Intervention de Mireille Schurch

Réunion du 19 février 2009 à 9h30
Organisation et régulation des transports ferroviaires et guidés — Discussion générale

Photo de Mireille SchurchMireille Schurch :

Par ailleurs, nombre d’entreprises utilisent le prétexte de la crise pour licencier et ainsi garantir des revenus à leurs actionnaires.

La politique gouvernementale se poursuit, s’attaquant aux droits sociaux et mettant à mal les services publics.

Avec le projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires, l’hôpital est transformé en hôpital entreprise, où l’on demande des efforts au service public, mais un « effort epsilon » à la médecine libérale et aux cliniques privées !

Dans le service public de l’éducation, on assiste à la casse du statut des enseignants chercheurs, à la suppression des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, les RASED, et à une réforme incomprise du lycée.

Quant à la justice, la suppression de quarante-quatre tribunaux des affaires de sécurité sociale est programmée après celle de cent cinquante-six tribunaux d’instance et de dix-huit tribunaux de grande instance !

Le monde du travail est fragilisé au nom d’une liberté factice qui conduit à vivre dans l’incertitude du lendemain, à travailler le dimanche alors que, par ailleurs, le pouvoir d’achat n’augmente pas, voire à s’expatrier en Tunisie pour 350 dirhams, soit 200 euros, pour retrouver l’entreprise qui vous a licencié dans la Vienne !

Nous ne voulons pas de cette liberté-là, qui conduit l’individu atomisé à être réduit à sa pure fonctionnalité, isolé des autres, ennemi ou concurrent de son prochain. Nous voulons au contraire une société solidaire dans laquelle nous pouvons nous renforcer, tout en affirmant notre individualité.

Pour concrétiser cette solidarité, notre législation doit préserver la prise en charge par la collectivité publique de certaines activités indispensables à la vie de chacune et de chacun : la santé, l’éducation et la recherche, l’accès à l’énergie, à l’eau, et aussi le droit à la mobilité, quels que soient le revenu et le lieu géographique. Ce droit à la mobilité est d’autant plus vital que le besoin de déplacement est accru par l’éloignement des services publics : écoles, maternité et autres centres de santé, tribunaux, « points poste »...

Avec la suppression programmée des tribunaux des affaires de sécurité sociale dans l’Allier, les malades, les invalides et les accidentés du travail devront faire cent dix kilomètres pour défendre leurs droits. La suppression de l’antenne montluçonnaise de la direction départementale de la jeunesse et des sports oblige désormais les jeunes qui souhaitant s’informer par exemple sur le brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur, ou BAFA, à se rendre à Moulins, à quatre-vingts kilomètres de leur résidence.

Comment voulez-vous, dans ces conditions, que ces jeunes, ces citoyens, ces justiciables soient en mesure de défendre leurs droits ou de se projeter dans l’avenir ? Selon nous, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui ne répond pas à cet objectif fondamental. Sous couvert de transposition d’une directive européenne, le Gouvernement ouvre à la concurrence le transport international des voyageurs.

Dans un contexte de crise économique et sociale grave, il n’y a vraiment pas urgence, selon nous, à transposer en droit national la directive européenne dite « troisième paquet ferroviaire ». Nous demandons par conséquent que celle-ci soit reconsidérée, et c’est la raison pour laquelle nous avons déposé une motion tendant à opposer la question préalable.

Nous nous fondons sur un constat : le transport ferroviaire sur le fret est ouvert à la concurrence depuis 2006. Les opérateurs ferroviaires privés se sont positionnés uniquement sur des lignes rentables. Pour être « compétitive », la SNCF a décidé de fermer deux cent soixante-deux gares pour cause de rentabilité insuffisante. Pour avoir voulu empêcher ces fermetures, certains élus ont fait l’objet de poursuites judiciaires.

Qu’en sera t-il après l’ouverture à la concurrence des transports de voyageurs avec possibilité d’assurer des dessertes intérieures ? Nous ne sommes pas naïfs ; avec ce projet de loi se profile ni plus ni moins la lente agonie du service public des transports.

Les problèmes essentiels à la bonne marche de ce service public d’intérêt vital sont, premièrement, le sous-investissement chronique des infrastructures et, deuxièmement, la rupture d’une politique d’aménagement équilibré de notre territoire. Or l’autorité de régulation ferroviaire, telle qu’elle est prévue dans ce projet de loi, sera bien incapable de les régler. Nous proposons de remettre ces questions et l’intérêt général au cœur de ce projet de loi.

Le premier point de mon intervention concerne donc l’insuffisance chronique d’investissement pour régénérer et moderniser le réseau ferré.

Monsieur le secrétaire d'État, le gouvernement auquel vous appartenez fustige souvent les grévistes. Mais, en 2007, on a enregistré à peine 3 % de perturbations liées aux mouvements sociaux contre 97 % de perturbations liées à des pannes sur les voies ou sur les matériels. Voilà la réalité ! Ce sont les coupes budgétaires que subissent les services d’intérêt général qui sont à dénoncer !

Le Gouvernement propose l’ouverture à la concurrence pour permettre à des investisseurs privés de réaliser des bénéfices. Mais, dans le même temps, de nombreuses études et même le MEDEF constatent que l’état actuel du réseau ferré anéantit toute initiative privée pour le trafic ferroviaire des wagons isolés. Le fait que l’opérateur ferroviaire de proximité en région Centre, Proxirail, mis en place par les chargeurs céréaliers, ait peine à fonctionner en est la confirmation.

Par conséquent, il est illusoire de mettre fin, comme cela est prévu à l’article 2 de ce projet, à l’exclusivité de la SNCF pour la gestion des infrastructures sur les lignes à faible trafic. Les opérateurs ferroviaires privés ne s’y mettront pas. D’où l’intérêt d’affirmer que le transport de marchandises par wagon isolé participe de l’intérêt général, qu’il est exploité soit par des opérateurs de proximité, soit par la SNCF et son groupe.

Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi d’être sceptique quant à la pertinence des partenariats public-privé pour le financement des infrastructures ferroviaires.

Lors du colloque sur le financement des infrastructures de transports, la Caisse des dépôts et consignations a rappelé qu’il était difficile de trouver des crédits remboursables sur du court terme pour des investissements publics. Que se passera-t-il pour un portage financier sur trente ans ou plus ?

L’histoire ferroviaire montre que le financement des travaux a été d’abord confié à de multiples compagnies privées qui ont fait faillite. L’investissement sur les infrastructures ferroviaires nécessite en effet un temps qui n’est pas celui du marché. Sur du très long terme, les investissements doivent être publics, avec une propriété et un contrôle publics du réseau, afin de créer des infrastructures de qualité dans un souci environnemental.

Le recours aux partenariats public-privé ne doit pas conduire à considérer la sécurité comme un coût comme les autres. Dès lors, pourquoi ne pas envisager des emprunts publics qui n’entreraient pas dans la dette publique de l’État tant qu’ils servent à financer des infrastructures répondant aux objectifs de développement durable ?

Il faut promouvoir cette idée au sein de l’Union européenne. Les gouvernements ont été bien prompts à mettre de côté les critères de convergence pour « éviter l’écrasement du système ». L’obligation de réduction des gaz à effet de serre pour le bien-être, voire la préservation de notre planète, n’est-elle pas tout aussi importante ? Ce sujet environnemental et sociétal crucial ne doit pas échapper à toute maîtrise publique pour être uniquement dominé par des règles du marché et de la concurrence.

J’en viens au deuxième point de mon intervention : l’autorité de régulation n’apportera aucune réponse quant à une politique équilibrée de notre territoire.

On pourrait penser que l’ouverture à la concurrence aurait des conséquences positives sur les prix et la qualité du service. Loin s’en faut !

Pour ce qui concerne les ouvertures à la concurrence dans les autres pays européens, l’exemple britannique n’est pas encourageant, notamment en termes d’augmentation des tarifs pour les usagers. Il en va de même pour les difficultés liées à la gestion des correspondances entre les trains exploités par différentes compagnies.

Peut-être, sur les axes les plus fréquentés et les plus rentables, aurons-nous une baisse des prix. Mais que deviendront à terme les lignes secondaires, les fameux Lunéa, corail et autres trains interrégionaux ? Il faut le reconnaître, ces lignes n’ont pas des taux de rentabilité faramineux, mais elles constituent un lien entre les territoires. La SNCF continue à les conserver, assurant un équilibre budgétaire grâce à la péréquation. Guillaume Pepy l’a dit, le maintien des lignes interrégionales coûte à la SNCF 100 millions d’euros, qu’elle puise dans les bénéfices réalisés sur le TGV. La logique libérale conduirait à la priver de ces revenus et à supprimer ces lignes secondaires, reportant ainsi le trafic sur la route, en contradiction totale avec le principe de report modal de la route vers le rail, prévu par le Grenelle de l’environnement, et contre toute logique d’aménagement équilibré du territoire national.

Si l’on conserve ces lignes – et on doit le faire –, la SNCF sera-t-elle dans une situation d’équité avec les autres concurrents en cas de libéralisation sans compensation ? A-t-on pensé à toutes les conséquences financières pour les caisses de l’État et la collectivité publique ?

Grâce à son statut actuel, la SNCF peut investir une partie de ses bénéfices dans le réseau transilien, par exemple pour améliorer la ligne D du RER. Elle supporte le coût des tarifs sociaux et peut continuer d’assurer le maintien de lignes secondaires. Ce transport est vital pour des millions de Français et préserve nos territoires de la désertification.

Mais l’Autorité de régulation des activités ferroviaires ne pourra pas obliger les autres entreprises ferroviaires à participer aux investissements sur le réseau ou à assurer la desserte des lignes secondaires. Les bénéfices leur seront donc réservés. Quant à la SNCF, elle continuera d’être accusée de ne pas assurer des services performants et efficients. On exigera d’elle qu’elle continue à assurer le maillage territorial en matière ferroviaire, tout en la privant des moyens d’organiser la péréquation.

Le Gouvernement n’est-t-il pas en train de créer les conditions d’un affaiblissement de l’entreprise publique, ce qui permettra de justifier, à terme, sa privatisation ?

L’ouverture à la concurrence va se produire au moment où l’on demande à la SNCF de réaliser des investissements importants. Il faut l’admettre, cette ouverture est faussée, puisqu’elle se fait au détriment de la SNCF. Sinon, il faut demander d’investir non pas à la seule entreprise publique, mais à l’ensemble des opérateurs ferroviaires qui se retrouveront sur ce marché.

Nous devons prendre le temps de la réflexion, investir sur le réseau et confirmer la SNCF dans son rôle d’unique gestionnaire délégué du réseau assurant la péréquation pour un aménagement équilibré du territoire. Nous devons adopter une vision différente, loin des réponses dogmatiques qui conduisent à supprimer des dessertes et réduire le personnel.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, vous l’avez compris, ce projet de loi met en péril le financement de l’ensemble du réseau et le maintien de la péréquation pour un aménagement équilibré du territoire. Nous risquons, demain, de renforcer la désertification en matière ferroviaire dans le centre de la France, l’Auvergne, le Limousin et les régions de montagne, et de saturer des lignes qui sont déjà très chargées. Ce n’est pas notre vision d’un projet ferroviaire durable.

Une autorité publique dont le rôle se limite à préserver les intérêts des capitaux privés, sans organiser le maintien du service public, sans égard pour l’amélioration des conditions de travail des salariés et sans prise en compte de la place centrale de l’usager, n’est acceptable ni pour les cheminots, ni pour les usagers, ni pour les élus locaux. Ainsi en est-il également de la privatisation de tronçons routiers nationaux et de la réduction des droits du personnel navigant.

Au groupe CRC-SPG, nous croyons aux vertus d’une société solidaire et du mieux-disant social. Nos amendements refléteront donc ce besoin d’Europe sociale.

Premièrement, il s’agit de garantir un service public des transports ferroviaires. Les infrastructures de transports constituent un tout où les gares et autres facilités essentielles doivent être considérées comme des « biens publics ».

Deuxièmement, il faut avoir des transports ferroviaires sûrs. Tous les opérateurs doivent respecter les mêmes règles en matière de sécurité. En raison de ces impératifs, EPSF, l’établissement public de sécurité ferroviaire, doit rester totalement indépendant de l’autorité de régulation. La sécurité est un enjeu incontournable, qui passe aussi par des conditions de travail convenables pour tous les salariés du secteur.

Troisièmement, il convient d’adopter un plan d’urgence pour que ce secteur bénéficie d’infrastructures de transports régénérées et modernisées. C’est un impératif écologique et une obligation pour maintenir des liaisons dans les territoires enclavés. L’État pourrait lancer, je l’ai déjà dit, des emprunts publics. Il pourrait aussi, comme en Allemagne, reprendre à son compte la dette de RFF.

Pour conclure, nous avons besoin d’une Europe sociale ferroviaire : des transports durables et accessibles à tous doivent répondre aux besoins des usagers et des territoires, ainsi qu’aux objectifs du Grenelle de l’environnement. Cette Europe sociale ferroviaire doit également permettre d’améliorer les conditions de travail de tous les salariés du secteur.

Telle est donc la toile de fond des propositions que nous formulerons tout au long des débats sur ce projet de loi.

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