Intervention de Jean-Pierre Godefroy

Réunion du 5 novembre 2004 à 10h30
Cohésion sociale — Article 37-1

Photo de Jean-Pierre GodefroyJean-Pierre Godefroy :

Tout d'abord, il me semble nécessaire de dénoncer une nouvelle fois les méthodes utilisées par le Gouvernement. Ce dernier, après avoir présenté aux organisations un avant-projet de loi provocateur inspiré des thèses les plus libérales défendues par le MEDEF, nous dévoile maintenant une version édulcorée, marquée par de légers reculs qui ont pour seul objectif de masquer une stratégie fondée sur la collusion existante entre les intérêts du MEDEF, du Gouvernement et de la majorité.

Nous ne sommes pas dupes et constatons que, au-delà des déclarations de M. Premier ministre mettant en garde le MEDEF à l'égard de certaines de ses revendications à l'affichage trop libéral, la philosophie gouvernementale demeure la recherche du moins-disant social rendant les licenciements plus aisés, plus rapides et moins coûteux pour le patronat. Cette lettre rectificative en est une fois de plus une illustration.

Avec l'article 37-1, nous abordons un volet essentiel du projet de loi, à savoir celui qui est relatif aux restructurations. Il est d'autant plus important qu'il concerne potentiellement l'ensemble des salariés de notre pays.

Le contexte économique et social inquiétant dans lequel intervient ce texte accroît nos appréhensions. En effet, rappelons- nous que, depuis l'entrée en vigueur de la loi Fillon, les plans sociaux se sont succédé ; l'ensemble de nos régions ont été touchées et l'année 2003 a été marquée par plus de 1 300 plans sociaux, soit une augmentation de plus de 30 % par rapport à l'année précédente. Cette année 2003 fut la première depuis 1993 au cours de laquelle un recul du nombre d'emplois, s'élevant à 67 000, a été enregistré dans notre pays.

Malheureusement, cette dégradation s'est poursuivie. Le chômage, au sens du Bureau international du travail, a connu sa plus forte hausse de l'année au mois d'août dernier : 1, 2 %. Notre pays compte actuellement plus de 2 700 000 demandeurs d'emplois et enregistre un taux de chômage de 9, 9 %. Les moins de vingt-cinq ans sont particulièrement touchés puisque cette tranche d'âge connaît un taux de chômage de 21, 5 %. Le nombre de jeunes chômeurs s'établit à 432 700. Par rapport à l'année 2003, ce sont 25 900 jeunes supplémentaires qui sont demandeurs d'emploi.

Ces chiffres sonnent comme un désaveu de la politique de l'emploi que mène cette majorité. Mais rien n'y fait et malgré la gravité de la situation, le Gouvernement non seulement maintient son cap, mais accentue encore la précarisation du monde salarié et la déstabilisation du code du travail.

Nous sommes loin de la volonté affichée par M. le Premier ministre il y a quelque temps de « remettre la France au travail » et loin des 2 millions d'emplois créés et des 960 000 chômeurs de moins enregistrés entre 1997 et 2001.

Ainsi, si le terme « »simplifier » à disparu du texte qui nous est présenté, il n'en demeure pas moins que ce projet s'inscrit dans la volonté de porter un nouveau coup au code du travail et de rendre les licenciements économiques plus aisés.

Lors de la discussion sur la loi portant relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques et relative au recouvrement, par les institutions gestionnaires du régime d'assurance chômage, des prestations de solidarité versées entre le 1er janvier et le 1er juin 2004 aux travailleurs privés d'emploi dont les droits à l'allocation de retour à l'emploi ont été rétablis, le groupe socialiste avait mis en exergue le fait que la suspension des dispositions contenues dans la loi de modernisation sociale sous-tendait, à terme, leur abrogation. Nous y sommes parvenus.

Ainsi, après avoir, par le biais de la loi n° 2003-6 du 3 janvier 2003, suspendu les dispositions visant à encadrer les licenciements contenues dans la loi de modernisation sociale, le Gouvernement veut les abroger purement et simplement.

Monsieur le ministre, nous voilà donc revenus pour partie à la législation qui prévalait en 1986 et 1989, comme si le monde n'avait pas changé depuis, comme si la globalisation de notre économie ne s'était pas accélérée, comme si les dégraissages boursiers n'avaient pas cruellement touché notre société, comme si l'appétit des actionnaires allié à la logique financière ne s'était pas imposé à l'économie productive pour, in fine, devenir la pierre philosophale des chantres du libéralisme le plus cruel.

M. Gournac dans son rapport supplémentaire note : « L'échec des négociations conduit le Gouvernement à proposer [...] l'abrogation de ces articles et à déposer le présent projet de loi pour définir de nouvelles règles ».

L'échec est en effet patent, mais comment s'en étonner lorsque l'on constate que le patronat obtient l'essentiel de ce qu'il souhaite alors que les organisations syndicales n'ignorent pas que le but visé est de rendre plus faciles les licenciements ? Au reste, lors de la suspension des articles de la loi de modernisation sociale, le président du MEDEF n'avait-t-il pas confié douter « très fort de la capacité qu'auraient les syndicats a accepter les propositions des employeurs dans ce domaine et réciproquement » ? La cause semblait dès lors entendue.

En abrogeant définitivement ces dispositions mises en oeuvre par le gouvernement de Lionel Jospin et qui, chiffres à l'appui, avaient fait la preuve de leur pertinence et de leur efficacité, vous détruisez l'un des freins essentiels à la logique des licenciements économiques.

Ainsi, l'abrogation de l'article 96 de la loi du 3 janvier 2003 porte un ultime coup à la logique de réduction négociée du temps de travail qui, dans un esprit de préservation de l'entreprise et de l'emploi, pouvait s'avérer être un instrument efficace.

Il en est de même avec l'abrogation des articles 97 et 98 de ladite loi. Vous supprimez les études d'impact social et territorial dès lors que serait envisagée une cessation d'activité pour une entreprise de plus de cent salariés ou bien une décision stratégique ayant des conséquences sur l'emploi.

Cette mesure est contraire à une gestion prévisionnelle des ressources humaines et économiques d'un territoire, et ce ne sont pas les dispositions contenues dans l'article 37-2 du présent projet de loi qui constitueront un instrument à même de prendre les mesures de reclassement rendues nécessaires par un plan de licenciement.

Cette abrogation, comme nous le voyons d'ores et déjà, rend l'annonce des licenciements effectifs encore plus brutale tant pour les salariés directement concernés que pour les collectivités, qui supportent non seulement les conséquences de cette mesure, mais aussi la paupérisation de leur population.

En abrogeant les articles 99, 100 et 101 de la loi précitée, vous excluez les salariés du champ d'information concernant les choix économiques et stratégiques effectués par la direction des entreprises. Par là même, vous niez la dimension collective de l'entreprise et accentuez la propension de certains patrons à considérer les salariés uniquement comme un facteur de production parmi tant d'autres, ce qui est proprement inadmissible.

Enfin, en supprimant l'article 106 de la même loi, le Gouvernement accède à une demande récurrente du MEDEF concernant la saisie d'un médiateur en cas de divergence importante sur le projet de restructuration. Ainsi, alors que ce dernier pouvait permettre de renouer le dialogue entre les partenaires sociaux ou les diverses parties en présence, désormais, le recours à une tierce personne, si important dans certains cas, n'existera plus, laissant direction et salariés dans un face-à-face implacable.

Voilà un peu plus d'un an, le Conseil d'analyse économique, rattaché, comme vous le savez, aux services du Premier ministre, déposait un rapport intitulé « Protection de l'emploi et procédure de licenciement » dans lequel il proposait « des pistes pour responsabiliser davantage les entreprises dans leur politique de gestion du personnel ».

Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, j'en viens à ma conclusion. Hier soir, nous examinions un texte que l'on pouvait encore qualifier de « cohésion sociale ». D'ailleurs la discussion de nombreux amendements, acceptés certains par les membres du groupe socialiste, d'autres par la majorité sénatoriale, a donné lieu à un dialogue de cohésion sociale.

Aujourd'hui, avec l'adjonction de ces huit articles, il me semble que nous discutons d'un texte de cohésion non pas sociale mais patronale. C'est un changement, un autre texte qui vient se greffer sur le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale.

Je serais curieux de savoir ce que pense véritablement M. Borloo...

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