Intervention de Michel Teston

Réunion du 19 février 2009 à 15h00
Organisation et régulation des transports ferroviaires et guidés — Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Michel TestonMichel Teston :

Quelles sont les principales dispositions à préciser ?

S’agissant des dessertes intérieures de cabotage, il nous paraît nécessaire de préciser les critères sur lesquels l’autorité administrative compétente pourra s’appuyer pour être certaine que l’entreprise ferroviaire concernée ne développe pas un service de transport de passagers transfrontalier aux seules fins de s’implanter, en réalité, sur les liaisons intérieures.

Il nous paraît également nécessaire de préciser, à l’article 1er, que RFF demeure l’unique gestionnaire du réseau ferré national, qui comprend l’ensemble du réseau, et que le qualificatif de « gestionnaire d’infrastructure » s’applique automatiquement à RFF, mais que les gestionnaires transitoires que sont les opérateurs de partenariat public-privé n’ont pas vocation à conserver cette qualité à l’issue du contrat de partenariat.

Le souci de préserver l’unité du réseau ferré national nous conduit aussi à proposer d’insérer dans la loi une disposition précisant qu’un opérateur de proximité ne peut en aucun cas devenir propriétaire d’une partie du réseau.

Enfin, il nous paraît logique que les concessionnaires d’infrastructures ferroviaires compensent financièrement, selon des modalités à définir, les préjudices socio-économiques que la réalisation de lignes à grande vitesse engendre pour les communes traversées. Ces demandes de précision feront l’objet d’amendements déposés par notre groupe.

J’en viens à la deuxième partie de mon intervention, relative à trois oublis majeurs de ce texte.

Alors que la loi du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs avait pour objectif l’organisation d’un véritable service public des transports, les mots « service public » ont disparu du projet de loi relatif à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires. Étant attachés à l’intégrité du service public ferroviaire, nous proposerons donc de compléter, par ces termes, le 4° de l’article 1er.

En outre, le projet de loi ne contient aucune disposition visant à transposer la directive européenne 2007/59/CE, qui institue la certification des conducteurs assurant la conduite de train sur les réseaux de l’Union européenne.

À ma connaissance, cette directive ne soulève pas d’objection, car le permis de conduire européen – c’est ainsi qu’on l’appelle ! – est un véritable outil d’harmonisation sociale, permettant notamment de garantir un haut niveau de sécurité sur le territoire national, quels que soient les opérateurs ferroviaires. Nous déposerons donc un amendement pour introduire cette disposition dans le projet de loi.

Enfin, alors que l’endettement de RFF est identifié comme étant la principale difficulté en matière d’investissement ferroviaire, le texte ne propose aucune solution permettant le remboursement progressif de cette dette.

Il convient pourtant de clarifier les relations entre RFF et la SNCF. Pourquoi ne pas profiter du projet de loi pour le faire et revenir sur ce que certains ont qualifié de « raté » de la loi du 13 février 1997 ?

En effet, principalement préoccupé par la question de la dette ferroviaire, qui risquait de léser la France dans la perspective du respect des critères de Maastricht, le législateur français avait alors négligé la logique élémentaire.

Il en est résulté une véritable « usine à gaz » dans la mesure où RFF se trouve contraint, par la loi, de déléguer l’essentiel de ses missions à la SNCF, qui est, par ailleurs, un opérateur ferroviaire théoriquement à égalité avec les autres. Dans les faits, l’indépendance est certes « bruxello-compatible », mais elle n’est pas réelle, puisque des relations commerciales contraintes lient les deux entités, relations commerciales qui interpellent.

Dans son rapport sur l’organisation ferroviaire, Hubert Haenel parle même d’un « constat de carence de l’État en matière de gouvernance et de financement du système ferroviaire ». D’autres rapports apportent leur pierre au diagnostic d’extraordinaire complexité du système français et, parfois, des pistes de solution. Ainsi, le rapport de la Cour des Comptes d’avril 2008, intitulé « Le réseau ferroviaire : une réforme inachevée, une stratégie incertaine », et le rapport d’information n° 875 d’Hervé Mariton, publié en mai 2008 et intitulé « Les péages ferroviaires, pour quoi faire ? », s’accordent sur les mêmes constats : l’urgence est à l’adoption de dispositions de simplification et au remboursement de la dette de RFF.

À l’instar de ce qui a été fait en Allemagne, en Autriche et en Italie, la meilleure solution consisterait à mettre en place une holding coiffant RFF et la SNCF.

Cette organisation, qui semble fonctionner correctement dans les états précités, suppose néanmoins que l’État reprenne la dette de RFF– au moins 27 milliards d’euros – faute de quoi, celle-ci apparaîtrait dans les comptes consolidés de la holding, avec de lourdes conséquences pour cette dernière comme pour les deux filiales, notamment la SNCF, et ce dans un contexte caractérisé par la concurrence.

Cela m’amène à la troisième partie de mon intervention, qui porte sur la principale critique de notre groupe à l’égard de ce texte.

Nous considérons que le projet de loi relatif à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires, tout comme la directive qu’il a pour objet de transposer, est inspiré par l’idée selon laquelle il n’y a pas de salut pour les services internationaux de transport de voyageurs en dehors de la concurrence. Comme si la qualité du service ou encore la productivité était systématiquement liée à l’ouverture à la concurrence !

Force est de constater que les arguments sont rares pour justifier l’ouverture à la concurrence des services de transport de voyageurs. Pourtant, cette marche forcée, amorcée au début des années 1990, n’a jamais été remise en question, et ce malgré les expériences peu concluantes de quelques pionniers, en particulier la Grande Bretagne.

En outre, comme l’illustrent les nouvelles lignes directrices communautaires sur les aides d’État aux entreprises ferroviaires du 22 juillet 2008, cette libéralisation s’accompagne de tant de dérogations et autres entorses au principe de libre concurrence inhérentes aux besoins du secteur – qui vont du financement des infrastructures ferroviaires à l’aide à l’achat et au renouvellement du matériel roulant en passant par l’annulation de dettes, la restructuration de branches fret ou encore les aides pour la correction d’externalités négatives, etc. – que sa justification originelle est devenue difficile à défendre.

En réalité, on pourrait bien assister, à compter du service d’hiver de 2010, à un écrémage des lignes considérées comme rentables, avec une forte concurrence sur ces quelques linéaires pour lesquels une baisse des prix entraînera probablement une baisse de la qualité des services, l’emploi pâtissant également d’une telle évolution.

Les opérateurs historiques risquent bien d’être en difficulté, alors même qu’ils devront continuer à assurer le transport international de voyageurs sur les autres lignes, c’est-à-dire celles qui sont peu ou pas rentables. L’ouverture à la concurrence n’est donc pas la solution à retenir pour développer les services internationaux de voyageurs.

Les membres de notre groupe considèrent qu’une autre voie existait. Cette voie, que l’Union européenne a sacrifiée sur l’autel du libéralisme, était et demeure l’incitation à la coopération entre les grands opérateurs ferroviaires.

Ces derniers l’ont d’ailleurs bien compris, ce qui explique les rapprochements qu’ils opèrent en vue d’offrir des services qui, dans l’ensemble, fonctionnent correctement.

Tout le monde connaît ces services ! Il suffit donc de les rappeler brièvement : Eurostar pour les liaisons entre Paris et Londres, d’une part, et entre Bruxelles et Londres, d’autre part ; Thalys pour les liaisons entre Paris, Bruxelles, Amsterdam et Cologne ; Lyria pour les liaisons entre Paris et Genève, Lausanne, Berne, Bâle et Zurich ; Alleo pour les liaisons entre Paris et Francfort, d’une part, et entre Paris, Stuttgart et Munich, d’autre part, ce service utilisant le tronc commun que constitue la première partie de la ligne à grande vitesse Est.

À partir de cette analyse, quel est notre état d’esprit au début de l’examen de ce projet de loi ?

Il est possible que nous parvenions, lors des débats, à un accord concernant la certification des conducteurs de train, gommant ainsi un des grands oublis du texte.

Par ailleurs, des avancées significatives sont-elles possibles quant à la clarification des relations entre RFF et la SNCF ? Le Gouvernement est-il prêt à mettre en place un échéancier crédible pour la reprise progressive de la dette de RFF ?

Même s’il en était ainsi, ce dont nous doutons, ces évolutions ne feraient pas disparaître la critique fondamentale que nous formulons sur la croyance absolue dans les vertus de la concurrence pour développer le transport international de voyageurs.

Nous sommes donc opposés à l’adoption de ce projet de loi.

Cette position ne nous empêchera pas de participer activement à la discussion des articles pour essayer d’éviter le vote de dispositions sur lesquelles il serait très difficile de revenir. Nous conservons effectivement l’espoir que l’Union européenne prendra un jour conscience du fait que le développement du transport ferroviaire de voyageurs sur notre continent passe par la coopération, et non par la concurrence, entre les opérateurs ferroviaires et qu’elle saura en tirer les conclusions nécessaires en changeant radicalement d’orientation. Ne dit-on pas souvent qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire ?

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