Intervention de Odette Terrade

Réunion du 19 février 2009 à 9h30
Logement et lutte contre l'exclusion — Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission mixe paritaire

Photo de Odette TerradeOdette Terrade :

Mais nous sommes inquiets pour l’avenir.

Voilà qui préjuge étrangement les nouvelles modalités de discussion des projets de loi et qui montre, en tout état de cause, que les présupposés idéologiques, les détournements de procédure et le refus de prendre en compte la diversité des approches l’emportent dans tous les cas sur la volonté de contribuer à faire de la loi l’expression pleine et entière de l’intérêt général. La question se pose pleinement pour ce projet de loi à l’intitulé en apparence séduisant.

Il est vrai que, depuis le mois d’octobre, la mobilisation pour le logement a gagné une certaine ampleur et une certaine urgence.

Plusieurs sans domicile fixe sont morts dès le début de l’hiver, directement frappés par la vague de froid qui a touché notre pays fin décembre.

Votre texte, madame la ministre – alors même que vous peiniez à nous expliquer comment faire plus avec moins de crédits budgétaires –, prenait lui aussi un sacré coup de froid ! Vous n’étiez plus là lors de la discussion du collectif budgétaire de la fin de l’année 2008, pour consacrer la réduction de 120 millions d’euros de crédits de la rénovation urbaine !

Selon l’exposé des motifs de ce collectif budgétaire, il s’agissait de « l’ajustement de la subvention versée à l’Agence nationale pour la rénovation urbaine à hauteur de 105, 3 millions d’euros, pour tenir compte de la trésorerie disponible de l’établissement et d’une révision à la baisse des besoins de paiement sur les grands projets de ville, 14, 7 millions d’euros. »

Pour le coup, rappelons que 120 millions d’euros annulés venaient en déduction des 227, 3 millions d’euros de crédits de paiement prévus par la loi de finances initiale.

Les habitants des quartiers sensibles peuvent toujours attendre la réfection de leurs ascenseurs, la rénovation des parties communes, la résidentialisation de leur cité ou la construction de nouveaux logements sociaux remplaçant les logements précédemment démolis. L’intérêt général devait commander que l’État mette de côté 120 millions d’euros !

Quelle est cette fameuse situation de trésorerie de l’ANRU qui lui permet de supporter sans broncher un tel manquement de l’État à ses propres engagements ? Celle qui vient de la non-utilisation des ressources disponibles pour réhabiliter, rénover, reconstruire, redonner du sens au droit à la ville ? Où est passé le « plan Marshall » des banlieues ?

Le mois de décembre fut difficile, puisque vous aviez accepté de payer un lourd tribut à la régulation budgétaire, un tribut porté et imposé, in fine, aux plus modestes !

Le mois de janvier fut-il plus heureux ? Il fallait faire quelque chose, parce que la loi instituant le droit au logement opposable commençait à montrer ses limites et à motiver un développement des recours intentés, à juste titre, par les demandeurs à l’État.

Quand, à Paris ou dans les départements de la petite couronne, 1 % des demandes au titre du droit au logement opposable sont prises en compte, il faut effectivement changer de braquet !

Alors, au fil du plan de relance de l’économie, se décidaient quelques mesures pour le logement. Et le fait est que 1 157 millions d’euros de nouvelles autorisations d’engagement sont inscrits.

Lorsque l’on passe au stade des crédits de paiement, il ne s’agit plus que de 760 millions d’euros pour l’année 2009, un montant qui avoisine 5 milliards de nos vieux francs. Et voici, notamment, que l’on retrouve sur le budget de la rénovation urbaine 200 millions d’euros.

Je ne résiste pas, là encore, au plaisir de vous lire l’exposé des motifs du collectif de janvier : « Le programme national de rénovation urbaine, PNRU, dont la mise en œuvre est assurée, depuis 2003, par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, ANRU, vise à rénover, dans un objectif de mixité sociale et de développement durable, certains quartiers prioritaires de la politique de la ville. Une enveloppe de 12 milliards d’euros y est consacrée, permettant la réalisation de plus de 40 milliards d’euros de travaux.

« Un financement complémentaire de 350 millions d’euros en autorisations d’engagement et 200 millions d’euros en crédits de paiement sera mobilisé dans le cadre du plan de relance. Il permettra l’abondement des subventions accordées aux projets gelés pour des raisons financières, notamment en raison de l’augmentation du coût réel des travaux. Le montant total de travaux correspondant à cette enveloppe exceptionnelle est estimé à 1, 15 milliards d’euros. […]

« Les projets financés par cette enveloppe exceptionnelle devront être exemplaires en termes de qualité urbaine et environnementale et faciliter la mixité sociale, à la fois d’un point de vue géographique et au sein des immeubles reconstruits en favorisant l’accession sociale à la propriété. Leur éligibilité au financement complémentaire sera subordonnée à la capacité de lancer effectivement les travaux en 2009. »

Mes chers collègues, encore un effort, et on va mettre en œuvre une éco-conditionnalité des aides à la rénovation urbaine, même s’il peut se comprendre que l’on cherche à rénover pour que les locataires occupants dépensent moins en chauffage, et l’on trouvera de bonnes raisons de ne pas accorder de financements de l’ANRU à certaines opérations en cours !

Seulement, comme je l’ai dit, – je ne sais pas d’où vient ce paradoxe –, cet exposé des motifs contient un élément important. On nous dit en janvier: « Un financement complémentaire de 350 millions d’euros en autorisations d’engagement et 200 millions d’euros en crédits de paiement sera mobilisé dans le cadre du plan de relance. Il permettra l’abondement des subventions accordées aux projets gelés pour des raisons financières, notamment en raison de l’augmentation du coût réel des travaux. Le montant total de travaux correspondant à cette enveloppe exceptionnelle est estimé à 1, 15 milliard d’euros. »

Autrement dit, en décembre, l’ANRU pouvait supporter de voir l’État se libérer de ses engagements parce que la trésorerie disponible était telle que rien n’était indispensable, de ce point de vue, pour faire face aux opérations en cours et, en janvier, des projets étaient gelés faute qu’ait été pris en compte l’accroissement du coût des mêmes opérations ! Il fallait y penser en décembre, si la situation était si grave que cela !

Pour le dire très clairement, comme ce n’est pas la première fois que des crédits de la rénovation urbaine sont soumis à ce genre de tour de passe-passe budgétaire, cela fait sans doute plusieurs années que l’action de l’ANRU est ainsi mise en question !

Le retard que le rapport annuel de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles, l’ONZUS, souligne dans la mise en œuvre de la politique de rénovation urbaine ne fait que croître et embellir, et l’exercice de rattrapage que vous avez tenté en janvier dernier ne doit pas faire illusion.

La seule logique qui anime le Gouvernement en matière de logement, c’est de ne pas répondre aux attentes de la population, tout en développant toujours plus une politique de l’offre qui a pourtant fait la démonstration de son inadéquation à la demande !

Au demeurant, le collectif de décembre qui taillait dans le vif les crédits de la rénovation urbaine comportait également un nouveau dispositif d’incitation à l’investissement immobilier privé, un de plus après les désastreux « Robien recentré » et « Borloo », qui ont consommé disponibilités foncières et liquidités pour construire des logements souvent vacants et dont la location conduit à l’élévation du niveau des loyers de voisinage et des prix de l’immobilier.

Vous allez me rétorquer, madame la ministre, que mes propos ne concernent pas le texte et m’inviter à le relire, afin de ne plus douter des intentions du Gouvernement en matière de lutte contre le mal logement.

Hélas, mille fois hélas, nous sommes au contraire au cœur du sujet !

À quoi sert l’article 1er, qui annonce la passation de conventions d’utilité sociale par les bailleurs sociaux, sinon à les contraindre à mener une politique patrimoniale différenciée, liant qualité des prestations et niveaux de loyers, organisant une certaine forme de ségrégation et s’accompagnant d’une logique de cession de logements devenue quasi obligatoire pour se financer ?

À quoi sert l’article 2, sinon à contraindre les organismes d’HLM à contribuer sur leurs ressources, celles des locataires sollicitées au travers des loyers, au désengagement financier de l’État dont les mêmes locataires, en qualité de contribuables cette fois-ci, vont payer les conséquences ?

À quoi sert l’article 3, qui rackette les organismes collecteurs de l’ex- 1 % logement, devenu la caisse dans laquelle l’État vient puiser les moyens d’un désengagement complémentaire ?

À quoi sert l’article 4, sinon à faire supporter au secteur HLM le poids de l’échec des politiques d’incitation au développement de l’offre locative privée, puisque les bailleurs sociaux pourront acquérir, quasiment sur plans, les logements que les promoteurs n’arrivent pas à vendre ?

À quoi sert l’article 20, dans sa philosophie générale ? Même si nous relevons que les conditions d’application de l’article ont été modifiées au fil de la discussion parlementaire, cet article est toujours aussi discriminatoire et honteux. C’est un article d’aveu, l’aveu d’un gouvernement qui n’a peut-être pas les capacités financières, mais certainement pas la volonté politique, de mener une ambitieuse politique de construction de logements sociaux.

Ainsi, on soumet à la vindicte populaire de commodes boucs émissaires : les logements sociaux de type HLM seraient occupés par des ménages qui ont des ressources leur permettant d’aller vivre ailleurs et il conviendrait donc de les faire « décamper » au plus tôt pour laisser la place à tous ceux qui ont droit au logement social !

Les chiffres les plus fantaisistes ont circulé sur le nombre de locataires susceptibles soit de remettre à disposition un logement défini comme sous-occupé, soit de vider les lieux de par une situation de ressources exceptionnellement favorable !

Mes chers collègues, allez donc expliquer à un couple de jeunes salariés de province ou de jeunes fonctionnaires sans enfant vivant à Paris ou en Île-de-France qu’ils sont trop « riches » au regard des critères d’attribution de logements ! Et laissez-les aux prises avec les emprunts immobiliers que les banques leur refusent et les loyers du secteur privé qui consomment le quart, parfois le tiers, quand ce n’est pas plus, de leurs ressources.

En première lecture, notre collègue Jean-Pierre Fourcade, qui connaît d’expérience l’état du marché immobilier, notamment dans les Hauts-de-Seine, avait pointé le risque qu’un nombre croissant de ménages moyens ne se voient privés du droit au logement social, tout en n’étant pas en mesure d’occuper un logement dans le secteur locatif dit « libre » sans risques financiers sérieux.

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