Intervention de Laurent Béteille

Réunion du 31 juillet 2007 à 10h00
Contrôleur général des lieux de privation de liberté — Discussion d'un projet de loi

Photo de Laurent BéteilleLaurent Béteille :

La commission d'enquête dressait également un constat sévère à propos des contrôles exercés dans les établissements pénitentiaires et estimait indispensable que « la France se dote d'un organe de contrôle externe des établissements pénitentiaires ». Ainsi, en avril 2001, soucieux de répondre aux critiques adressées au système pénitentiaire français, le Sénat adoptait une proposition de loi de MM. Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel, qui visait à mettre en oeuvre sans attendre les propositions de la commission d'enquête relevant du domaine de la loi.

L'objectif de ce texte était double. Il s'agissait d'améliorer sans délai les conditions de détention et de créer un contrôleur général des prisons doté de larges pouvoirs d'investigation. Le Sénat apportait déjà des solutions législatives à une préoccupation récurrente.

Certes, cela vient d'être rappelé, les prisons font l'objet de plusieurs contrôles - je dirais même d'une multiplicité de contrôles -, mais ce système n'est absolument pas satisfaisant.

Quel est l'état actuel du droit ?

Tout d'abord, la loi fait obligation aux magistrats du parquet, aux juges de l'application des peines, aux juges d'instruction, aux juges des enfants et aux présidents des chambres de l'instruction de visiter régulièrement les établissements pénitentiaires, afin de contrôler les conditions de détention des personnes dont ils ont la charge.

Dans chaque établissement, une commission de surveillance placée sous la présidence du préfet du département contrôle le fonctionnement de l'établissement et peut communiquer ses observations au ministre de la justice.

Les prisons sont soumises au contrôle de l'inspection des services pénitentiaires et, plus largement, à celui de l'inspection générale des services judiciaires.

Depuis la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, les députés et les sénateurs sont autorisés à visiter à tout moment les établissements pénitentiaires de leur choix. Ils peuvent aussi saisir, sur la base de la dénonciation d'un fait précis, la Commission nationale de déontologie de la sécurité. Celle-ci peut ensuite formuler des recommandations qui font l'objet d'une publication. J'oublie certainement dans cette liste un certain nombre d'autres dispositifs !

Ces modalités d'un contrôle atomisé présentent, dans les faits, certaines limites. Les contrôles apparaissent souvent trop ponctuels, s'agissant par exemple de la saisine de la commission nationale de déontologie de la sécurité. Ils sont parfois - il faut bien le dire ! - dépourvus d'effectivité et d'efficacité. Ainsi, dans beaucoup d'établissements, la tenue de la commission de surveillance s'apparente à un exercice formel. Les garanties d'indépendance font également parfois défaut.

Sous l'impulsion du gouvernement précédent, un premier pas a été franchi pour accorder une plus grande attention aux droits des victimes. En mars 2005, madame le garde des sceaux, votre prédécesseur, Pascal Clément, et le Médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye, ont signé une convention permettant l'expérimentation de l'intervention des délégués du Médiateur de la République dans dix établissements pénitentiaires. Cette expérimentation, qui a été couronnée de succès, a été généralisée en janvier 2007.

En effet, vingt-cinq nouvelles permanences ont été créées dans les établissements pénitentiaires de plus de 300 détenus, parmi lesquels figure la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, situé dans mon département, qui est, avec 3 500 détenus, le plus grand établissement pénitentiaire de France.

Le bilan de l'expérimentation s'est donc avéré particulièrement positif et extrêmement encourageant. La tenue de permanences de délégués dans les prisons a rendu l'institution accessible et a permis de répondre à un réel besoin, puisque le nombre annuel de saisines du Médiateur de la République est de l'ordre de 700.

L'intervention des délégués s'est avérée efficace, puisqu'elle a permis de prendre en compte des litiges qui ne pouvaient être traités par une autre voie. Un tiers des réclamations concernent des litiges opposant des détenus et l'administration pénitentiaire. Il s'agit notamment de demandes de transfert ou de la perte d'effets personnels. L'administration pénitentiaire a pleinement joué le jeu - et c'est tout à fait satisfaisant - en facilitant la tâche des délégués, tout en respectant leur indépendance. D'ailleurs, les directeurs d'établissement n'hésitent pas à dire que la présence du délégué constitue un facteur important de réduction des tensions et de prévention des conflits à l'intérieur des établissements.

Le gouvernement précédent souhaitait que la mission de contrôle des établissements pénitentiaires soit confiée au Médiateur de la République. Votre choix, madame le garde des sceaux, est différent, puisque vous proposez de créer une autorité administrative indépendante chargée de contrôler tous les lieux de privation de liberté. À titre personnel, je m'en félicite, car cela permettra d'éviter un mélange des genres entre la médiation et le contrôle. D'ailleurs, ce mélange des genres était si évident que le Médiateur de la République lui-même prévoyait de bien différencier, au sein de ses services, les deux fonctions, ce qui prouve bien que, en réalité, elles n'ont pas grand-chose à voir l'une avec l'autre. J'aurais d'ailleurs craint que le contrôle du Médiateur de la République ne soit qu'un contrôle de plus, dont nous n'avons pas réellement besoin, comme nous l'avons vu.

Madame le garde des sceaux, ce projet de loi montre clairement la volonté de la France de s'engager pleinement dans un contrôle indépendant, effectif et efficace non seulement des établissements pénitentiaires, mais de l'ensemble des lieux de détention, quelle qu'en soit la nature : les centres hospitaliers spécialisés, les dépôts des palais de justice, les centres de rétention administrative ou toutes les cellules des gendarmeries et des commissariats de police.

Le contrôleur pourra même faire des contrôles inopinés, en tout cas lorsque des circonstances particulières l'exigent. Ne recevant, dans l'exercice de ses attributions, aucune instruction d'aucune autorité, c'est à lui que revient d'apprécier ces circonstances.

Ce projet de loi permet ainsi à notre pays de répondre aux standards européens en la matière et de respecter les stipulations du protocole facultatif à la convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, que la France a signé le 16 septembre 2005.

Il ne serait en effet pas normal que la législation d'un grand pays démocratique comme le nôtre ne soit pas en conformité avec les normes européennes.

Je voudrais maintenant dire quelques mots du problème de la surpopulation carcérale, que la commission d'enquête du Sénat sur les prisons avait dénoncée comme « la honte de la République ».

Ce problème majeur perdure malgré les efforts importants et louables consentis ces dernières années par la Chancellerie en matière de constructions immobilières.

Ce sont en effet près de 61 000 détenus, selon l'administration pénitentiaire, qui peuplent actuellement les 188 établissements français, dont la capacité totale est de 51 000 places.

Ainsi, 10 000 détenus supplémentaires sont venus grossir la population carcérale ces cinq dernières années.

Toujours selon l'administration pénitentiaire, 80 000 personnes pourraient être détenues en 2017. Or les prisons, à cet horizon, ne devraient disposer que de 64 000 places.

Ces chiffres sont inquiétants.

La situation des prisons françaises a, en outre, donné lieu à une appréciation sévère de M. Álvaro Gil-Robles, ancien commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, dans le cadre de son rapport sur le respect effectif des droits de l'homme en France, présenté en février 2006 au terme d'une mission conduite du 5 au 21 septembre 2005.

Si je ne peux qu'acquiescer au constat dressé quant à la surpopulation carcérale et à la vétusté de certains établissements pénitentiaires, j'estime en revanche que ce bilan ne tient pas suffisamment compte des évolutions engagées au cours des dernières années dans plusieurs domaines pour améliorer les conditions de détention, en particulier à travers la modernisation des infrastructures pénitentiaires ou l'amélioration de la prise en charge médicale.

Vous ne m'en voudrez pas revenir sur la situation de Fleury-Mérogis, la plus grande prison d'Europe, pour laquelle un programme immobilier de 340 millions d'euros est actuellement en cours. Après une longue période d'abandon incompréhensible de l'entretien de cet établissement, ce programme, lancé en 2004, s'étalera sur plusieurs années. Il permettra la remise en état de 350 cellules qui, malgré la surpopulation carcérale, étaient insalubres et, de ce fait, inoccupées - situation inadmissible et incompréhensible. Heureusement, les choses reviennent dans l'ordre.

Sont encore à réaliser la rénovation de l'ensemble des autres hébergements et la construction d'un nouveau quartier de 120 places dédié aux courtes peines, qui favorisera la réinsertion des détenus.

Il faut poursuivre ces efforts pour améliorer le parc immobilier pénitentiaire français, mais il convient également d'aller plus loin.

Parce qu'il est temps de porter un regard nouveau sur la prison, parce qu'il faut transcrire dans notre ordre juridique interne les règles pénitentiaires européennes, parce qu'il est temps d'accorder toute sa place aux impératifs d'insertion et de réinsertion à la sortie de prison, parce qu'il importe d'assurer un meilleur respect des droits fondamentaux des personnes détenues, la mise en oeuvre rapide d'une profonde réforme du système carcéral est nécessaire et urgente.

À cet égard, nous nous félicitons de la discussion prochaine d'une grande loi pénitentiaire, que nous appelons de nos voeux.

Pour reprendre vos propos, madame la ministre, « ce qui est en jeu, ce sont, d'une part, la sécurité des Français et, d'autre part, la réinsertion des détenus. C'est l'affaire de tous. La fermeté n'exclut pas l'humanité. »

Sachons protéger la société en ne laissant pas s'installer le sentiment d'impunité. Mais sachons également prévenir, éduquer et sanctionner. Sachons aussi favoriser la réinsertion des personnes les plus vulnérables.

Au vu de ces observations, les membres de mon groupe et moi-même, nous réjouissant de son dépôt devant le Sénat, soutiendrons ce projet de loi car il permet de garantir le respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté.

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