Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne peux m’empêcher de commencer cette intervention en soulignant l’exercice de grand écart effectué par le Gouvernement.
En effet, il y a seulement quelques semaines, nous débattions du projet de loi relatif au Grenelle de l’environnement, qui devait amorcer, selon les termes mêmes de M. le ministre d’État, une « rupture puissante, forte et radicale » dans le secteur des transports. Or, qu’en est-il ?
Premièrement, la révolution annoncée n’est pas au rendez-vous au regard de la faiblesse des dispositions contenues dans le texte du Grenelle. Et le Gouvernement propose aujourd’hui la libéralisation du transport international de voyageurs à partir du 13 décembre 2009 !
Comment peut-on penser que la mise en œuvre de la loi du marché permettra un quelconque essor du transport ferroviaire ? Comment atteindre les objectifs de rééquilibrage modal et de modernisation du réseau si le Gouvernement continue de se priver de tous les leviers d’action en affaiblissant l’opérateur historique, seul en charge d’une mission de service public ? C’est pourtant le choix que vous faites, en poursuivant inlassablement le processus d’ouverture à la concurrence et la libéralisation des services publics.
Pourtant, la crise sans précédent que nous connaissons devrait vous conduire à faire preuve d’un certain pragmatisme, voire – et c’est la démarche que nous vous soumettons – à dresser un moratoire portant sur les politiques qui ont conduit à un tel désastre.
En effet, la course au profit comme unique modèle de développement des entreprises, encourageant le dumping social et fiscal, ne peut conduire qu’à une déconnexion totale entre l’économie réelle et les marchés financiers. Le concept fallacieux de la main invisible, unique régulateur du marché, et l’absence d’harmonisation fiscale et sociale au niveau européen n’ont servi, en réalité, qu’à détourner les pouvoirs publics de la recherche de réponses aux besoins collectifs et d’une politique garantissant des services publics efficaces.
L’ouverture à la concurrence devait permettre, selon ses partisans, de rendre aux usagers un meilleur service au meilleur prix. Or les exemples prouvant que le résultat escompté n’est pas au rendez-vous sont nombreux. Concrètement, l’ouverture à la concurrence n’a jamais bénéficié aux usagers. Ceux de la téléphonie, de l’énergie et des transports en savent quelque chose ! Les prix ont systématiquement augmenté et le service rendu s’est détérioré. Les seuls à en avoir bénéficié sont les actionnaires des nouveaux opérateurs, comme des opérateurs historiques privatisés, qui ont réalisé des affaires très profitables.
Des exemples étrangers explicites, notamment les accidents à répétition qui se produisent Outre-Manche, dans un pays pionnier de l’ouverture à la concurrence, devraient nous inciter à la prudence.
L’Allemagne, qui avait fait le choix d’éponger la dette de la Deutsche Bahn en vue de sa privatisation, semble aujourd’hui faire marche arrière au regard du contexte économique. C’est un indicateur important.
Dans notre pays, le bilan de la libéralisation du fret ferroviaire à la suite de la transposition des deux premiers paquets de directives est clair. Il fait état de la suppression de milliers d’emplois, de la fermeture de 262 gares où était assurée l’activité de transport par wagon isolé et de la suppression des dessertes jugées trop peu rentables. Nous pouvons également déplorer une nouvelle perte de la part du rail au profit de la route. Le plan fret a ainsi eu pour conséquence directe de remettre plus d’un million de camions sur les routes.
Le budget prévisionnel de la SNCF pour 2009 devrait conduire, une nouvelle fois, à la suppression de 2 600 postes, dont 1 400 pour le seul secteur du fret.
Nous disposons donc d’éléments concrets pour juger des effets néfastes de la libéralisation dans le secteur ferroviaire.
Je vous rappelle qu’en 2004 déjà, lorsque la Commission européenne avait présenté le troisième paquet ferroviaire, nous vous avions alerté sur les risques d’une telle libéralisation pour les usagers et pour les personnels, au regard notamment des impératifs de sécurité du réseau.
Pourtant, contre toute attente, vous persévérez dans cette voie en souhaitant nous faire adopter, aux prémices d’une crise sociale sans précédent, la transposition du troisième paquet et, je le répète, la libéralisation du transport voyageur au 13 décembre 2009.
On a l’impression que, selon vous, la meilleure manière de répondre aux dérives du libéralisme est d’accélérer encore le rythme et l’ampleur des réformes, dans un sens encore plus favorable au libéralisme.
Cette détermination à nourrir un modèle qui a pourtant lourdement échoué est absolument sidérante.
Quant à la transposition de cette directive, il ne s’agit pas, comme nous l’entendons trop souvent, d’une obligation juridique devant laquelle nous serions absolument démunis. Si le gouvernement français souhaitait réellement mettre en œuvre une autre politique des transports, fondée sur le développement du service public, il pourrait se faire entendre par la Commission européenne. En effet, nous avons bien vu, récemment, que la détermination de la France et de l’Allemagne a permis de suspendre provisoirement l’application du pacte de stabilité.
Par ailleurs, il faut rappeler que cette directive entérine des choix faits par le gouvernement français au sein des institutions européennes.
Rien ne nous oblige à légiférer au début de 2009, et surtout pas en urgence, pour introduire de nouvelles dispositions qui n’entreront en vigueur qu’à la fin de l’année.
Pour toutes ces raisons, nous demandons qu’un bilan de la libéralisation du secteur soit entrepris et qu’un moratoire soit décrété sur les directives libérales dans l’attente de ce bilan.
Pourquoi donc le Gouvernement met-il un tel zèle à persévérer dans l’erreur, allant même plus loin dans le démantèlement du secteur ferroviaire que la directive européenne ne l’impose ?
En effet, la création d’opérateurs de proximité n’est en aucun cas la traduction d’une exigence communautaire ou de la lettre de mise en demeure de la Commission du 28 juin 2008. Or ces fameux opérateurs de proximité auraient à leur charge non seulement le service de transport mais également la gestion du réseau. C’est donc l’unité du réseau national que vous avez aujourd’hui décidé de remettre en cause.
En effet, par ce nouveau mécanisme, les collectivités risqueront d’être dans l’obligation de participer à la création de ces opérateurs pour éviter l’abandon de lignes jugées trop peu fréquentées ou trop dégradées.
S’agissant des personnels de la SNCF travaillant pour le compte de Réseau ferré de France, RFF, je vous rappelle que l’actuel projet de loi s’en tient, pour sa part, à une séparation comptable au sein de la SNCF, selon que les activités relèvent de la gestion de l’infrastructure ou de l’exploitation des services de transports. Il n’est pas évident que la lettre de grief de la Commission impose d’autres mesures.
De plus, la création, proposée par voie d’amendement par M. le secrétaire d’État, d’une nouvelle structure appelée Exploitation nationale des chemins de fer français, ENCF, sous la forme d’une direction indépendante de la SNCF, n’a qu’un seul intérêt, celui d’affaiblir encore un peu plus l’opérateur historique.
On perçoit bien la tendance à vouloir démanteler le système ferroviaire auparavant intégré. Dans ce cadre, le découpage progressif de la SNCF annonce très clairement le dessein de sa privatisation future, comme ce fut le cas naguère pour d’autres entreprises publiques,
S’agissant de l’ouverture à la concurrence des transports régionaux, proposée par le rapport de notre collègue Hubert Haenel, il n’existe, là encore, aucune obligation communautaire puisque les transports régionaux relèvent soit du cabotage clairement encadré par la directive de 2007, soit du règlement relatif aux services publics de transport de voyageur par chemin de fer dit « règlement OSP » – obligations de service public – qui laisse aux autorités organisatrices le choix de conserver ou non le monopole de la SNCF. La ministre Nathalie Kosciusko-Morizet a très clairement rappelé que son « objet [n’est] pas d’anticiper l’ouverture à la concurrence des services ferroviaires intérieurs. […] Ainsi […], les autorités organisatrices des services régionaux de voyageurs ne pourront se prévaloir du règlement OSP pour lancer des appels d’offres afin de confier les services de voyageurs à d’autres opérateurs que la SNCF » et mettre ainsi en concurrence les transports régionaux.
Vous semblez pourtant, monsieur le secrétaire d’État, ouvrir cette possibilité en la cantonnant à l’expérimentation par le volontariat des régions.
Nous considérons, pour notre part, que cette question n’est pas opportune et que cette ouverture ferait peser des risques importants sur la sécurité des voyageurs.
Sur le fond, l’unité du réseau et de sa gestion, comme l’unité d’exploitation par la SNCF, c’est-à-dire l’existence d’un système ferroviaire intégré, constituent la seule garantie d’un système performant et sûr sur l’ensemble du territoire.
Nous voyons d’ailleurs bien la tentation qui guette certains nouveaux opérateurs comme certains de nos collègues de considérer les règles de sécurité comme des entraves à la compétitivité.
Ainsi, lors de son audition, le représentant d’Euro Cargo Rail nous indiquait que la compétitivité des entreprises ferroviaires ne devrait pas être remise en cause par l’Établissement public de sécurité ferroviaire, l’EPSF. De la même manière, le directeur général de Veolia Transport a salué l’idée que la commission de régulation vérifie que les règles de sécurité imposées par l’EPSF n’aient pas pour objectif d’évincer la concurrence.
À ce titre, le fait même que l’EPSF soit placé sous la tutelle de l’autorité de régulation nous inquiète profondément. Nous ne sommes pas favorables à la mise en place de telles autorités. Outre qu’elles symbolisent toute la logique de la libéralisation, leur forme, leur mission, leur pouvoir sont largement contestables.
Ces ovnis juridiques ne correspondent effectivement ni à notre conception de l’indépendance ni à notre conception de la transparence. Ils ne sont absolument pas légitimes puisque leurs membres sont nommés et qu’ils ne sont pas responsables des décisions prises dans le cadre de leurs pouvoirs exorbitants.
Sur le fond, nous considérons que les pouvoirs publics ne peuvent, par la création d’une telle autorité, que se dédouaner des questions de sécurité, d’aménagement du territoire et, tout simplement, de la mise en œuvre du service public ferroviaire.
L’externalisation des compétences des pouvoirs publics pousse à l’absence de responsabilité politique sous couvert de la technicité d’experts soi-disant indépendants. À ce titre, la mission de contrôle des activités ferroviaires n’avait ni les mêmes fonctions, ni le même statut. Aucune comparaison n’est donc possible.
En outre, sur un plan strictement juridique, confier à la Commission de régulation des activités ferroviaires, la CRAF, un pouvoir réglementaire, même s’il reste marginal, ainsi que des pouvoirs décisionnels et juridictionnels, c’est lui donner la possibilité d’être le juge de ses propres réglementations, ce qui est absolument contraire à la notion de séparation des pouvoirs. Pourtant, l’ensemble des amendements de la commission des affaires économiques renforce ces pouvoirs et dote cette autorité non seulement de la personnalité morale mais également de l’autonomie financière.
Concernant les pouvoirs exorbitants de cette autorité, il me semble invraisemblable que le refus par le ministre d’homologuer la réglementation proposée par cette autorité doive être motivé. C’est vous, monsieur le secrétaire d’État, qui disposez de la responsabilité politique et non l’inverse.