Comme vous l'aurez compris, je ne voterai pas non plus ce projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire.
J'ai eu l'occasion de m'exprimer longuement hier, un peu moins aujourd'hui, notamment contre la création de la Haute autorité de sûreté nucléaire.
Je voudrais citer ici quelques lignes de l'intervention de M. Prieur, un juriste qui a été auditionné à de nombreuses reprises par la commission nationale du débat public lors des débats sur l'EPR.
M. Prieur, analysant le projet de loi, affirme ceci :
« La Haute autorité de sûreté nucléaire apparaît comme un démembrement de l'administration donnant tous les moyens humains, financiers et techniques à un collège de cinq personnes désignées pour six ans et inamovibles. Elle dispose de plus d'énormes pouvoirs juridiques pour édicter des règlements et effectuer des contrôles. Elle se substitue en réalité aux services du ministère de l'industrie. Ne recevant aucune instruction d'un ministre, ni du Gouvernement, elle échappe donc à tout contrôle hiérarchique et aussi à tout contrôle politique, que ce soit du Parlement ou du Gouvernement.
« Ce type de structure n'a pas d'équivalent, car les autorités administratives indépendantes existantes n'ont pas un pouvoir aussi étendu consistant à la fois à disposer d'un pouvoir de police spéciale - c'est-à-dire du pouvoir d'édicter des règlements -, d'un pouvoir de contrôle et du pouvoir d'information. »
Le plus grave dans la réforme proposée est bien la perte totale de responsabilité réelle du politique sur un sujet qui le concerne directement : la sécurité des citoyens. C'était d'ailleurs l'argument central du Conseil d'État lors de son refus de la première tentative de 1999.
Le principal argument de principe invoqué dans l'exposé des motifs pour justifier cette réforme est la nécessité de l'indépendance vis-à-vis « des personnes en charge de la promotion, du développement ou de la mise en oeuvre des activités nucléaires ».
S'il s'agit de « personnes », on pourrait faire valoir que les personnes du corps des mines sont directement visées, puisqu'elles sont à la tête à la fois des entreprises du secteur nucléaire, de l'administration qui assure leur tutelle et de celles qui sont responsables de leur contrôle.
Plus sérieusement, l'exposé des motifs met en avant les objectifs contradictoires de la promotion industrielle du nucléaire et de son contrôle.
Il y a une façon simple de résoudre cette contradiction : c'est que la sûreté soit une administration qui dépende non pas du ministère de l'industrie, mais uniquement du ministère de l'écologie, comme la direction de la prévention des pollutions et des risques, la DPPR.
J'ai eu l'occasion d'expliquer que, au-delà de l'irresponsabilité politique, le fonctionnement du système serait à mon avis assez rapidement rendu impossible.
Pour un semblant de respect de l'autorité politique, il est précisé que la réglementation générale de sûreté restera de la compétence du Gouvernement, la Haute autorité n'étant que consultée. Il y aura également des arrêtés ministériels.
Mais qui élaborera ces textes : le Gouvernement va-t-il se doter d'une nouvelle administration chargée de la réglementation de la sûreté, après avoir transféré la quasi-totalité de ses moyens actuels à l'autorité ?
On imagine la lourdeur d'un tel dispositif, les conflits, la paralysie du système, ou bien la démission totale du Gouvernement qui se contenterait d'entériner les textes de l'autorité jusqu'au jour où il y aura un problème et où le Premier ministre se retrouvera en première ligne.
J'ai évoqué aussi les accidents. Selon l'exposé des motifs, « le 4° de l'article 2 bis définit les missions de la Haute autorité de sûreté nucléaire en cas de situation d'urgence radiologique ou d'accident sur une installation nucléaire ».
Soyons concrets : dans ce cas, la Haute autorité se défile et « repasse la balle » au Gouvernement et au Premier ministre. On imagine le désordre !
Quand un accident devient-il assez grave pour que ce « transfert de responsabilités » se produise ? Qui décide ? Sur quelles bases, puisque toute la connaissance sera du côté de l'autorité ? On imagine les coups de téléphone affolés à trois heures du matin - c'est l'heure des accidents en général - d'un cabinet de Matignon complètement pris de court !
On enregistre le même désordre dans le fonctionnement normal : on notera par exemple dans l'exposé des motifs, s'agissant de l'article 2 decies, le commentaire suivant, qui semble surréaliste : « Il est de même souhaitable que l'autorité puisse continuer à disposer, notamment dans ses antennes territoriales, de l'intervention à temps partiel de cadres dirigeants des services de l'État, notamment des directeurs régionaux de l'industrie, de la recherche et de l'environnement - DRIRE. Une possibilité de mise à disposition à temps partiel doit donc être ouverte ». Pauvres DRIRE ! C'est tout simplement ridicule : le système deviendra rapidement inopérant.
J'ai eu également l'occasion de souligner le caractère extravagant des pouvoirs concentrés dans les mains du seul président de la Haute autorité, qui exerce en propre les pouvoirs en ce qui concerne le personnel et la gestion financière, l'ordonnancement et la liquidation de la taxe sur les installations nucléaires de base, le budget de l'IRSN, dont l'indépendance devrait pourtant être garantie.
Je terminerai, madame la ministre, en disant que tout n'est pas noir dans ce projet de loi, notamment en ce qui concerne l'information.
Je salue le fait que le contrôle des informations reste du domaine de la CADA. Je salue la mise en place d'un régime stable pour les CLI, même si je déplore que les exploitants et la Haute autorité en soient membres de droit, tout comme ils le sont du Haut comité de transparence sur la sécurité nucléaire, dont je préfère ne rien dire de plus, parce qu'il n'y a décidément rien de neuf par rapport au Conseil supérieur de la sûreté et de l'information nucléaires : le « machin » restera le « machin ».
Pour conclure, je pense que l'ensemble du projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire devrait être inséré dans le code de l'environnement et renuméroté à cet effet.
En effet, le texte traite de matières qui relèvent déjà dudit code : les risques majeurs, le droit à l'information, les déchets radioactifs, et l'article 29 du projet de loi prévoit la modification d'un article du code de l'environnement. Le refus d'une telle codification pourrait être considéré comme contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la lisibilité et l'accès au droit, et permettre un recours devant le Conseil sur l'initiative des parlementaires, ce que, j'imagine, vous ne souhaitez pas réellement.
Un tel recours me semble, par ailleurs, envisageable si le texte définitif transfère à la Haute autorité un pouvoir réglementaire, car il s'agit là d'une atteinte directe à la Constitution.
Vous avez considéré qu'il n'en était rien ; ce n'est pas ma façon de voir les choses. En tout cas, ce risque existe, et vous devriez en être conscients.