Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la construction européenne traverse en ce moment une passe délicate. Sans céder à la dramatisation, il faut reconnaître que la solidarité entre les États membres et la crédibilité de l’Union européenne sont à l’épreuve.
Dans les moments difficiles, l’axe franco-allemand prend une importance particulière. Ce n’est pas une simple déclaration de principe : c’est un constat ! Et nous sentons bien que les deux pays ont aujourd'hui, une nouvelle fois, une responsabilité particulière.
On entend à ce sujet beaucoup de commentaires inquiétants. Le simple report d’un dîner a suscité d’innombrables analyses : les relations seraient au plus bas, les visions seraient différentes et le couple franco-allemand ne serait plus qu’une façade…
À mon sens, il faudrait voir les choses avec un peu plus de recul. Je faisais partie de la petite délégation qui a accompagné M. le président du Sénat à Berlin le mois dernier, et je peux vous dire que le climat des entretiens était particulièrement constructif. La volonté de travailler ensemble de manière privilégiée est toujours là.
Bien sûr, il y a des difficultés, bien sûr, il y a des différences dans les approches ! Mais il y en a toujours eu, et c’est bien ce qui fait l’importance du couple franco-allemand.
Nous sommes deux pays profondément différents. Nous n’avons pas spontanément les mêmes intérêts et la même vision des choses. Pour parvenir à une position commune, il nous faut tout un travail de rapprochement et de synthèse.
Et c’est bien pourquoi, lorsque nous parvenons à une position commune, elle devient une référence essentielle pour l’Europe. Dès lors que nous pouvons surmonter nos divergences, beaucoup de pays peuvent se retrouver dans le résultat.
Nous l’avons vu, par exemple, lors de la négociation des actuelles perspectives financières, qui s’achèveront en 2013. Quand nous entrerons dans la négociation des nouvelles perspectives financières, qu’on appelle désormais le « cadre financier de l’Union européenne », nous irons vers les pires difficultés s’il n’y a pas au départ une approche commune franco-allemande.
L’axe franco-allemand est donc toujours aussi nécessaire.
Bien entendu, les conditions objectives font que le rapprochement des positions entre France et Allemagne nécessite aujourd'hui encore plus de volonté qu’autrefois. Car, il faut le rappeler à ceux qui ont tendance à idéaliser le passé, nous ne sommes plus – heureusement ! – au temps de la guerre froide, où la situation de l’Europe rendait les deux pays étroitement interdépendants.
Aujourd’hui, l’Allemagne a retrouvé son unité et sa souveraineté, et elle se trouve au centre de l’Union. De plus, elle a fait un effort considérable pour restaurer sa compétitivité, effort qui explique les réticences de l’opinion allemande durant la crise grecque.
Cette situation nous donne des devoirs. Pour que le couple franco-allemand continue de fonctionner dans l’intérêt de l’Europe, il faut éviter qu’il ne se déséquilibre. Nous devons être un partenaire crédible. Cela suppose que nous sachions, nous aussi, restaurer notre compétitivité et mettre de l’ordre dans nos finances publiques. Ce n’est pas seulement notre intérêt ; c’est également celui de l’Europe !
Si nous parvenons à mettre en œuvre une approche commune, équilibrée, pour sortir de la crise tout en réalisant l’indispensable assainissement de nos comptes publics, l’effet d’entraînement sera considérable. Il faut rappeler que l’Allemagne et la France représentent à eux seuls près de la moitié du produit intérieur brut de la zone euro.
C’est pourquoi je me refuse, pour ma part, à désespérer du couple franco-allemand ; ce serait tout simplement désespérer de la construction européenne ! Et nous devons, me semble-t-il, combattre la manie française de ne retenir que les signes inquiétants, alors que d’autres sont, au contraire, très encourageants.
Cet après-midi, les commissions des affaires européennes de l’Assemblée et du Sénat ont tenu une réunion commune pour entendre à la fois vous-même, monsieur le secrétaire d’État, et votre homologue allemand, M. Werner Hoyer. À ma connaissance, c’était une première, et nous avons pu constater que la volonté de s’entendre était bien là, de part et d’autre.
Je voudrais apporter un autre exemple qui me paraît particulièrement significatif. La politique agricole commune a toujours été un point de discorde entre la France et l’Allemagne. Lors du déplacement à Berlin dont j’ai parlé tout à l’heure, nous avons constaté que les positions s’étaient rapprochées sur de nombreux aspects et que le travail franco-allemand, au niveau ministériel, était particulièrement dense et efficace. C’est une évolution prometteuse sur un sujet essentiel, pour la France comme pour l’Europe.
La question de la gouvernance économique de l’Europe sera à l’arrière-plan du Conseil européen, même si d’autres sujets y seront également abordés. Dans ce domaine, le rapprochement des points de vue est difficile, car les conceptions économiques dominantes sont différentes en Allemagne et en France – nous n’avons effectivement pas la même culture économique –, mais également parce que les situations ne sont pas identiques. L’Allemagne est allée au bout de réformes difficiles, par exemple en matière de retraites, pour lesquelles nous, Français, n’avons fait qu’une partie du chemin. Et les Allemands, assez naturellement, n’ont pas envie de payer deux fois en étant obligés de soutenir les pays qui ne se sont pas imposé les mêmes efforts.
Malgré cela, un rapprochement s’est produit. Certes, il reste du chemin à faire, mais je crois qu’il n’y a pas d’obstacle insurmontable à une communauté de vues.
En particulier, nous devons éviter de nous enfermer dans un débat artificiel sur la question de savoir si le bon échelon de la gouvernance économique est l’Union européenne dans son ensemble ou la seule zone euro. Il faut renforcer la gouvernance aux deux échelons et rappeler que tous les États membres participent à l’Union économique et monétaire. En effet, selon les traités, l’adoption de la monnaie unique est une obligation pour tous les États membres qui en remplissent les conditions, à l’exception du Danemark et du Royaume-Uni, qui bénéficient d’une dérogation. Par conséquent, si l’on organise mieux la zone euro, ce sont presque tous les États membres qui en bénéficieront à terme.
Pour ma part, je veux donc garder confiance dans le couple franco-allemand, dans la capacité de la France à se réformer et, finalement, dans la capacité de l’Union européenne à définir une discipline intelligente pour assainir progressivement les finances des États membres, sans compromettre la reprise économique.
Après tout, et ce sera ma conclusion, l’Histoire n’a pas toujours donné raison aux pessimistes. Sinon, nous ne serions pas là en train de débattre de l’Europe !