Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’associe à mon propos mon collègue et ami Martial Bourquin. Il devait intervenir cet après-midi, mais il a été obligé de retourner dans le Doubs en raison des difficultés que le secteur automobile de ce département traverse actuellement.
Ce projet de loi, d’apparence très technique, constitue une nouvelle étape de la libéralisation du transport ferroviaire dans la mesure où il entérine l’ouverture à la concurrence du transport international de voyageurs. Les remarques que je formulerai aujourd’hui ne balaieront pas tous les aspects de ce projet de loi, mais Michel Teston vient de le faire excellemment. Je me concentrerai donc sur les paradoxes de la politique européenne de concurrence dans le secteur ferroviaire.
Le service public des transports ferroviaires a toujours eu une place à part dans la réalisation d’un espace communautaire. C’est ce qu’a très justement rappelé notre collègue Hubert Haenel dans son rapport d’information, fait au nom de la commission des affaires européennes, sur la libéralisation des transports ferroviaires dans l’Union européenne.
La réalisation d’un espace commun de transports ferroviaires européens, ne nous y trompons pas, est très compliquée. Elle suppose un temps d’adaptation très long, comprend des contraintes techniques importantes si l’on considère, pour ne citer que les principales, l’exigence et le coût de l’entretien des infrastructures et du matériel roulant, l’harmonisation informatique, ainsi que les conditions de travail des personnels.
Depuis près de vingt ans, un certain nombre d’exceptions ont été prévues pour tenir compte de la particularité du secteur.
En premier lieu, le texte qui nous est aujourd’hui soumis s’avère la simple transposition, en droit interne, de dispositions introduites dans les années quatre-vingt-dix. Peut-on seulement l’ignorer ? Les objectifs de l’Union européenne ont bien changé depuis et gagné en réalisme. La « concurrence pour la concurrence » n’est plus un dogme si immuable.
Depuis, nous en sommes tous ravis, l’Europe s’est en effet engagée dans la bataille de l’environnement, dans la promotion de transports ferroviaires européens de qualité, attractifs pour les usagers et les entreprises, dans la promotion de l’intermodalité, extra et intra-urbaine, et – le mot est lâché ! –, dans le rééquilibrage rail-route. Depuis, l’Europe s’est engagée pour créer des emplois et promouvoir une croissance verte.
Or le présent projet de loi ne tient pas compte de ces évolutions. Il est resté bloqué sur une transposition administrative a minima de l’ouverture à la concurrence, paquet par paquet, quand celle-ci aurait pu s’enrichir de cette réflexion. Il aurait pu être un texte majeur pour donner un nouvel élan à l’Europe des transports ferroviaires. Il n’en est rien ! Il n’évoque pas – ou si peu – la situation actuelle des personnels ferroviaires, pas plus que leurs perspectives d’avenir. Lors d’une réunion de la commission des affaires européennes consacrée à l'examen du rapport rédigé par Hubert Haenel, notre collègue Bernadette Bourzai a déploré qu’il n’y soit pas fait état de la directive relative à la certification des conducteurs de train. C’est aussi le cas dans ce projet de loi !
Nous voilà embarqués dans le train de la concurrence, et nous nous demandons s’il y a un conducteur à bord ! Par ailleurs, le moins que l’on puisse dire, c’est que nous manquons d’une étude d’impact sérieuse sur les effets attendus de ce projet de loi sur l’ensemble de la politique des transports.
En deuxième lieu, ce texte est une occasion manquée, sur le plan tant environnemental que social.
J’aurais souhaité y voir, par exemple, une articulation très serrée avec la discussion du projet de loi de programme relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, en particulier sur son volet transport. À croire que nos deux semaines de débat sur ce texte n’auront pas servi à grand-chose, puisque nous ne saisissons pas aujourd'hui l’occasion qui nous est donnée de mettre en œuvre les orientations du Grenelle.
Nous examinons en effet un projet de loi dont les objectifs européens de développement durable, de péréquation et d’aménagement du territoire, de qualité de service, de respect du citoyen et du consommateur, et de formation et de mobilité des personnels semblent passer à la trappe pour ne laisser place qu’à un seul objectif : l’ouverture à la concurrence à tout prix ; mais à quel prix !
En troisième lieu, les transports internationaux de voyageurs constituent le volet le plus rentable du transport ferroviaire. Des opérateurs européens ont déjà fait connaître leur grand intérêt pour un positionnement sur ce secteur. On les comprend ! Le combat n’est pas égal.
Des distorsions de concurrence ne sont pas à redouter entre les opérateurs anciens et les nouveaux entrants, mais avec ceux d’entre eux qui n’ont pas la charge de faire vivre la totalité d’un réseau comprenant des parties rentables et moins rentables, qui n’ont pas la charge d’assumer des missions d’aménagement du territoire, qui n’ont pas pour mission de rendre attractifs le fret ferroviaire et l’intermodalité, et – comble du comble ! – qui n’auront pas la charge de faire vivre l’Europe des transports durables.
Devons-nous cautionner cette situation, alors que le nouveau gendarme du rail, dont la création est entérinée par ce texte, c’est-à-dire l’Autorité de régulation, ne fera qu’arbitrer en interne et n’aura pas pour rôle de définir une véritable politique commune du transport ferroviaire ?
En quatrième lieu, la perte de marchés plus rentables pour les opérateurs historiques ira immanquablement de pair avec une rationalisation des plus petites lignes, voire leur fermeture, avec un entretien des réseaux de plus faible qualité, ce qui représentera une menace pour la sécurité des usagers et des personnels, et avec un ralentissement encore plus important des voies. Tous ces facteurs induiront, à terme, une préférence pour la route. C’est déjà le cas dans de nombreuses régions françaises avec les transports express régionaux, les TER.
Qui compensera ces pertes ? Réseau ferré de France ? Il est englué dans des dettes abyssales ! La SNCF ? Sera-t-elle seulement en mesure de se positionner sur des marchés européens ? L’État ? Le plan de relance témoigne de l’absence de volonté politique en faveur du ferroviaire, du fret et de l’intermodal ! Les régions ? Je suis bien placé pour savoir qu’elles sont déjà allées au-delà de leur rôle et financent très largement, d’ailleurs avec succès, des TER dont nous avons tout lieu d’être fiers !
Je suis persuadé que la priorité, ce n’est pas la marche forcée vers la concurrence, mais l’accomplissement de progrès en vue d’une meilleure interopérabilité et d’une harmonisation vers le haut de la coopération des personnels ; c’est surtout un investissement massif vers le ferroviaire durable. Seule la volonté politique permettra de dégager ces investissements.
En cinquième lieu, je souhaite formuler quelques propositions.
Je plaide tout d’abord pour que l’internalisation des coûts, notamment environnementaux et sociaux, soit prise en compte pour le calcul d’un droit d’entrée des nouveaux entrants dans le marché commun du transport international de voyageurs.
Je plaide également pour une reprise d’une partie de la dette de RFF, seul moyen d’éviter des distorsions trop importantes de concurrence et de permettre à cette entreprise de mener à bien l’entretien des infrastructures. En Allemagne et en Suisse, pays performants dans le domaine ferroviaire, l’État a fait cet effort. Et l’effort a payé, y compris économiquement.
Je plaide pour que la stratégie de Göteborg ne soit pas qu’une stratégie mais qu’elle soit mise en œuvre. Je suis favorable à un grand emprunt européen qui permette d’investir dans les infrastructures ferroviaires, de promouvoir les autoroutes ferroviaires, de développer le fret et de le rendre intéressant pour les entreprises, d’harmoniser les spécificités européennes ferroviaires. Si urgence il y a, elle doit aller dans cette direction.
Cela implique des choix, et ce sera mon sixième point.
S’il y a bien une ouverture à la concurrence qui vaille la peine que l’on se batte, mes chers collègues, c’est une concurrence externe, avec la route.
Il n’est plus possible de continuer à fermer les yeux sur les cohortes de camions, venus de toute l’Europe, qui engorgent les routes des pays centraux de l’Union européenne, afflux qui constitue un véritable drame pour l’environnement et pour la sécurité routière.
Il n’est également plus possible de fermer les yeux sur les conditions de travail des chauffeurs routiers, qui pourraient devenir des partenaires et des acteurs essentiels d’une politique de ferroutage ambitieuse.
En septième lieu, je vous rappelle que les perspectives financières 1999-2006 ne prévoyaient que 5 milliards d’euros pour la politique européenne des transports. Or tant que le ferroviaire européen ne bénéficiera pas du produit d’une taxe contraignante sur le transport routier, les moyens pour en faire un véritable service d’intérêt général doté d’une grande attractivité économique ne seront jamais à la hauteur des enjeux.
Bref, la transposition a minima d’une directive européenne – exercice que j’ai connu lorsque j’exerçais d’autres fonctions ! –, publiée voilà presque vingt ans, ne saurait être à la hauteur de l’enjeu économique, social et environnemental qui est le nôtre. Nous y sommes donc opposés.