Intervention de Jacques Mézard

Réunion du 15 juin 2010 à 14h30
Politique de contraception et d'interruption volontaire de grossesse — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Jacques MézardJacques Mézard :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il m’a paru opportun qu’au moins un homme intervienne dans ce débat, et je remercie mon groupe d’avoir accepté que je prenne la parole, d’autant que j’éprouve une certaine émotion à le faire, ayant été présent dans les tribunes de la Haute Assemblée voilà trente-cinq ans, lors du débat sur l’IVG, au moment où le sénateur Jean Mézard présentait le rapport de la commission des affaires sociales sur le projet de loi de Mme Veil. J’avais pu mesurer à l’époque la dureté d’un combat à front renversé, la force des tabous, l’utilisation de l’éthique et de la morale pour s’opposer à toute avancée sociétale. Le combat était et est toujours celui de la liberté et de la dignité, en l’espèce encore plus celui de la souffrance, du désespoir des femmes les plus faibles, les plus démunies. Que de drames humains, de vies brisées…

Constatons, mes chers collègues, que la contraception et l’IVG n’ont pas entraîné la baisse de natalité annoncée et que, bien au contraire, d’immenses progrès ont été réalisés.

Depuis la loi Neuwirth, qui a autorisé la contraception, la France est devenue l’un des pays où le taux de contraception est le plus élevé, notamment en ce qui concerne les méthodes nécessitant une prescription médicale.

On assiste néanmoins à un paradoxe : une contraception très utilisée et un nombre d’interruptions volontaires de grossesse stable.

Le rapport de l’IGAS sur la prise en charge de l’IVG en France souligne un fait assez inquiétant : 72 % des femmes qui ont eu recours à l’IVG déclaraient utiliser un moyen contraceptif ; d’où la nécessité de parvenir à une meilleure adéquation des méthodes contraceptives aux conditions de vie et aux attentes des femmes, et de renforcer l’approche préventive et l’information en matière de sexualité.

Concernant la contraception, il est selon nous indispensable de mener une politique volontaire, avec des campagnes d’information efficaces et un soutien renouvelé aux établissements d’information, de consultation et de conseil familial. Il est en effet primordial d’assurer et de promouvoir les deux objectifs suivants : l’information relative à la contraception et l’accès aux moyens de contraception.

À cet égard, nous partageons pleinement l’appréciation formulée par le rapport de l’IGAS quant à l’intérêt des centres de planification qui assurent, dans les faits, un accès aux conseils gratuits et confidentiels ainsi que la prescription et la délivrance de produits contraceptifs.

Madame la ministre, mes chers collègues, comment oser encore parler de confort alors qu’il s’agit de santé publique, de l’avenir, de l’équilibre de tant d’adolescentes, de jeunes femmes ?

Les progrès qui ont été réalisés avec les lois successives sont l’illustration de l’évolution des mentalités.

Nous nous réjouissons que la forte mobilisation en 2009 en faveur du maintien des crédits consacrés aux établissements d’information, de consultation et de conseil familial, ait abouti à la conclusion d’un protocole d’engagement garantissant le maintien, sur la période 2009-2011, des crédits consacrés à ces structures.

Les associations du planning familial accomplissent selon nous une mission d’utilité publique à laquelle il serait inconcevable de devoir renoncer. Un désengagement de l’État en ce domaine aurait des conséquences graves, notamment pour l’information des mineures et des jeunes adultes et l’assistance des personnes les plus fragilisées. Comment relayer, sans les associations, les campagnes nationales ? « La contraception, parlons-en ! » : où va-t-on en parler si les structures qui assurent la prévention, l’information et l’assistance sont menacées ? Je pense que tel n’est pas le cas, madame la ministre, mais pouvez-vous nous garantir que la politique en matière de contraception reste pour vous une priorité – nous ne sommes pas très inquiets d’ailleurs – et que le soutien au planning familial sera renouvelé dans les années à venir ?

Le rapport de l’IGAS souligne par ailleurs la nécessité d’une meilleure prise en charge globale de l’IVG et montre que, si des progrès indéniables ont été réalisés, la place de l’IVG en tant qu’activité médicale n’est pas encore normalisée et que les avancées, partielles, demeurent fragiles.

Trois points soulignés par I’IGAS m’apparaissent comme particulièrement préoccupants.

Premier point : une diminution du nombre des établissements qui pratiquent l’IVG, et des inégalités territoriales trop importantes dans la prise en charge de l’IVG.

Des « goulots d’étranglement » persistent dans certaines zones, notamment les grandes villes, et le nombre d’établissements pratiquant l’IVG en France est passé de 729 en 2000 à 639 en 2006. Ainsi, un établissement sur vingt a des délais de prise en charge supérieurs à quinze jours. Or moins de centres pratiquant l’IVG et moins de moyens ne peuvent que nuire à une bonne prise en charge de l’IVG et aboutir à des situations de grande détresse.

Deuxième point : le rapport souligne un éventail incomplet des techniques d’IVG dans les structures hospitalières. De ce fait, il existe un risque que le choix des techniques utilisées – médicamenteuse ou chirurgicale – soit principalement déterminé par la pratique des centres hospitaliers, alors qu’il devrait relever de la décision des intéressées après information.

Troisième point – et ce n’est pas le moindres : la faible attractivité de l’activité d’orthogénie pour les futurs médecins doit être prise en compte.

Face à ce constat, il semble primordial de reconnaître cette activité comme partie intégrante de l’offre de soins. Si l’IVG est, pour les établissements hospitaliers, une activité déficitaire et, pour les praticiens, une activité peu porteuse, cela ne peut générer que des difficultés. Le système de santé doit selon nous être en mesure d’appliquer la loi de la République sur tout le territoire et non être soumis à des choix budgétaires locaux ou être à la merci de choix personnels, même respectables.

Madame la ministre, le 8 mars dernier, vous avez annoncé, à l’occasion de la Journée de la femme, que vous souhaitiez augmenter la rémunération des actes d’interruption volontaire de grossesse. Pour pallier la fermeture des lieux de prise en charge, les forfaits versés aux établissements pratiquant des IVG seraient augmentés en moyenne de près de 50°% dès 2010.

Pouvez-vous nous confirmer les mesures qui seront prises pour que, à l’avenir, un nombre suffisant de médecins pratiquant l’IVG soit assuré ?

Trente-cinq ans après la loi Veil, il reste beaucoup de chemin à parcourir dans l’accès à l’information, à la contraception et à l’IVG... Nous comptons sur vous, madame la ministre, pour que l’action initiée avec tant de courage par votre illustre « prédécesseure » (Sourires) soit poursuivie et renforcée dans l’intérêt des femmes et donc de l’humain.

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