Intervention de Michel Charasse

Réunion du 31 juillet 2007 à 16h00
Contrôleur général des lieux de privation de liberté — Article 6

Photo de Michel CharasseMichel Charasse :

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, je crois qu'il faut clarifier la question des opérations extérieures, les OPEX, dont parlait à l'instant M. Badinter, et plus généralement le problème de la présence française militaire à l'étranger au regard de votre texte.

Quand nos armées interviennent en opération extérieure, avec l'accord du pays dans lequel elles exercent leur mission, par exemple dans le cadre d'un accord bilatéral militaire ou autre, tout est placé, en principe, sous l'autorité civile du pays concerné. Et par conséquent, ce qui peut se passer en matière de contrôle à l'intérieur des unités relève des accords qui ont pu être conclus avec ce pays.

La plupart du temps, cependant, ces interventions ont lieu à la demande ou avec l'accord de l'ONU ou d'une autre organisation internationale. Dans ce cas, mes chers collègues, c'est le pays responsable du détachement militaire qui assure le contrôle pour le compte de l'ONU et qui doit lui en rendre compte.

Donc, le pays - par exemple la France - est responsable de ce qui se passe à l'intérieur de ses installations militaires, et il doit mettre en place les dispositifs nécessaires pour rendre compte à l'ONU et, éventuellement, pour effectuer les contrôles qu'elle sollicite.

Donc, qui effectue aujourd'hui les contrôles dont nous parlons ? Normalement, c'est l'autorité militaire, c'est-à-dire, par exemple, le contrôle général des armées - encore qu'il ne soit pas forcément compétent en toutes matières- et, pour les militaires français à l'étranger, les tribunaux aux armées. Ceux qui n'ont pas le statut de militaires français et qui sont, par exemple, prisonniers dans un camp occupé par la France, sont sous statut onusien, et on en revient à ma question de départ.

Donc, madame le garde des sceaux, il faut préciser, dans ce cas, comment les choses se passent. Personnellement, même si je ne suis pas toujours favorable à des interventions civiles intempestives en cours d'opération militaire - c'est une position traditionnelle de la République qui remonte au président Édouard Daladier en 1940 et aux instructions qu'il avait adressées pour interdire les contrôles parlementaires en cours d'opération militaire-, la question soulevée pose un vrai problème.

Il faut, enfin, examiner la situation de nos implantations militaires à l'étranger, dans le cadre d'accords de coopération, d'ailleurs pour la plupart jamais ratifiés. Je pense notamment à nos positions en Afrique. Là où se trouve, par exemple, un camp militaire à Abidjan ou à Djibouti, l'armée française est présente et sa situation est la même que pour la caserne de Castelnaudary, de Bourges ou autres. Il y a, à l'intérieur de l'emprise militaire, des locaux disciplinaires, une prison militaire, et les tribunaux militaires sont compétents. Mais nous sommes en situation d'extraterritorialité et on peut donc considérer, comme c'est le cas d'une ambassade, que nous sommes toujours fictivement sur le territoire de la République.

Donc, a priori, lorsque le contrôle peut avoir lieu en tous points du territoire de la République, cela veut dire que, dans les implantations militaires françaises qui ne relèvent pas des OPEX de l'ONU, on se trouve fictivement sur le territoire de la République, comme dans une ambassade où l'autorité de police compétente en cas d'infraction est le consul général du secteur, et non pas l'ambassadeur, contrairement à ce que l'on croit. Par conséquent, monsieur le président, tout cela mérite d'être clarifié.

J'ajouterai une observation.

On a évoqué l'article 40 de la Constitution. Je ne sais pas ce qu'a fait la commission des finances, et je me garderai bien de désavouer son autorité, qu'il m'arrive d'exercer, en ce qui concerne les décisions qu'elle a pu prendre en matière de recevabilité. Mais, chaque fois que l'on discute de textes pénaux ou très voisins de la procédure pénale, il a été admis depuis 1958 - Michel Debré lui-même, l'un des auteurs de la Constitution, l'a dit et l'a écrit, et le Conseil constitutionnel s'est toujours bien gardé d'intervenir en la matière - que l'article 40 n'était pas opposable. Sinon, il nous serait interdit de diminuer le tarif d'une amende, puisque nous réduirions les ressources publiques.

Je ne connais pas le contenu des amendements en cause. Il n'empêche que ces questions ne peuvent pas être évacuées à la légère. On ne peut pas se trouver - je conclurai par cela, monsieur le président - dans une situation dans laquelle un certain nombre de démembrements extérieurs de la République, fictifs ou pas, qu'il s'agisse d'une mission que nous exécutons pour le compte de l'ONU dans le cadre de la Charte onusienne créant pour nous des obligations ou d'une implantation militaire qui bénéficie de l'extraterritorialité, échappent aux conventions internationales, de l'ONU ou autres, signées par la France ou aux règles générales de la législation française en matière de protection des libertés et des droits.

Telles sont, monsieur le président, les quelques observations que je souhaitais formuler, étant entendu que, comme toujours, il faut arriver à concilier les choses de manière à ne pas perturber la mission difficile de l'armée française dans des circonstances graves et périlleuses. Mais j'ai la faiblesse de penser que, si le Gouvernement désigne un contrôleur général qui a le sens - et un haut sens - des responsabilités et de l'État, il saura faire preuve, je n'en doute pas - et n'en doutez pas non plus s'il est bien choisi -, du discernement nécessaire : il connaîtra son devoir en ce qui concerne la conciliation nécessaire entre les droits individuels, les droits et les obligations de la nation, et les droits humains collectifs

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