Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les accords de gestion concertée des flux migratoires constituent l’un des éléments phares de la politique d’immigration « choisie » prônée par le Président de la République, et leur signature fait l’objet d’une forte médiatisation.
C’est un sujet très sensible en ce qui concerne aussi bien la France, où l’immigration a parfois été instrumentalisée, que l’Afrique, où elle est vécue comme étant l’une des voies de l’avenir.
Aujourd’hui, vous sollicitez l’autorisation du Sénat pour ratifier quatre de ces conventions bilatérales, dont celle avec le Sénégal, signée en 2006 par Nicolas Sarkozy, alors ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire.
Permettez-moi, avant d’en venir au fond, de formuler une remarque sur la forme. Si la signature des accords est très médiatisée, en revanche, la méthode utilisée pour leur élaboration et leur préparation fait l’objet d’une certaine opacité. En particulier, les représentants de la société civile, tant du côté français que du côté africain, n’ont pas du tout été associés à leur préparation.
En ce qui concerne l’immigration légale, la valeur ajoutée de ces conventions bilatérales est relative : la plupart les dispositions concernant l’immigration professionnelle sont déjà prévues dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ou CESEDA.
Les mesures relatives à l’immigration légale visent à restreindre la venue de travailleurs, car seul le séjour de certaines personnes qualifiées sera accepté.
Les quatre accords prévoient des facilités pour obtenir une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié ». Les candidats à l’immigration devront présenter une promesse d’embauche dans l’un des secteurs professionnels listés : cent cinq pour le Sénégal, quinze pour le Congo – c’est la portion congrue ! –, seize pour le Bénin – c’est un peu mieux ! – et soixante-dix-huit pour la Tunisie.
Cependant, à l’exception du Sénégal, ces listes sont trop restrictives et ne concernent que des emplois très qualifiés : informaticiens, chefs de chantiers, cadres de l’audit, etc. Par ailleurs, il y a fort à craindre que la crise économique n’aboutisse à une situation de non-délivrance de ces titres de séjour.
Or une partie de l’immigration professionnelle pourrait, et devrait, concerner des emplois non qualifiés.Il n’y a rien de honteux à employer des travailleurs immigrés non qualifiés !Nous en avons besoin, car ils ont vocation à occuper des emplois souvent délaissés par les Français. Rien ne s’opposerait donc à de telles immigrations professionnelles.
Certaines dispositions de ces accords visent à faciliter l’accueil et le séjour des étudiants. Nous nous en réjouissons, car la France avait pris du retard dans ce domaine par rapport à un certain nombre d’autres pays développés. Ces mesures concernent, notamment, ceux qui, à l’issue de leur cursus universitaire, souhaitent acquérir une première expérience professionnelle dans notre pays.
Cependant, là encore, des conditions restrictives ont été posées à l’attribution de la carte de séjour portant la mention « salarié » : les intéressés devront être titulaires d’un master ou d’un diplôme de niveau équivalent, exercer un emploi en lien avec leur formation et percevoir un salaire au moins égal à une fois et demie le SMIC mensuel. Il s’agit là de trois conditions cumulatives et lourdes à remplir.
Par ailleurs, vous l’avez dit, l’accord avec le Congo prévoit que l’autorisation provisoire qui sera attribuée aux étudiants souhaitant rechercher un emploi ne sera pas renouvelable.
Tous ces accords prévoient aussi d’attribuer plus facilement des visas de circulation. Le principe de l’attribution de visas de circulation est une bonne chose, car il est nécessaire de faciliter les allers-retours entre la France et les pays d’émigration, l’émigration n’étant pas nécessairement continue, la personne pouvant entrer et sortir du territoire à plusieurs reprises. Cela a longtemps été demandé par les pays concernés. Cependant, il est critiquable que seules les personnes qualifiées soient visées.
Actuellement, de tels visas sont essentiellement délivrés à des hommes d’affaires, des financiers, et très peu à d’autres catégories de demandeurs, par exemple des artistes ou des chercheurs. À cet égard, nos consulats font preuve d’une grande timidité.
Des quotas annuels sont fixés pour la délivrance des cartes de séjour portant la mention « compétences et talents » – belle appellation ! –, soit mille pour le Sénégal, cent cinquante pour le Congo, cent cinquante pour le Bénin et mille cinq cents pour la Tunisie. Mais aucune clause ne prévoit l’obligation de les atteindre, ce qui peut se comprendre. Toutefois, permettez-moi d’exprimer ma crainte de voir se développer une politique extrêmement restrictive de délivrance de ces visas.
Les accords dont nous débattons comprennent également une partie consacrée à la lutte contre l’immigration irrégulière.
Nous partageons complètement la volonté de lutter, avec tous les moyens possibles, contre cette immigration qui porte préjudice non seulement à notre économie et aux pays dont elle provient, mais à l’idée même d’émigration.
Les accords prévoient, en particulier, la réadmission par les États de leurs ressortissants qui sont dans une situation d’émigration irrégulière, ce qui paraît légitime, sauf s’il s’agit de contourner les réticences de certains États, notamment la Tunisie, à délivrer des laissez-passer consulaires. Il ne nous appartient pas, en effet, de nous substituer à la politique des autres États en la matière.
Dans ce domaine, nous nous heurtons à deux difficultés.
Tout d’abord, nous ne savons pas si le pays d’origine acceptera d’accueillir ses ressortissants nationaux.
Ensuite, vous vous êtes fixé l’objectif de « faire du chiffre », comme on dit, soit 26 000 personnes en 2008, autant en 2009, sachant que seulement un tiers de celles qui seront retenues seront finalement expulsées, en particulier parce que le pays receveur ne délivre pas de laissez-passer.
Plus grave encore, les accords avec le Congo et le Bénin, où l’immigration est pourtant faible, obligent ces États à accueillir des ressortissants d’États tiers expulsés et ayant séjourné sur leur territoire. C’est l’une des raisons pour lesquelles le Mali a refusé de signer le projet d’accord qui était en négociation.
Une telle clause est choquante, en particulier sur le plan des principes. Elle fait peser une charge considérable sur ces États de transit, qui n’ont pas les moyens d’y faire face. Leur superficie très vaste nécessiterait une organisation de contrôle de l’émigration difficile à mettre en œuvre. Il n’est pas possible de reconstituer les régiments méharistes sur les frontières nord, est et ouest du Mali ! En outre, cette clause met les personnes expulsées dans une situation difficile, puisque celles-ci se retrouvent dans un pays qui n’est pas le leur.
J’en viens au troisième et dernier point abordé par ces accords : le développement solidaire.
Il y a tout d’abord un problème de sémantique. Pour moi, il s’agissait de codéveloppement : les activités de développement étaient imaginées et mises en œuvre par la personne qui retournait dans son pays et nous aidions celle-ci à constituer une PME, à fonder une exploitation agricole, etc.
Or on est passé du concept de codéveloppement à celui de développement solidaire. Les glissements sémantiques n’étant jamais neutres, je crains que le nouveau concept ne soit, sinon un cheval de Troie – l’expression est un peu forte ! – du moinsun prétexte pour transférer au service de la politique de lutte contre l’immigration les créditsdu ministère des affaires étrangères dédiés normalement à l’activité de développement. Ce n’est pas ce que nous voulons !
Pour le Bénin et le Congo, sont prévus des financements par l’Agence française de développement, l’AFD, dans les domaines de la santé ou de l’agriculture. L’accord avec la Tunisie mentionne le développement solidaire dans tous les domaines d’activité. Seul l’accord avec le Gabon fait état de codéveloppement, mais chacun sait que, en dehors de ceux qui profitent de la rente pétrolière, très peu de Gabonais émigrent en France. Nous ne serons donc pas dans ce cas de figure.
Les activités de codéveloppement devraient être strictement définies comme des actions menées par les personnes qui sont rentrées dans leur pays. Le ministère de l’immigration dispose d’une enveloppe de 29 millions d’euros pour financer de telles actions. J’espère qu’il s’agira vraiment de codéveloppement et non pas du transfert d’une partie des crédits du ministère des affaires étrangères au ministère de l’immigration.
Par ailleurs, à l’instar de notre rapporteur, je souhaite que les conditions de mise en place et les conséquences de ces accords soient évaluées rapidement.
Compte tenu de ces remarques, vous comprendrez, mes chers collègues, que le groupe socialiste refuse d’autoriser la ratification de ces quatre accords.