Madame le garde des sceaux, c'est peu de dire que le projet de loi que vous venez de présenter était longuement attendu. Que ce texte soit d'abord présenté au Sénat, comme l'a rappelé M. le président du Sénat, est, pour nous, un signe, le signe d'une juste reconnaissance de la part prise par notre assemblée dans un processus qui touche maintenant à son terme.
Le Sénat a largement ouvert la voie au projet de loi par le biais, tout d'abord, des recommandations de la commission d'enquête sénatoriale de 2000, dont le rapport intitulé Prisons : une humiliation pour la République a, je crois, contribué à réveiller les consciences et, ensuite, de la proposition de loi sénatoriale relative aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires et au contrôle général des prisons adoptée ici, en 2001, à l'unanimité.
Bien entendu, le Sénat n'a pas plaidé seul en ce sens. Il faut saluer la contribution majeure de la mission conduite par M. Guy Canivet, alors Premier président de la Cour de cassation, sur l'amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, ainsi que les travaux de l'Assemblée nationale réalisés sous l'égide de notre collègue, Louis Mermaz.
Ce projet de loi s'inscrit donc dans un climat très consensuel, même si certains médias font croire le contraire. Certes, des débats peuvent s'engager sur certains points du projet de loi, mais, en l'espèce, on ne peut pas ne pas parler de consensus, au moins au sein de notre assemblée.
L'instauration d'un contrôle extérieur répond à quatre exigences.
D'abord, je veux le souligner avant tout, la privation de la liberté d'aller et de venir ne doit jamais porter atteinte au respect de la dignité de la personne, qui est l'une des valeurs essentielles de nos sociétés démocratiques. Le contrôle extérieur apparaît, à cet égard, comme une garantie pour prévenir les abus que peut éventuellement favoriser un milieu clos.
Ensuite, le contrôle extérieur est aussi une nécessité pour les administrations chargées des lieux de privation de liberté. Ces administrations et leurs personnels, comme nous en ont convaincu les nombreuses personnes entendues, attendent d'un contrôle extérieur qu'il dissipe les suspicions qui s'attachent, par principe, aux yeux de l'opinion publique, aux lieux d'enfermement. Ces doutes sont le plus souvent injustes, si l'on considère les progrès réels accomplis, au cours de ces dernières années, pour humaniser les conditions de détention dans les prisons.
Un contrôle extérieur permettra aussi de prendre la mesure des efforts et du dévouement des personnels auxquels, moi aussi, je souhaite rendre ici un hommage mérité.
Le contrôle extérieur est également une exigence non pas parce que les lieux d'enfermement seraient soustraits à tout contrôle mais, au contraire, parce qu'ils sont soumis à des contrôles, dont la multiplicité conduit à une certaine déresponsabilisation. Fragmentés et parfois bien théoriques, ces contrôles ne donnent pas vraiment satisfaction.
Ces insuffisances justifient donc pleinement la mise en place d'un contrôle unifié et cohérent.
La dernière exigence à laquelle répond le contrôle extérieur est une exigence internationale.
Le protocole facultatif à la convention des Nations unies contre la torture, que la France a signé le 16 septembre 2005 et qu'elle devrait ratifier avant la fin du premier semestre 2008, prévoit la mise en place d'un mécanisme national de prévention indépendant chargé d'examiner régulièrement la situation des personnes privées de liberté.
Plusieurs de nos voisins ont déjà institué le dispositif de contrôle prescrit par le protocole facultatif, ou sont en voie de le faire. Notre pays ne saurait donc rester à l'écart de ce mouvement.
Aux termes du protocole facultatif, le contrôle extérieur doit porter sur l'ensemble des lieux de privation de liberté. Cette extension nous paraît très opportune, car les lieux d'enfermement soulèvent une problématique commune au regard du respect des libertés et de la dignité des personnes.
Madame le garde des sceaux, vous avez présenté l'économie générale du dispositif qui nous est proposé ; je n'y reviens donc pas.
La commission des finances a approuvé le choix d'instituer une fonction de contrôle spécifique, unifiée et indépendante. Aurait-il fallu rattacher cette fonction au Médiateur de la République, comme l'avait d'abord envisagé le précédent gouvernement ? Nous avons bien sûr longuement discuté de cette option au sein de notre commission, et nous en débattrons de nouveau à l'occasion de l'examen des amendements.
Toutefois, nous pensons qu'il est préférable de confier la fonction de contrôle à une autorité spécifique, et ce choix ne procède évidemment pas d'une quelconque défiance à l'égard du Médiateur. Bien au contraire ! Jean-Paul Delevoye, l'actuel Médiateur de la République, a accompli un travail exemplaire dans les prisons, en développant, en accord avec l'administration pénitentiaire, l'action des délégués du Médiateur dans les prisons. Simplement - et tel est le cas en Grande-Bretagne - le travail de médiation est différent de celui du contrôle.
Le Médiateur de la République lui-même évoque l'« obligation de séparation stricte des deux missions ». Une grande majorité des personnalités que nous avons entendues, en particulier le représentant du Conseil de l'Europe, ont plaidé pour la mise en place d'une fonction de contrôle spécifique et autonome. Tel était d'ailleurs l'esprit des recommandations de la mission présidée par M. Guy Canivet et le principe retenu par la proposition de loi sénatoriale. Sans doute, notre position aurait-elle été différente si la France disposait, sur le modèle de certains pays scandinaves, d'un véritable « ombudsman », ...