Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question des migrations est au cœur de notre relation avec les pays du Sud. Avec certains de nos partenaires, elle occupe le tout premier plan de la relation bilatérale.
C’est une question particulièrement complexe : sociale, économique et politique, elle touche également à ce que peut avoir de personnel, voire d’intime, cette aspiration au départ ou cette nécessité de quitter son pays. C’est pourquoi la question des migrations se gère non pas seulement aux frontières, mais aussi, en amont, sur le territoire des pays d’origine. C’est aussi pourquoi notre politique migratoire doit rejoindre, sur certains points, notre politique de développement.
Le codéveloppement, devenu « développement solidaire », se situe au point de rencontre de ces deux politiques, dans la recherche d’un équilibre fragile et restant à définir. Les accords de gestion concertée des flux migratoires qui sont soumis aujourd’hui à l’examen du Sénat en sont l’un des aspects.
Ces accords sont une forme de contractualisation de la relation bilatérale sur la question des migrations. Comme je l’ai souligné devant la commission des affaires étrangères, ce dialogue bilatéral est indispensable, tant la différence d’appréciation sur la migration est considérable entre un pays destinataire de l’immigration, comme le nôtre, et les pays d’origine.
N’oublions pas que les transferts financiers sont supérieurs à l’aide publique au développement et qu’ils constituent, pour les pays d’origine, l’une des premières – sinon la première – sources de revenus.
C’est pourquoi la négociation de ce type d’accords revêt une telle force symbolique et que les citoyens du pays signataire y sont si attentifs.
Le schéma général comporte trois parties : la facilitation de la circulation et le développement de l’immigration de travail, la lutte contre l’immigration clandestine et le soutien à des projets de développement.
Si l’on met de côté l’accord avec le Gabon, dont les migrants sont très peu nombreux, les accords qui nous sont soumis sont les premiers à comporter un véritable enjeu sur les questions migratoires. C’est en particulier le cas avec le Sénégal et la Tunisie, dont le nombre de ressortissants établis en France est important, avec des flux qui restent, y compris pour la Tunisie, très soutenus.
Je ne reprendrai pas le détail des différents accords, que vous avez exposés, monsieur le secrétaire d’État.
Sur le terrain de la migration légale, la France s’engage à accorder plus de visas de circulation, ce qui correspond à une demande très forte des pays partenaires. Cela pourrait être une juste réponse si ces visas étaient largement accordés. La France s’engage aussi à mieux accueillir les étudiants et à développer l’accueil de travailleurs migrants.
Dans une forme de contrepartie, les États signataires s’engagent à lutter contre l’immigration clandestine et à réadmettre leurs ressortissants entrés illégalement sur le territoire français.
La partie « développement » de ces différents accords est plus spécifique. Pour ce qui est du Congo, elle reste encore très largement à définir. En revanche, tant pour le Sénégal que pour le Bénin ou la Tunisie, elle témoigne d’une réelle réflexion sur les secteurs où l’intervention est souhaitable et sur les instruments à privilégier.
Grâce à une partie « développement » plus structurée, l’économie générale de ces accords tend vers un ensemble plus équilibré que l’accord avec le Gabon, dont la partie « développement » relevait plutôt du témoignage.
La commission formule cependant certaines interrogations et inquiétudes sur la mise en œuvre de ces accords.
La première de ces interrogations concerne la mise en œuvre effective de la facilitation de la migration professionnelle, qui suscite beaucoup d’attentes chez nos partenaires.
L’immigration professionnelle reste encore très limitée pour les pays concernés par ces accords. Les objectifs sont modestes et les réalisations plus modestes encore. En tout état de cause, elles ne sont pas à la mesure des flux migratoires.
Après un temps d’hésitation, nous avons reconnu – et les accords en témoignent – que l’immigration professionnelle ne devait pas nécessairement être une immigration qualifiée, ce qui paraît plus conforme non seulement aux besoins et aux attentes de nos partenaires, mais aussi aux besoins de nos entreprises ; les bénéficiaires de l’admission exceptionnelle au séjour en attestent. Mais en ces temps de crise économique et de raréfaction des emplois, pourrons-nous tenir nos engagements en ce qui concerne la migration professionnelle ?
La deuxième interrogation de la commission porte sur la mise en œuvre concrète de ces accords, qui ajoutent à un ensemble déjà complexe des facteurs de complexité supplémentaires. Cette politique de développement solidaire, dont nous ne sous-estimons pas les difficultés d’élaboration, mais qui tâtonne et reste encore en cours de définition, démarre lentement.
La délivrance des cartes « compétences et talents » reste ainsi très embryonnaire : seules trente-six ont été accordées à des Tunisiens. Les talents sont-ils si rares, monsieur le secrétaire d’État, ou bien est-ce notre dispositif qui est trop lourd ?
Comment les consulats et les préfectures vont-ils se repérer dans le maquis de délais, de conditions d’âge et de secteurs spécifiques introduits par les accords de gestion concertée des flux migratoires, qui s’ajoute à la véritable sédimentation de dispositifs opérée par les nombreuses lois relatives à l’immigration votées ces dernières années ?
Que deviennent, monsieur le secrétaire d’État, les clauses applicables aux ressortissants de la zone de solidarité prioritaire, alors que cette notion est complètement revue dans la réforme de notre dispositif de coopération ?
La politique migratoire hésite ainsi encore entre attractivité et contrôle des flux.
Notre troisième et dernière interrogation porte sur le volet « développement » de ces accords, dans un contexte de réduction drastique des crédits dévolus à l’aide bilatérale au développement. Dans un pays qui traite déjà bien mal ses propres étudiants, pourrons-nous garantir, comme il est prévu dans l’accord avec le Sénégal, un accueil correct et un logement décent ?
Les accords identifient les projets dont le financement relève du ministère de l’immigration, mais renvoient au ministère des affaires étrangères pour un effort accru d’accompagnement. Rien ne permet de dire que celui-ci aura les moyens de cette intervention complémentaire, pourtant indispensable.
Aussi l’équilibre prévu par ces accords nous semble-t-il fragile. Si les volets « migration professionnelle » et « développement » ne sont pas mis en œuvre dans de bonnes conditions, il n’en restera que les aspects les plus restrictifs, dont le plus symbolique est la réadmission.
C’est pourquoi la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées envisage d’assurer un suivi et une évaluation de la mise en œuvre de ces différents accords.
Sous le bénéfice de ces observations, et parce qu’elle estime que la méthode de dialogue engagée par ces accords mérite d’être encouragée, la commission recommande l’adoption de ces quatre projets de loi, tous ratifiés par les pays signataires, à l’exception de l’accord avec le Bénin.