Pour conclure sur cette question, je citerai un passage particulièrement explicite du professeur Claude Champaud sur la définition de ces autorités : « bien qu’administrati[fs], [ces organismes] n’ont pas pour seule fonction de veiller au respect du bien public mais de préserver des intérêts privés dont la sauvegarde est d’intérêt général. »
J’en viens maintenant à ce qui me semble essentiel et dont il n’est pas du tout question dans ce texte : le service public ferroviaire et le financement de ses infrastructures.
En effet, en matière ferroviaire, l’urgence est aujourd'hui non pas celle d’une libéralisation accrue mais bien au contraire celle d’une implication forte de la puissance publique pour rendre le réseau plus moderne, performant et accessible à tous.
Le Grenelle de l’environnement devait faire de la question des transports une priorité de l’action publique. En laissant les intérêts privés définir le niveau de l’offre de service, ce texte réalise le contraire de cette ambition.
Je vous rappellerai à ce titre qu’une mission d’information sur le financement des infrastructures de transports terrestres a dressé un état des lieux accablant, comme, en son temps, l’audit de l’École polytechnique fédérale de Lausanne. Selon ses conclusions, si rien n’est fait, 30 % à 60 % des infrastructures ne seront plus utilisables dans quelques années.
Même dans votre logique libérale, cela pose problème. En effet, si le réseau est vétuste, aucun opérateur privé ne verra l’intérêt qu’il aurait à proposer ses services. Plus grave, l’avantage concurrentiel de la route sera encore une fois renforcé.
L’urgence est donc bien celle d’investissements massifs en faveur du réseau ferroviaire.
Le rapport de la mission d’information sur les transports terrestres insistait notamment sur la nécessité d’une reprise rapide de la dette de RFF pour lui permettre d’investir dans le réseau, tout comme le rapport de la Cour des comptes d’avril 2008 concernant le réseau ferroviaire.
C’est tout de même ahurissant : alors que le Gouvernement, à deux reprises, a trouvé des milliards pour injecter des liquidités dans les banques, il n’a pas encore trouvé de solution pour RFF !
Je ne reviendrai pas sur la décision prise par votre majorité de privatiser les concessions d’autoroutes, décision qualifiée d’erreur historique par la mission d’information parce qu’elle prive l’Agence pour le financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, de ressources pérennes.
Je ne parlerai pas non plus des crédits affectés à la mission transport dans la loi de finances, qui diminuent comme peau de chagrin. Considérons la seule subvention aux infrastructures : elle a été divisée par deux depuis 2002.
En clair, l’État se décharge de ses missions sur les régions, depuis la loi de décentralisation concernant les transports régionaux, et sur le secteur privé pour la réalisation des infrastructures, grâce aux fameux contrats de partenariat, et pour l’exploitation du service par l’ouverture à la concurrence généralisée.
Pour notre part, nous estimons que la réalisation de partenariats public-privé ne peut constituer une alternative aux forts besoins de financement des infrastructures. En effet, la réalisation d’infrastructures d’intérêt général doit être prévue sur le long terme et dégagée des aléas des marchés financiers. Au final, les infrastructures non rentables seront confiées au secteur public, alors que celles qui seront jugées rentables seront rapidement réalisées par le secteur privé. Autrement dit, on privatise les gains et on socialise les pertes.
L’ouverture à la concurrence des transports de voyageurs internationaux, nationaux et régionaux ne nous paraît pas non plus de nature à relever les défis environnementaux majeurs qui nous sont lancés. Bien au contraire, la volonté de réduire l’émission de gaz à effet de serre plaide pour une plus grande maîtrise publique, seul moyen d’assurer la coordination nécessaire à la mise en œuvre de l’intermodalité.
En effet, le développement des grandes lignes internationales financièrement rentables risque d’être privilégié au détriment des principes d’aménagement du territoire. En conséquence, le mécanisme de péréquation financière entre axes rentables et axes non rentables risque de voler en éclats.
Dans un tel contexte, la concurrence risque de s’exacerber sur les axes saturés et dans les périodes horaires de haute fréquence en favorisant des conflits d’intérêts dans l’attribution des sillons et des surenchères financières pour leur acquisition. Le voyageur en fera in fine les frais par le biais d’augmentations des tarifs.
En outre, la concurrence risque de se faire sentir non pas sur les prix mais sur les normes sociales, comme cela est devenu monnaie courante au sein de l’Union européenne.
Pour toutes ces raisons, nous vous invitons, chers collègues, à voter cette motion tendant à opposer la question préalable. La libéralisation n’est tout simplement pas une réponse au problème majeur que connaissent les transports aujourd’hui, celui du désengagement massif de l’État de ses missions de service public, notamment en termes d’investissement.
Au moment où nos concitoyens s’apprêtent à traverser une crise sociale majeure, il n’est certainement pas nécessaire de les priver encore un peu plus de la garantie collective assumée par la puissance publique. Il s’agit bien au contraire de faire jouer les solidarités nationales pour garantir leurs droits et notamment leur droit à la mobilité.