À l’évidence, ces accords sont loin d’être équitables. La France a tout à y gagner, tandis que les pays d’émigration sont pieds et poings liés et se voient dans l’obligation de faire la police chez eux en devenant les sous-traitants de la gestion des flux migratoires pour obtenir d’hypothétiques possibilités de migrations et autres aides au développement.
Une telle situation résulte du déséquilibre entre les parties signataires avec, d’un côté, des pays aux conditions économiques et politiques encore fragiles et, de l’autre, la France, qui fait partie d’un ensemble de pays économiquement forts et dotés d’institutions communes telle que l’Union européenne.
J’en viens aux principales critiques que je forme à l’égard de ces accords.
Tout d’abord, on nous dit que les pays signataires bénéficieront de possibilités de migrations légales pour leurs ressortissants. Toutefois, ces dernières seront limitées en nombre et dans le temps. Ce sont avant tout des migrations temporaires fondées sur la mobilité et l’incitation au retour des compétences dans le pays d’origine.
Ces possibilités de migrations légales concernent essentiellement des personnes hautement qualifiées et qui intéressent la France, notamment des hommes d’affaires, des sportifs de haut niveau, des artistes. Il s’agit de la carte « talents et compétences » qui existe déjà dans le cadre du CESEDA.
Un tel intérêt pour les métiers hautement qualifiés qui contribue à la « fuite des cerveaux » est contraire aux intérêts des pays de départ. En effet, ces fuites de « matière grise » qui caractérisent l’émigration du Sud vers le Nord entraînent pour les pays d’origine un manque de personnel, notamment dans le domaine de la santé et de techniciens, ainsi que la perte de revenu national par le biais de l’impôt.
À l’inverse, la main-d’œuvre peu qualifiée dont ces pays disposent en grand nombre n’est que peu concernée par la migration de travail, alors même que les besoins existent en France, ce qui risque de renforcer les déséquilibres dans les pays d’origine.
On voit bien là, monsieur le secrétaire d'État, le « tri » que veut faire le gouvernement français en application de sa politique d’immigration choisie. C’est cette même logique qui prévaut avec le projet de « carte bleue » européenne.
Ensuite, s’agissant de l’aide au développement, je considère qu’elle ne doit pas être un moyen de faire pression sur les migrants établis en France, encore moins une monnaie d’échange dans le cadre de négociation d’accords de gestion concertée des flux migratoires.
Ainsi que le souligne la déclaration des Nations unies sur le droit au développement, le développement est un droit et, en tant que tel, il ne peut être soumis à conditions.
En ce qui concerne la lutte contre l’immigration illégale, les accords prévoient des clauses relatives à la réadmission des personnes en situation irrégulière et une coopération policière visant à renforcer la surveillance des frontières, au démantèlement des réseaux criminels de passeurs et à la lutte contre la fraude documentaire.
Je tiens à préciser que je ne suis pas favorable à ce que ce genre de coopération soit comptabilisé au titre de l’aide au développement.
La France et l’Europe veulent désormais non plus empêcher les migrants de pénétrer en Europe, mais les empêcher de quitter leur pays d’origine. Ce contrôle des flux migratoires en amont est moins cher et moins aléatoire qu’une expulsion du territoire français, expulsion qui n’est pas toujours effective. Cela fait autant de sans-papiers potentiels en moins qui pourraient, une fois entrés sur le sol français, s’y maintenir en situation irrégulière.
Les clauses de réadmission contenues dans ces accords sont très importantes pour la France. Car pour pouvoir renvoyer de façon effective les personnes en situation irrégulière arrêtées et placées en centre de rétention, il est indispensable de s’assurer de la coopération des autorités des pays concernés – ce n’est pas toujours le cas – singulièrement en ce qui concerne la délivrance des laissez-passer, lesquels permettent d’organiser le renvoi des personnes que l’on souhaite expulser.
Certains pays sont en effet peu coopératifs en matière de laissez-passer, et pour cause ! Il faut savoir que les migrants envoient dans leur pays d’origine des sommes bien supérieures à celles qui sont prévues par le budget de l’aide publique au développement. Ils participent ainsi au développement sur place des villages et de projets locaux, et ils font vivre les membres de leur famille restés au pays.
Ces accords permettront donc de formaliser une obligation de réadmission et d’obtenir plus facilement les laissez-passer permettant d’assurer le renvoi effectif des étrangers.
À l’exception, monsieur le secrétaire d'État, des accords avec le Sénégal et la Tunisie, pays davantage concernés par la migration de transit, les accords prévoient un engagement à réadmettre également les migrants des pays tiers en situation irrégulière qui, pour venir en France, seraient passés par leur territoire. Ces dispositions sont particulièrement intéressantes pour le ministère de l’immigration, qui se fixe chaque année des objectifs chiffrés en matière d’expulsion effective du territoire.
Pour 2009, l’objectif est de 30 000 expulsions. Afin d’atteindre cet objectif, la France souhaite également favoriser les retours volontaires en proposant son dispositif d’aide au retour volontaire aux personnes qui font l’objet d’une obligation de quitter le territoire français, une OQTF.
Le renforcement du volet sécuritaire a des conséquences sur les droits et les parcours des migrants. Ces derniers sont alors contraints d’emprunter des itinéraires de plus en plus longs, de plus en plus coûteux et de plus en plus dangereux.
On retrouve cette logique répressive dans la directive européenne sur le retour, qui généralise l’enfermement des étrangers jusqu’à dix-huit mois, ainsi que leur éloignement. On la retrouve aussi avec les renvois groupés par avion.
Pourtant, ceux qui migrent le font non pas par goût des voyages, mais par obligation. Ils tentent d’avoir ailleurs une vie meilleure, y compris au péril de leur vie.
Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à regarder ces femmes, ces enfants, ces hommes qui embarquent sur des radeaux de fortune et dérivent ensuite des jours et des nuits en mer ; il n’y a qu’à faire le décompte annuel des morts en Méditerranée. Ils savent que c’est dangereux. Pour autant, ils sont toujours aussi nombreux à tenter leur chance vers l’Eldorado européen.
Vouloir que les flux migratoires s’adaptent aux capacités d’accueil d’un pays – marché du travail, situation du logement, existence de services sanitaires, sociaux, scolaires, etc. –, c’est méconnaître ou ignorer la réalité des migrations dans le monde, lesquelles ont des causes multiples : famines, guerres, maladies, catastrophes climatiques, misère, etc. C’est nier le droit à la liberté de circulation des hommes et des femmes dans le monde.
En tout état de cause, dans le contexte actuel de crise économique et de récession, la France et l’Europe ne pourront pas accueillir les migrants issus d’une migration de travail. L’immigration illégale, dans ces conditions, ne pourra que perdurer.
L’aide au développement évoquée dans les accords que nous examinons aura bien du mal à se concrétiser compte tenu de la baisse continuelle des autorisations d’engagement pour les actions bilatérales de développement solidaire. Cela pose la question du sort des migrants de retour chez eux avec l’aide à la réinstallation : ils risquent de se retrouver rapidement confrontés à des difficultés financières.
Si les possibilités de circulation ne sont pas au rendez-vous, si l’aide au développement est absente, que restera-t-il de ces accords ? Uniquement le volet relatif à la lutte contre l’immigration illégale, avec le renforcement de la coopération policière qui profitera à la France et à l’Europe, lesquelles veulent être à n’importe quel prix des « forteresses imprenables ».
À la lumière de ces observations, vous comprendrez que nous ne puissions voter en faveur de tels accords.
Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie de m’avoir écoutée avec attention.