Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 16 décembre 2008 à 16h00
Accords avec le bénin le congo le sénégal et la tunisie relatifs à la gestion concertée des flux migratoires et au codéveloppement — Adoption de quatre projets de loi

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il y a quelques mois, j’interpellais M. Hortefeux dans le cadre d’une question d’actualité sur cette politique dite « d’immigration choisie » et sur ces accords. M. le ministre m’a alors répondu à propos de la signature de ces accords que « la nouvelle politique d’immigration française est parfaitement comprise, partagée, approuvée et encouragée par les pays qui sont des terres d’émigration ». Cet enthousiasme me semble devoir être quelque peu atténué.

La raison d’être de ces accords est non pas, comme M. le ministre nous l’avait vendu ici même, de favoriser l’immigration économique, mais de la réduire à néant, tout comme cela a été fait pour l’immigration familiale. Il suffit de voir le sort qui est réservé à la carte « compétences et talents » pour s’en rendre compte.

Prenons, par exemple, l’accord signé le 25 octobre 2007 avec la République du Congo, qui prévoit de délivrer 150 cartes « compétences et talents ». Plus d’un an après la signature, aucune carte n’a été délivrée à un Congolais !

Pour 2008, vous aviez évoqué un objectif global de 2 000 cartes « compétences et talents ». Où en sommes-nous aujourd’hui ? Il est intéressant de faire le point de la situation.

En ce qui concerne les ressortissants des États signataires des accords dont nous discutons aujourd'hui, une carte a été délivrée à un ressortissant sénégalais, trois cartes à des ressortissants béninois et trente-six cartes à des ressortissants tunisiens.

Au total, trois cent vingt-six cartes ont été délivrées en 2008 pour un objectif de deux mille cartes. Nous en sommes encore très loin !

Est-ce là la destinée que vous réservez à ces accords ? Est-ce ainsi que vous appréhendez les compétences et talents de ces pays : en ne leur laissant aucune place ?

En créant cette carte, vous avez signifié à ces pays que la France pouvait s’enrichir de leurs talents, que leurs ressortissants pouvaient contribuer au rayonnement de la France, mais aussi de leur pays d’origine, dans les domaines culturel, scientifique et humanitaire. Aujourd’hui, il faut se rendre à l’évidence : ces immigrés ne vous intéressent pas !

Dans ces conditions, à quoi servent ces accords ? La réponse se trouve dans les clauses relatives à la réadmission. En effet, si l’on étudie de plus près ces accords, il faut admettre que leur raison d’être est moins la mise en œuvre d’une politique concertée des flux migratoires qu’une politique efficace de refoulement des étrangers vers les pays signataires.

La question de la réadmission est omniprésente dans ces accords, sous des formes variées et en prenant des précautions lexicales qui ne parviennent pas à masquer la réalité de ce que la France souhaite imposer aux États signataires : l’obligation de reprendre sur leur territoire des ressortissants en situation irrégulière.

D’une politique censée limiter l’immigration familiale au profit de l’immigration professionnelle on passe à une politique visant à proscrire les étrangers de notre territoire. Vous ne pouvez pas nier, monsieur le secrétaire d'État, que la question de la réadmission a posé des problèmes lors de la négociation de ces accords.

Vous le savez également, la délivrance des laissez-passer consulaires est très faible. On peut même dire que le nombre de laissez-passer consulaires ne cesse de baisser. Pour la République du Congo, sur cent douze demandes formulées par la France en 2007, seuls vingt-trois laissez-passer ont été octroyés, soit un taux de 20 %. L’exemple du Sénégal à cet égard est également frappant : alors qu’en 2005 le Sénégal répondait positivement à 55 % des demandes de réadmission, ce taux est passé en 2007 à 37 %.

Comment pouvez-vous dire que votre politique est comprise, partagée, si les États signataires de ces accords refusent de plus en plus de reconnaître leurs ressortissants ? À un taux de demande constante, jamais les États n’ont aussi peu reconnu leurs ressortissants, d’où la nécessité de ces accords, notamment avec le Sénégal. L’avenant signé par cet État en février 2008 constitue un bijou d’ingéniosité : il n’est rien d’autre qu’un « tour de vis » pour obliger les États à reconnaître leurs ressortissants.

En lieu et place d’une reconnaissance explicite de la part de l’État supposé d’origine, vous avez mis en place un système de présomption de nationalité largement favorable à une augmentation du taux d’attribution des laissez-passer.

L’article 3 de l’avenant complète en effet l’article 42 de l’accord du 23 septembre 2006, en mettant en place une procédure d’une complexité inouïe, venant se substituer à la reconnaissance habituelle. Autrement dit, il s’agit non plus d’une demande de reconnaissance, mais d’une quasi-obligation de reconnaissance.

Sans détailler cette procédure, je souhaite en dire quelques mots.

La reconduite se fondera non plus sur une reconnaissance explicite, mais sur une présomption de nationalité. Ainsi, il pourra y avoir éloignement sur la simple base d’un document faisant état d’un commencement de preuve de nationalité, par exemple un procès-verbal des déclarations de l’étranger.

L’ironie du sort est que certains des États auxquels vous demandez de reconnaître l’un de leur ressortissant sont considérés par le ministère de l'immigration, par décret, comme ayant un état-civil défaillant ou frauduleux, conformément à l’article L. 111-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile relatif aux tests ADN !

Vous vous contentez de n’importe quel document pour établir l’état-civil de certains étrangers quand il s’agit de les renvoyer dans leur pays. En revanche, vous exigez un test ADN, en doutant de la fiabilité de leur état-civil, quand il s’agit d’une demande de regroupement familial, et ce pour le même pays. C’est un comble ! C’est la reconnaissance d’un état-civil à géométrie variable pour certains États.

Telle est la réalité de ces accords ! Leur véritable raison d’être est tout simplement d’organiser la réadmission de manière plus efficace pour permettre une augmentation des reconductions à la frontière. Ce schéma est le même pour tous les accords, avec des variations mineures, notamment au sujet des délais.

Monsieur le secrétaire d'État, en droit, on qualifie de « léonins » les accords déséquilibrés, où une partie prend sans donner, à l’image du lion dans la fable de La Fontaine. Les accords que vous nous présentez aujourd'hui sont de ce type : ils imposent des sujétions importantes aux États à la seule fin de satisfaire la France dans sa frénésie des chiffres concernant les reconduites à la frontière.

Tout cela, au mépris de l’aide publique au développement et de toute politique active en matière de développement solidaire et démocratique, ramenée à une banale coopération interétatique. Il suffit de regarder les chiffres de l’aide au développement pour voir l’importance qui est accordée à celle-ci !

Si l’on compare ces accords de gestion concertée des flux migratoires avec le droit commun issu de la loi du 24 juillet 2006, force est de constater qu’ils sont, en réalité, beaucoup plus sévères que celui-ci. Loin de mettre en œuvre le droit existant, ils créent de nouvelles règles plus restrictives, éparses, variables d’un État à l’autre, afin d’obliger l’État signataire à collaborer à une politique qui exclut plus qu’elle ne protège, qui refoule plus qu’elle n’accueille.

Pour toutes ces raisons, les Verts ne voteront pas en faveur de la ratification de ces accords.

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