est d'environ 20 %. C'est incroyable !
C'est pourquoi je ne me réjouirais pas aussi vite que le rapporteur de la progression régulière du budget de la justice, puisque cette progression est finalement absorbée par des frais sous-évalués.