Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je formulerai tout d’abord une interrogation partagée : où tiendrons-nous bientôt nos séances publiques ? Sommes-nous réunis aujourd’hui dans cette salle, certes magnifique, au premier sous-sol, parce que ce débat est en réalité prématuré ou peu digne d’intérêt ?
Mes chers collègues, vous êtes tous attentifs, dans vos circonscriptions, comme je le suis dans l’Aisne, aux nominations et à la mise en place des dispositifs « HPST ». Vous avez certainement rencontré, comme j’ai eu l’occasion de le faire, le directeur de l’agence régionale de santé dont relève désormais votre territoire.
Or, depuis l’entrée en vigueur de la loi adoptée le 21 juillet 2009, qu’y a-t-il de nouveau ? Quelle amélioration, pour nos concitoyens, en termes d’accès aux soins hospitaliers, de ville, d’urgence ? De prévention ? De prise en charge et d’accompagnement social et médico-social ? Un an après, l’acronyme ARS se décline encore dans le désordre : RAS !
Il y a douze mois de cela, vous plaidiez pourtant, madame la ministre, l’urgence absolue ; vous imposiez au Parlement de légiférer au pas de course alors même que votre projet comportait force lacunes et défaut de moyens. Votre propre majorité, à l’origine d’un grand nombre des 4 000 amendements déposés, ne s’y était pas trompée.
Deux semaines de réunions de commission, quinze jours ininterrompus de débats en séance, matin, midi et soir... Au moins cette loi restera-t-elle, à ce titre, dans les annales des débats parlementaires. Il est vrai aussi qu’elle a permis que soit expérimentée à ses dépens – et aux nôtres – la nouvelle procédure d’examen législatif exigeant de la commission un travail de séance.
Sur ce point, je pense exprimer un sentiment largement partagé dans notre assemblée en vous reprochant, madame la ministre, de n’avoir pas toujours joué le jeu ; vous avez en effet déposé nombre d’amendements de dernière minute en séance publique pour ajouter au texte des dispositions d’importance, qui méritaient mieux qu’un passage en force – c’est le cas des dispositions relatives aux CHU – ou pour « casser » les accords trouvés en commission entre majorité et opposition. C’est un évident manque de considération à l’égard du Parlement. Que votre majorité, par ses retournements, vous ait au final pratiquement toujours suivie est une autre histoire...
C’est en effet – j’en reviens à mon propos – le texte de tous les records. Le projet, qui comportait à l’origine 33 articles et près de 150 à l’issue de son examen, nécessitera, sauf erreur de ma part, 216 textes réglementaires d’application, 9 rapports et 8 ordonnances. À titre d’exemple pris au hasard, l’ordonnance publiée le 23 février dernier ne fait pas moins de trente pages...
À la date du 11 juin dernier, 59 mesures réglementaires, 8 ordonnances – en attente de ratification toutefois – et un rapport étaient publiés. Mais 157 textes – et non des moindres – sont toujours en attente.
Dans ce nouveau marathon de la technicité, la lisibilité, la clarté et l’efficacité n’y trouvent pas pour l’instant leur compte, pas plus, je le crains, que les administrés, en particulier les malades.
Ce bref débat vous permettra à tout le moins, madame la ministre, d’éclairer la représentation nationale sur la réalité de votre calendrier, un an après. Un an avant – c’était le 1er juin 2008 –, vous déclariez que l’ensemble des dispositions contenues dans le projet de loi HPST devraient être en place début 2010. Il est vrai que vous affirmiez en même temps vouloir « sauver l’hôpital public ».
L’audition, le 26 mai dernier, par notre commission des affaires sociales du comité d’évaluation de la mise en œuvre des dispositions relatives à la modernisation des établissements de santé, en la personne notamment de son président, notre éminent collègue et ancien ministre Jean-Pierre Fourcade, ne nous a pas rassurés. Un an après règnent surtout l’inquiétude et les incertitudes.
Ainsi, qu’en est-il de la participation des établissements commerciaux de santé à l’accomplissement des missions de service public, qui remplacent désormais le défunt service public hospitalier, formellement supprimé du code de la santé publique ? Il est en effet apparu au comité d’évaluation que le projet de décret définissant une procédure d’attribution des missions de service public n’était pas conforme à la loi.
Le comité a aussi envisagé que certains décrets, dont celui-ci, ne soient jamais pris dans la mesure où la loi serait en définitive suffisamment explicite. Or c’est pourtant sur cette même et seule disposition que le Conseil constitutionnel a émis une réserve d’interprétation. Je vous renvoie au sixième considérant de cette décision du 16 juillet 2009.
À cet égard, la nouvelle rédaction de l’article L.6112-3 du code de la santé publique prévoit que les établissements de santé privés devront garantir la permanence de l’accueil et la prise en charge ou l’orientation du « client », pardon, du patient, vers un autre établissement ou une autre institution. L’ancienne rédaction ne comportait pas le terme « orientation » mais celui d’ « admission ». Garantir l’admission était clair : la clinique qui ne pouvait ou ne souhaitait pas prendre en charge un patient avait l’obligation de s’assurer qu’il était effectivement pris en charge par un autre établissement. Que signifie « garantir l’orientation » ? Suffira-t-il de tendre le bras et d’indiquer : « c’est là-bas » ? Merci, madame la ministre, de nous garantir que tel ne pourra pas être le cas.
La seule certitude que l’on ait aujourd’hui est que les choix politiques de ce gouvernement de sous-financer les hôpitaux publics – vous l’avez vous-même reconnu, madame la ministre –, de supprimer des personnels et de fermer les services préfigurent la privatisation en marche de notre système de santé !
Nul ne peut en effet ignorer l’énorme campagne publicitaire de la Fédération de l’hospitalisation privée opportunément menée à l’heure où s’écrivent les décrets. Le comité d’évaluation constate lui-même le mouvement actuel de regroupement des cliniques privées. Votre loi a été reçue cinq sur cinq par les fonds de pension !
S’agissant des soins ambulatoires, l’incertitude règne également, aux dires du même comité, qui estime que l’organisation du maillage complet de l’offre de soins, intégrant les médecins de ville, est encore un objectif à moyen terme. Cela a déjà été évoqué.
Vous n’avez effectivement pas souhaité intervenir plus avant sur les conditions d’installation en zone désertifiée, sur les dépassements d’honoraires, sur les refus de soins, dont l’existence n’est pas contestée. Vous avez pourtant approuvé le testing, souhaité sa légalisation et, dans le même temps, absolument refusé de l’inscrire dans la loi. Comprenne qui pourra !
Déremboursements de médicaments, hausse du forfait hospitalier, franchises… suscitent visiblement moins d’hésitations. Si l’acte médical doit se voir reconnaître toute sa valeur, ce « deux poids, deux mesures » n’en est pas moins financièrement injuste, sanitairement dangereux et au surplus sans effet réel sur l’équilibre des comptes.
J’en viens aux structurations transversales de prévention, de soins et d’accompagnement médico-social que les nouvelles agences régionales de santé ont à charge de réaliser.
Inquiétudes et incertitudes, là encore : un an après, le nouveau paysage que vous annonciez est tout juste esquissé et des interrogations majeures subsistent.
De quelles manières s’articuleront les compétences respectives des ARS et des départements ?
Le nouveau schéma régional d’organisation médico-sociale, élaboré sous l’égide du directeur général de l’agence, doit être établi et actualisé « au regard » – je me souviens encore des discussions qu’a nécessitées l’introduction de cette préposition ! – des schémas départementaux d’organisation sociale et médico-sociale relatifs aux personnes handicapées ou en perte d’autonomie arrêtés par les conseils généraux de la région.
Or le schéma régional est, lui, centré sur les équipements en établissements et services, tandis que les schémas départementaux se doivent d’être multidimensionnels et traiter également des questions relatives à la prévention, à l’accessibilité des lieux publics, à l’accès à la culture, aux loisirs...
Si vous avez réellement l’intention de concilier ces deux niveaux d’organisation sociale et médico-sociale, la place des conseils généraux doit être pleinement reconnue : ils sont acteurs à part entière au sein des conférences régionales de la santé et de l’autonomie et des deux commissions de coordination des politiques publiques de santé, celle qui a trait à la prévention comme celle qui concerne le domaine médico-social.
Il est tout à fait urgent, un an après – c’est une autre inquiétude –, que les textes réglementaires relatifs au fonctionnement même du secteur médico-social soient enfin publiés. Vous les disiez déjà prêts en juin 2009. Or nous les attendons toujours, notamment ceux qui sont relatifs au calendrier des évaluations des établissements et services médico-sociaux et celui qui est relatif aux procédures d’appel à projet. Nous attendons également l’arrêté interministériel fixant les seuils des contrats d’objectifs et de moyens, ainsi que le décret sur le financement des lieux de vie et d’accueil. Tous ces textes sont indispensables à la mise en place des nouvelles règles et procédures qui permettront de ne pas rompre la continuité des services.
Il a été relevé que l’insertion du médico-social dans le dispositif était source de quelques difficultés qui devront être prises en compte. Je pourrais, à cet égard, citer le directeur d’une grande agence régionale de santé s’exprimant récemment dans un colloque.
Madame la ministre, comptez sur notre vigilance pour défendre les services publics construits et mis en œuvre au quotidien et au plus près des besoins de nos concitoyens, dans nos assemblées départementales.