Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ma question porte sur les conclusions tirées par votre ministère de l’évaluation des politiques de prévention des grossesses non désirées et de la prise en charge des interruptions volontaires de grossesse à la suite du rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS.
Nous partageons, madame la ministre, la conviction que le droit à disposer de son corps, tout comme celui de choisir ses maternités et d’avoir accès aux soins en matière de santé reproductive, sont constitutifs d’une société démocratique égalitaire.
Le rapport très détaillé de l’IGAS est venu confirmer les progrès réalisés trente-cinq ans après la promulgation de la loi Veil, qui autorisait et médicalisait l’avortement en France.
D’une part, les Françaises bénéficient aujourd’hui d’une couverture contraceptive remarquable, puisque 95 % des femmes qui le nécessitent utilisent un moyen de contraception, médical dans 80 % des cas.
D’autre part, la prise en charge de l’IVG a marqué des progrès réels et les délais sont globalement mieux maîtrisés.
Même s’il reste encore beaucoup à faire, je me réjouis de ces avancées, notamment parce qu’elles vont dans le sens d’une société plus égalitaire entre les femmes et les hommes.
Permettez-moi d’avoir une pensée particulière pour ceux, femmes et hommes politiques, mais aussi médecins et responsables associatifs, qui ont consacré une partie de leur vie au service des femmes, pour que leur soit reconnu le droit fondamental de choisir leur maternité et d’interrompre leur grossesse dans de bonnes conditions psychologiques, sanitaires et économiques. Cette conquête a été le fruit de batailles menées contre les préjugés et contre les conservatismes. Nos sociétés, même les plus avancées, n’en sont pas à l’abri.
Les associations et les praticiens qui accompagnent les femmes sur le terrain nous alertent en effet régulièrement. Tout d’abord, des groupuscules « pro-vie » et des lobbies anti-IVG continuent d’organiser des « marches », à Paris en janvier dernier, à Toulouse et à Avignon récemment encore. Ensuite, les pressions psychologiques exercées par les familles, mais aussi par certains éléments du corps médical, rendent plus difficile pour les femmes l’exercice de leurs droits. Enfin, certains médecins sont encore réticents à accomplir des actes d’IVG.
Je tiens ici à rendre un hommage particulier aux hommes et aux femmes du réseau des soixante-dix associations du Mouvement français pour le planning familial : investis sur le terrain quotidiennement, ils sensibilisent, accompagnent, écoutent et orientent les femmes, sans distinction d’âge ni de catégorie sociale.
Ils constituent les véritables relais de nos politiques et, sans le travail renouvelé et permanent de leurs équipes, les droits que nous nous efforçons de garantir aux femmes resteraient souvent au stade des principes.
Ils nous rappellent que notre rôle, en une matière si délicate qui touche à l’intime et aux convictions personnelles de chacun, consiste, loin des postures et des déclarations d’intention, à permettre, à informer, mais surtout à garantir les moyens nécessaires pour répondre aux besoins des femmes.
Or, vous le savez, les crédits budgétaires alloués à ces associations sont encore aléatoires : fractionnés entre différentes missions et programmes, leur obtention relève souvent du parcours d’obstacles.
Au début de l’année 2009 déjà, la baisse des crédits budgétaires permettant de subventionner les établissements d’information, de consultation et de conseil familial nous avait fortement alarmés. Nos interventions et la mobilisation des réseaux associatifs avaient finalement conduit le ministre du travail de l’époque, Brice Hortefeux, à signer avec la présidente du Mouvement français pour le planning familial un protocole garantissant le maintien à niveau des crédits budgétaires pour les années 2009, 2010 et 2011.
Mais, alors que de nouvelles associations soutenant les droits des femmes sont aujourd’hui menacées, le réseau associatif s’interroge : faudra-t-il se mobiliser chaque année pour que soient garantis les budgets qui leur permettent simplement de fonctionner ?
Fournir des données chiffrées stables et garantir des procédures simples me paraît aujourd’hui être une priorité : les responsables associatifs sont prêts à ouvrir un dialogue constructif et j’espère, madame la ministre, que vous y répondrez favorablement.
C’est avec le même souci d’efficacité que j’aborderai les deux questions qui nous préoccupent aujourd’hui : la prévention des grossesses non désirées et la prise en charge des interruptions volontaires de grossesse.
En ce qui concerne la prévention des grossesses non désirées, les campagnes d’information et l’amélioration de la prise en charge des méthodes contraceptives ont, semble-t-il, porté leurs fruits, puisque, comme l’a confirmé le rapport de l’IGAS, les Françaises bénéficient d’une couverture contraceptive remarquable.
Pourtant, 72 % des 200 000 IVG pratiquées en France concernent des femmes qui utilisent un moyen de contraception, selon l’IGAS. Force est donc de constater que la diffusion massive de la contraception n’a pas eu encore l’efficacité escomptée.
Ce relatif échec s’explique, selon les praticiens et les travailleurs associatifs, par le fait que les méthodes contraceptives ne sont pas toujours adaptées aux conditions de vie et aux attentes des femmes.
Il faut donc aller plus loin que la seule diffusion, en permettant aux femmes de faire un réel choix en matière de contraception, qui soit adapté à leurs besoins et à leurs modes de vie.
Permettre le remboursement de l’ensemble des moyens de contraception prescrits est une étape nécessaire.
Vous avez annoncé que vous alliez examiner avec les laboratoires pharmaceutiques les moyens de parvenir à un remboursement par l’assurance-maladie de certaines méthodes de contraception non prises en charge, comme les patchs et les anneaux. J’espère que ces négociations aboutiront.
Mais cette prise en charge ne sera efficace que si l’accès aux méthodes de contraception est garanti.
La possibilité pour les infirmières de renouveler les ordonnances de pilules contraceptives datant de moins d’un an va dans ce sens, de même que celle qui est donnée aux pharmaciens de les délivrer lorsque la prescription est « périmée » de quelques jours. Je me félicite de ces mesures.
En tout état de cause, il me semble que nous avons aujourd’hui intérêt à ce que les acteurs de terrain travaillent au maillage du territoire, en s’appuyant sur les ressources existantes, et en développant les lieux d’accueil.
Certains départements soutiennent cette démarche de réseau, et je m’en réjouis. Ainsi, dans l’Hérault, un dispositif tripartite, liant le conseil général au planning familial et aux médecins, a permis un partage des rôles efficace : une conseillère du planning, installée dans une structure « banalisée », oriente les femmes vers les professionnels de santé conventionnés, les soins étant pris en charge financièrement par le conseil général via le planning familial. Des démarches similaires ont vu le jour dans le département du Bas-Rhin, ainsi que dans les régions Pays de la Loire et Poitou-Charentes. Comment pourrions-nous les soutenir et les encourager ?
En matière de contraception, les jeunes majeures restent vulnérables et il me semble qu’il nous revient de leur porter une attention particulière.
Si 10 000 IVG par an sont pratiquées sur des mineures, beaucoup concernent des jeunes majeures de dix-huit à vingt-cinq ans.
Le rapport de l’IGAS a mis en lumière la persistance de carences importantes dans l’information : l’éducation à la sexualité à l’école, obligation légale depuis la loi du 4 juillet 2001, n’est que très inégalement et partiellement appliquée. La situation des jeunes femmes non scolarisées est la plus délicate. Le fait que la sexualité des jeunes soit encore un tabou pour les parents, les éducateurs, et parfois même les médecins, conduit à « dramatiser » des situations qui pourraient être simplement expliquées et prises en charge.
L’accès à l’information et à la contraception reste par ailleurs encore trop inégal en fonction du territoire où l’on vit, des moyens financiers dont on dispose, de la couverture sociale et de la façon dont peuvent être garantis anonymat et confidentialité.
Je pense qu’il n’est pas inutile de rappeler ici que, si les jeunes peuvent recourir de façon gratuite et anonyme à la contraception d’urgence et à l’IVG, ils n’ont pas accès gratuitement à la contraception régulière, sauf dans les centres d’éducation et de planification familiale, dont l’accessibilité demeure limitée.
Il me semble essentiel d’intensifier le travail de sensibilisation des enseignants, des éducateurs et des animateurs sur ces questions.
Vous avez annoncé, madame la ministre, lors de la Journée internationale de la femme, vouloir améliorer l’éducation sexuelle et l’accès à la contraception des jeunes. Pouvez-vous nous expliquer comment et avec quels moyens ?
J’en viens maintenant à la question de la prise en charge des interruptions volontaires de grossesse.
En cette matière, on a beaucoup commenté le paradoxe du contexte français, la diffusion massive de la contraception n’ayant pas fait diminuer le nombre des IVG, qui se maintient aux environs de 200 000 par an.
Je ne m’attarderai pas sur ces commentaires et je m’en tiendrai aux faits.
En premier lieu, il ressort des données produites par le rapport de l’IGAS que les deux dispositions qui avaient suscité le plus de contestations lors de l’adoption de la loi du 4 juillet 2001 ont, en réalité, permis d’améliorer le dispositif : l’assouplissement du régime d’autorisation parentale pour les mineures, d’une part, l’allongement du délai légal de douze à quatorze semaines, d’autre part, n’ont pas produit les dérives que certains annonçaient. À cet égard, les demandes d’IVG tardives ne concernent, aujourd’hui, pas plus de 10 % de l’ensemble des demandes. Elles restent préoccupantes, bien évidemment. Je suis persuadée que vous partagez mon souci.
En second lieu, l’évaluation remise en février a confirmé les progrès réels de prise en charge de l’IVG.
Les délais d’accès à l’IVG dans les établissements se sont dans l’ensemble améliorés pour se rapprocher, dans la plupart des cas, de la norme de cinq jours définie par la Haute Autorité de santé.
Mais ces progrès demeurent fragiles et, vous le savez, mes chers collègues, tant les experts de l’IGAS que les acteurs de terrain s’inquiètent légitimement de la persistance de goulots d’étranglement dans certaines zones de fortes demandes à certaines périodes de l’année, notamment lors des congés, problème que la fermeture d’un certain nombre de centres d’IVG ne fait qu’aggraver.
Les causes de cette situation sont maintenant bien connues. D’une part, en dépit de plusieurs revalorisations successives, la tarification de l’IVG instrumentale ne prend en charge qu’une partie de son coût réel. D’autre part, la pratique de l’IVG reste une activité peu gratifiante pour les personnels de santé : le recours à la clause de conscience de la part des professionnels semble avoir été renforcé par l’allongement du délai légal de recours à l’IVG.
Vous avez annoncé, madame la ministre, l’augmentation des forfaits IVG et l’amélioration des conditions de prise en charge des IVG médicamenteuses. Permettez-moi cependant de rappeler que, malgré les revalorisations tarifaires de 20 % en 2008 et 34 % en 2009, les fermetures des centres d’IVG ont continué : le 5 juin dernier, un collectif d’associations de femmes appelait à manifester à Paris pour la réouverture du centre d’IVG de l’hôpital Tenon, le maintien de tous les services de pédiatrie de l’hôpital Trousseau, ainsi que le maintien de la maternité, du service de pédiatrie, du centre d’IVG et de l’école de sages-femmes de l’hôpital Saint-Antoine.
Le résultat de ces fermetures, nous le connaissons : trop de femmes sont confrontées à des refus par manque de place et sont réorientées sans entretien préalable et sans information pratique. Les délais de rendez-vous continuent de dépasser ceux que recommande la Haute Autorité de santé ; quant aux délais de prise en charge, ils restent supérieurs à quinze jours dans un établissement sur vingt, plus particulièrement dans ceux qui ont le plus de centres d’IVG en activité.
D’après les informations fournies par le réseau du planning familial, le délai d’accès pour un avortement en Île-de-France peut aller jusqu’à trois semaines.
Ces obstacles, et les conséquences psychologiques et physiques qui s’ensuivent, touchent en priorité les femmes les plus fragiles, nous le savons bien.
Enfin, la réticence de certains praticiens vient s’ajouter aux difficultés pratiques : non seulement les IVG tardives ne sont pas prises en charge partout, mais, surtout, certains modes de prise en charge sont systématiquement privilégiés.
Alors que le choix des femmes en ce domaine devrait être d’autant plus respecté que cet acte a des conséquences importantes sur leur intégrité, le recours quasi exclusif à la technique médicale dans certains établissements reflète plus le choix de l’équipe que celui des femmes.
Madame la ministre, je ne sous-estime pas les efforts déjà accomplis par votre ministère. Je me préoccupe toutefois de savoir ce que vous allez faire pour éviter la fermeture de nouveaux centres d’IVG et de maternités dans les hôpitaux. C’est un enjeu capital pour de nombreuses femmes, et je vous remercie par avance de vos réponses.