Séance en hémicycle du 15 juin 2010 à 21h30

Résumé de la séance

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La séance

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La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à vingt et une heures trente dans l’hémicycle, sous la présidence de M. Roger Romani.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 15 juin 2010, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État avait adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2010-24 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

L’ordre du jour appelle un débat préalable au Conseil européen des 17 et 18 juin 2010.

La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la construction européenne traverse en ce moment une passe délicate. Sans céder à la dramatisation, il faut reconnaître que la solidarité entre les États membres et la crédibilité de l’Union européenne sont à l’épreuve.

Dans les moments difficiles, l’axe franco-allemand prend une importance particulière. Ce n’est pas une simple déclaration de principe : c’est un constat ! Et nous sentons bien que les deux pays ont aujourd'hui, une nouvelle fois, une responsabilité particulière.

On entend à ce sujet beaucoup de commentaires inquiétants. Le simple report d’un dîner a suscité d’innombrables analyses : les relations seraient au plus bas, les visions seraient différentes et le couple franco-allemand ne serait plus qu’une façade…

À mon sens, il faudrait voir les choses avec un peu plus de recul. Je faisais partie de la petite délégation qui a accompagné M. le président du Sénat à Berlin le mois dernier, et je peux vous dire que le climat des entretiens était particulièrement constructif. La volonté de travailler ensemble de manière privilégiée est toujours là.

Bien sûr, il y a des difficultés, bien sûr, il y a des différences dans les approches ! Mais il y en a toujours eu, et c’est bien ce qui fait l’importance du couple franco-allemand.

Nous sommes deux pays profondément différents. Nous n’avons pas spontanément les mêmes intérêts et la même vision des choses. Pour parvenir à une position commune, il nous faut tout un travail de rapprochement et de synthèse.

Et c’est bien pourquoi, lorsque nous parvenons à une position commune, elle devient une référence essentielle pour l’Europe. Dès lors que nous pouvons surmonter nos divergences, beaucoup de pays peuvent se retrouver dans le résultat.

Nous l’avons vu, par exemple, lors de la négociation des actuelles perspectives financières, qui s’achèveront en 2013. Quand nous entrerons dans la négociation des nouvelles perspectives financières, qu’on appelle désormais le « cadre financier de l’Union européenne », nous irons vers les pires difficultés s’il n’y a pas au départ une approche commune franco-allemande.

L’axe franco-allemand est donc toujours aussi nécessaire.

Bien entendu, les conditions objectives font que le rapprochement des positions entre France et Allemagne nécessite aujourd'hui encore plus de volonté qu’autrefois. Car, il faut le rappeler à ceux qui ont tendance à idéaliser le passé, nous ne sommes plus – heureusement ! – au temps de la guerre froide, où la situation de l’Europe rendait les deux pays étroitement interdépendants.

Aujourd’hui, l’Allemagne a retrouvé son unité et sa souveraineté, et elle se trouve au centre de l’Union. De plus, elle a fait un effort considérable pour restaurer sa compétitivité, effort qui explique les réticences de l’opinion allemande durant la crise grecque.

Cette situation nous donne des devoirs. Pour que le couple franco-allemand continue de fonctionner dans l’intérêt de l’Europe, il faut éviter qu’il ne se déséquilibre. Nous devons être un partenaire crédible. Cela suppose que nous sachions, nous aussi, restaurer notre compétitivité et mettre de l’ordre dans nos finances publiques. Ce n’est pas seulement notre intérêt ; c’est également celui de l’Europe !

Si nous parvenons à mettre en œuvre une approche commune, équilibrée, pour sortir de la crise tout en réalisant l’indispensable assainissement de nos comptes publics, l’effet d’entraînement sera considérable. Il faut rappeler que l’Allemagne et la France représentent à eux seuls près de la moitié du produit intérieur brut de la zone euro.

C’est pourquoi je me refuse, pour ma part, à désespérer du couple franco-allemand ; ce serait tout simplement désespérer de la construction européenne ! Et nous devons, me semble-t-il, combattre la manie française de ne retenir que les signes inquiétants, alors que d’autres sont, au contraire, très encourageants.

Cet après-midi, les commissions des affaires européennes de l’Assemblée et du Sénat ont tenu une réunion commune pour entendre à la fois vous-même, monsieur le secrétaire d’État, et votre homologue allemand, M. Werner Hoyer. À ma connaissance, c’était une première, et nous avons pu constater que la volonté de s’entendre était bien là, de part et d’autre.

Je voudrais apporter un autre exemple qui me paraît particulièrement significatif. La politique agricole commune a toujours été un point de discorde entre la France et l’Allemagne. Lors du déplacement à Berlin dont j’ai parlé tout à l’heure, nous avons constaté que les positions s’étaient rapprochées sur de nombreux aspects et que le travail franco-allemand, au niveau ministériel, était particulièrement dense et efficace. C’est une évolution prometteuse sur un sujet essentiel, pour la France comme pour l’Europe.

La question de la gouvernance économique de l’Europe sera à l’arrière-plan du Conseil européen, même si d’autres sujets y seront également abordés. Dans ce domaine, le rapprochement des points de vue est difficile, car les conceptions économiques dominantes sont différentes en Allemagne et en France – nous n’avons effectivement pas la même culture économique –, mais également parce que les situations ne sont pas identiques. L’Allemagne est allée au bout de réformes difficiles, par exemple en matière de retraites, pour lesquelles nous, Français, n’avons fait qu’une partie du chemin. Et les Allemands, assez naturellement, n’ont pas envie de payer deux fois en étant obligés de soutenir les pays qui ne se sont pas imposé les mêmes efforts.

Malgré cela, un rapprochement s’est produit. Certes, il reste du chemin à faire, mais je crois qu’il n’y a pas d’obstacle insurmontable à une communauté de vues.

En particulier, nous devons éviter de nous enfermer dans un débat artificiel sur la question de savoir si le bon échelon de la gouvernance économique est l’Union européenne dans son ensemble ou la seule zone euro. Il faut renforcer la gouvernance aux deux échelons et rappeler que tous les États membres participent à l’Union économique et monétaire. En effet, selon les traités, l’adoption de la monnaie unique est une obligation pour tous les États membres qui en remplissent les conditions, à l’exception du Danemark et du Royaume-Uni, qui bénéficient d’une dérogation. Par conséquent, si l’on organise mieux la zone euro, ce sont presque tous les États membres qui en bénéficieront à terme.

Pour ma part, je veux donc garder confiance dans le couple franco-allemand, dans la capacité de la France à se réformer et, finalement, dans la capacité de l’Union européenne à définir une discipline intelligente pour assainir progressivement les finances des États membres, sans compromettre la reprise économique.

Après tout, et ce sera ma conclusion, l’Histoire n’a pas toujours donné raison aux pessimistes. Sinon, nous ne serions pas là en train de débattre de l’Europe !

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous voici invités à débattre des perspectives du Conseil européen qui doit se tenir dans deux jours à Bruxelles. À son ordre du jour figurent notamment la coordination des politiques économiques, les stratégies de sortie, la réglementation et la surveillance financières, ainsi que les activités de la task force du groupe Van Rompuy. Je note que c’est un nouveau Conseil européen de crise...

La question de la régulation financière est loin d’être réglée. La question de la gouvernance économique de l’Europe, que nous avons par le passé soulevée à maintes reprises, se pose aujourd'hui avec une acuité très singulière.

J’évoquerai dans mon propos la régulation financière, les plans d’austérité, la gouvernance, ainsi que la question des moyens dont l’Europe devrait, à l’avenir, se doter en vue d’accroître sa capacité d’action et de contrôle.

S’agissant de la régulation financière, je ne peux pas mentionner l’intégralité des très nombreuses propositions que, depuis 2001-2002, j’ai formulées avec mon groupe. Depuis cette période, nous n’avons eu de cesse de réclamer une accentuation des efforts d’encadrement de la spéculation et de régulation, dans notre pays comme au niveau international, qu’il s’agisse des fonds spéculatifs, des produits dérivés, du credit default swap, le CDS, des ventes à découvert à nu, des paradis fiscaux, de la prévention des risques systémiques, de la taxe bancaire ou de la taxation des transactions financières...

Nos propositions sur ces thèmes n’ont, hélas ! guère recueilli la sympathie gouvernementale, y compris depuis le déclenchement de la crise financière, à l’été 2008.

L’intervention du Président de la République à Toulon, avec l’engagement solennel en faveur de la régulation et de la « moralisation du capitalisme », a certes marqué un changement radical du discours gouvernemental. Mais le déclaratif ne donne pas toujours lieu à une démarche active de régulation. Et, face à la gravité et à l’urgence, la machine communautaire est bien lente ! Si beaucoup d’engagements ont été annoncés, tant au niveau de l’Europe qu’à celui du G20, peu d’actions concrètes ont été menées à ce jour... Moult chantiers piétinent et restent « en souffrance », les textes négociés manquant parfois d’ambition. Par exemple, nous ne sommes pas allés au bout de la démarche sur les fonds alternatifs ou la supervision financière. Que penser de l’efficacité de la réponse européenne à la crise ?

Il est indispensable d’agir sans délai en faveur d’un meilleur contrôle démocratique du système bancaire et financier. Nous avons bien déposé au Sénat une proposition de résolution européenne, mais elle a été rejetée – vous vous en souvenez, mes chers collègues – en séance le 29 octobre dernier ! Pourtant, le contrôle global des produits et agissements financiers est plus qu’urgent. Les produits dérivés constituent l’un des éléments les plus opaques du système financier et il importe de ne pas laisser le secteur financier retourner à ses mauvaises habitudes.

L’initiative d’Angela Merkel, à laquelle s’est ralliée la France, en vue d’interdire les ventes à découvert à nu en Europe, allait dans le bon sens. Je rappelle, pour mémoire, que l’Allemagne avait été très critiquée, notamment à Paris, pour avoir pris en solo une telle initiative… Gare au double langage !

Et que dire de la position définitive arrêtée hier par la Commission européenne : « Pas d’interdiction européenne de ventes à découvert à nu » ? Cet arbitrage européen laisse perplexe. Le processus décisionnel communautaire est encore bien trop décousu...

S’agissant de la question de la taxation des banques, j’observe que les ministres des finances et les banquiers centraux du G20, dernièrement réunis à Busan, en Corée, ont botté en touche au sujet de la mise en place d’une taxe bancaire mondiale en privilégiant plutôt la consolidation budgétaire. À nos yeux, le produit de cette taxe doit nécessairement alimenter un fonds commun et ne pas être dilué dans les budgets nationaux. L’objectif global perdrait tout son sens, sinon celui d’une régulation et d’une supervision européenne intégrée.

En privilégiant la consolidation budgétaire, les ministres des finances du G20 ont, d’une certaine façon, vidé l’ordre du jour du prochain G20 de son contenu. Nous sommes très inquiets de cette dérive, car le prochain G20, à la fin juin, traitera principalement, en effet, de la rigueur budgétaire.

Le G20 va-t-il se transformer en « super-instance de contrôle » permettant aux États membres de l’Union européenne de légitimer leurs politiques de rigueur et d’assainissement budgétaire, et en se recommandant d’un accord tacite des États parties ? La question est aujourd’hui posée.

Où est la réforme du capitalisme mondial ?

On est bien loin de la combinaison croissance-consolidation préconisée lors de la déclaration du G20 à Washington...

Quant à notre pacte européen de stabilité et de croissance – j’insiste notamment sur ce dernier terme –, ne peut-on craindre aujourd’hui qu’il n’oublie le souci de la croissance pour se focaliser sur la seule rigueur budgétaire ? Attention à ne pas tuer la croissance dans l’œuf !

L’Union européenne est aujourd’hui dans une phase de doute, tout le monde s’en rend compte. Les discours vont dans le sens d’une meilleure coordination économique et politique, mais demeure la question fondamentale de la gouvernance institutionnelle européenne en situation de crise financière, économique et sociale. On observe, jour après jour, que l’Europe est à la peine et qu’elle affronte la crise en ordre dispersé.

Dans cette Europe institutionnellement confuse et désarçonnée, il va falloir sortir du conflit actuel entre méthode communautaire, d’un côté, et méthode intergouvernementale, de l’autre.

Une coordination intergouvernementale simple ne suffit plus, ainsi qu’en témoigne la réaction des marchés, en manque de confiance envers les États membres.

Hier, à Bonn, la France s’est finalement alignée sur la vision allemande de la gouvernance économique. Elle a ainsi renoncé à ce qui constituait jusqu’à présent les seules vraies positions qu’elle avait prises en la matière.

Il n’y aura donc pas de gouvernement économique de la zone euro, ni de réunions régulières de l’Eurogroupe au niveau des chefs d’État, ni de secrétariat permanent pour un gouvernement économique de la zone euro. La gouvernance économique se fera à vingt-sept États, conformément aux souhaits de l’Allemagne. L’Allemagne a toutefois concédé l’utilisation du terme « gouvernement », à la place de celui de « gouvernance »...

Sur l’aspect précis de la surveillance des finances publiques, nous considérons, pour notre part, que l’examen de l’état des finances des États membres, dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance, doit prendre en compte davantage de critères : le déficit structurel, et pas seulement le déficit courant ; la compétitivité ; l’emploi ; les politiques salariales ; la pauvreté ; les politiques d’éducation ; les investissements dans la recherche et l’innovation.

Nous pensons aussi que ce pacte doit s’appliquer de manière contracyclique, autant que faire se peut. À cet égard, une agence publique du type « Cour des comptes européenne » pourrait se charger d’évaluer l’efficacité de la dépense fiscale.

Une «Agence européenne de la dette » pourrait, quant à elle, renforcer la stabilité financière et soulager le service de la dette de chaque État.

On peut également s’interroger sur les modalités d’organisation de l’évaluation des budgets nationaux lors du « semestre européen », récemment décidée par le Conseil Ecofin.

Quelle que soit la forme du gouvernement économique européen qui sera actée, il faudra – ce point est à nos yeux essentiel – fonder sa légitimité sur l’association impérative des parlements nationaux, et ne le faire parler que d’une seule voix pour asseoir sa crédibilité. C’est un sujet, monsieur le secrétaire d’État, sur lequel nous nous interrogeons aujourd’hui tout particulièrement : cette appréciation a priori qui sera énoncée sur les budgets nationaux par l’Union européenne ou une instance d’évaluation recevra-t-elle une légitimation populaire au travers des parlements nationaux et donc, pour ce qui nous concerne, de l’Assemblée nationale et du Sénat ?

Le sommet européen de jeudi prochain devra faire la lumière sur cette réforme de la gouvernance européenne. Nous ne voudrions pas que la méthode communautaire soit d’emblée écartée. L’Union européenne n’a jamais été aussi forte que lorsqu’elle est investie d’une mission commune et que les États membres lui en délèguent la mise en œuvre.

Point n’est besoin de vous rappeler la légitimité démocratique qui doit concourir à cette réforme. Il va de soi que ce gouvernement économique européen devra être responsable devant les citoyens européens.

Du point de vue des moyens financiers, enfin, l’Europe est restée un « nain budgétaire ». Son budget 2010 équivaut au déficit de la France en 2010, à savoir 140 milliards d’euros. C’est dire à quel point les moyens d’action sont modestes !

Incontestablement, la crise a révélé les insuffisances de ce budget européen, trop limité pour être un instrument de réponse macroéconomique. L’Europe doit se doter de moyens d’action pérennes et d’une stratégie d’investissement cohérente au regard de ses ambitions.

Ce qu’il faut retenir, c’est que l’Union européenne ne s’est toujours pas dotée d’un véritable système de supervision économique et financière, ce qui nuit à la crédibilité de son intervention, voire à celle des pays de la zone euro. Des garde-fous contre les dérives du capitalisme doivent être mis en place dans la zone euro.

L’Union européenne a la chance de disposer d’un niveau d’intégration poussé qui permettrait d’agir vite, efficacement et au niveau approprié. Il est plus que temps qu’elle conçoive de façon globale – et non pas par petites touches, comme actuellement – les instruments économiques européens nécessaires au bon fonctionnement de la véritable union économique que nous appelons de nos vœux.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, Le Monde paru ce jour prête à François Mitterrand la maxime suivante : « On ne dit pas non au Chancelier de l’Allemagne. » Pour ma part, je ne l’ai jamais entendu prononcer une telle phrase…

Ce qui doit guider les dirigeants de la France, c’est évidemment l’intérêt de la France, au demeurant inséparable de l’intérêt européen. Et ils doivent aussi, bien sûr, avoir le souci des compromis, en particulier avec notre grand voisin qu’est l’Allemagne.

Hier, à Berlin, le Président de la République a accordé à Mme Merkel deux concessions majeures.

Tout d’abord, il a accepté, en contravention avec le traité existant, que le droit de vote d’un pays au sein du Conseil européen puisse être suspendu pour laxisme.

Ensuite, il a accepté que la coordination économique et budgétaire s’opère au niveau de l’Union européenne à vingt-sept et non pas au niveau des seize pays qui ont adopté la monnaie unique, alors que c’est dans cet espace que se pose le problème. En effet, les onze autres pays, ceux qui ont gardé leur monnaie, peuvent procéder à tous les ajustements monétaires qu’ils souhaitent.

Certes, la France est soumise à la pression des marchés financiers. Il est loin le temps où le général de Gaulle déclarait que « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille » !

Invité à une émission de télévision, en février 2009, le Président de la République déclarait : « J’observe tous les jours l’évolution de ce qu’on appelle les spreads, les primes de risque, sur un certain nombre de pays ».

Monnaie unique ou pas, la pression des marchés financiers recrée, non plus entre les monnaies mais entre les États, les tensions que reflétaient autrefois, avant 1999, les parités monétaires affrontées à la spéculation.

Entre nous, monsieur le secrétaire d’État, quel échec !

L’erreur initiale de la monnaie unique, conçue à Maastricht, a été de faire comme si les nations n’existaient pas, avec leurs structures économiques différentes, leurs cultures spécifiques et leurs politiques éventuellement divergentes.

La souveraineté monétaire de chaque pays a été transférée à une instance déconnectée du suffrage universel, la Banque centrale européenne, indépendante, sans qu’ait été mis en place un gouvernement économique de la zone euro dont le rôle eût été de ne pas laisser se creuser les écarts de compétitivité entre les différents pays et d’ouvrir au contraire un sentier de croissance partagé.

L’expression « gouvernement économique » semble acceptée. Mais quel en est le contenu ? Là est la question !

Le Fonds européen de stabilisation financière, mis en place le 9 mai dernier, n’est pas un remède suffisant à la crise de l’euro. J’observe en effet que, contre l’avis initial de la France, l’Allemagne a obtenu que chaque pays ne garantisse les futures levées d’argent qu’à hauteur de sa contribution au Fonds. Le refus de la solidarité financière des États pour la mise en œuvre de plans de sauvetage éventuels est une lourde faute. Un tel dispositif en cas de crise grave favorisera le creusement d’écart de taux entre les différents pays. Comme je l’ai expliqué le 3 juin dernier, lors du débat sur le projet de loi de finances rectificative, ce mécanisme sera inévitablement déstabilisateur.

À ce défaut de solidarité entre les États, s’ajoute le plan de rigueur mis en œuvre par le gouvernement allemand, le 7 juin dernier : 81 milliards d’euros d’économies sur quatre ans. Soit dit entre nous, s’il y a un pays qui, dans la zone euro, pouvait faire l’économie d’un plan de rigueur, c’était peut-être l’Allemagne… Son déficit budgétaire à 5 % du PIB tient essentiellement à la conjoncture ; il n’a rien de structurel.

Le plan allemand, venant s’ajouter aux plans de rigueur décidés simultanément presque partout dans la zone euro, et même ailleurs, va rendre la sortie de crise plus difficile.

Il va d’abord accroître la pression de la spéculation sur les enchères des dettes lancées par les autres pays, comme le manifeste déjà l’écart des taux entre l’Allemagne et la France. Certes, cet écart n’a rien de catastrophique : 50 points de base.

Il va ensuite peser sur la reprise économique, que les institutions internationales ont révisée à la baisse pour ce qui concerne la zone euro : entre 0, 2 % et 2, 2 % en 2011. Or seules la croissance et d’importantes plus-values fiscales pourraient gommer les déficits. Les réductions de dépenses n’y suffiront pas.

Enfin et surtout, comment ne pas voir que le différentiel de croissance entre l’Europe, la zone euro et les pays émergents accélérera les délocalisations industrielles ? Les entreprises vont en effet s’installer là où il y a de la croissance.

C’est dans ce contexte que va se tenir le prochain Conseil européen. Plusieurs des mesures envisagées, tels la réforme du pacte de stabilité et de croissance et le renforcement de la discipline budgétaire, vont renforcer la pression pour la mise en œuvre de plans de rigueur massifs et simultanés.

Derrière la prose, passablement amphigourique, des projets de textes soumis au Conseil, on ne discerne aucun moyen concret d’ouvrir, à l’horizon 2020, une perspective pour la croissance et pour l’emploi, en dehors de la lancinante incitation à la réforme structurelle du marché du travail. On sait ce que cela veut dire ! Il s’agit en fait d’introduire toujours plus de précarité dans le statut des travailleurs : contrats à durée déterminée, intérim, temps partiel, etc.

Sous la pression des marchés financiers, le Président de la République a annoncé une révision de la Constitution en vue d’y introduire, suivant l’exemple allemand, une disposition visant à interdire le déficit budgétaire : je doute qu’une majorité des deux tiers des parlementaires approuve l’introduction dans notre loi fondamentale d’une clause aussi rigide, qui interdirait tout ajustement ultérieur. Cette proposition, monsieur le secrétaire d’État, ressemble à un couteau sans lame auquel manquerait le manche !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

M. Copé déclarait il y a quelques jours, si j’en crois le journal Le Monde, qu’il fallait « donner des gages aux Allemands ». Vous pourrez démentir ce propos, mais j’observe que c’est chose faite depuis hier ! Or retirer aux membres de l’Union européenne qualifiés de « laxistes » leur droit de vote au Conseil des ministres est un acte antidémocratique, blessant pour toutes les nations européennes et, d’ailleurs, contraire au texte des traités. Pour réformer ceux-ci, il faudrait l’unanimité. Encore une fois, le Président de la République agite un sabre de bois ! Certes, on doit changer les règles du jeu dans la zone euro, mais pas en transformant l’Union européenne en chiourme !

Toujours dans la même veine, M. Trichet a proposé un « fédéralisme budgétaire », qui priverait les parlements nationaux de leur prérogative essentielle, le vote du budget de la nation. Ce n’est pas ainsi, monsieur le secrétaire d’État, qu’on remédiera au déficit démocratique des institutions européennes ! Certes, M. Van Rompuy a tempéré ces propos : il ne s’agirait, selon lui, que d’« examiner les hypothèses retenues, les recettes et les dépenses, sans entrer dans les détails ». Mais c’est encore trop !

S’il est évident qu’une coordination des politiques économiques dans leur ensemble, et pas seulement des politiques budgétaires, est nécessaire, se pose déjà la question du cadre : doit-elle être envisagée à vingt-sept, au niveau de l’Union, ou à seize, au niveau de la seule zone euro ? La réponse tombe sous le sens : il s’agit de donner une tête politique à l’euro. C’est donc au niveau de l’Eurogroupe que cette coordination indispensable devrait s’effectuer, et non pas au niveau de l’Europe des Vingt-Sept, comme M. Sarkozy l’a accepté hier à Berlin.

Bien sûr, on ne peut réviser les traités européens qu’à vingt-sept, mais là n’est pas la priorité. On peut inventer en dehors des traités, et ceux-ci peuvent être interprétés intelligemment ; ils prévoient d’ailleurs des coopérations renforcées. Quant à l’Eurogroupe, il n’a pas à être inventé : il existe !

Les questions de mots ont leur importance : gouvernance ou gouvernement économique ? L’essentiel est le contenu. Nous entendons trop parler de sanctions, et même de sanctions préventives. Soyons sérieux : la répression ne doit pas être confondue avec la prévention, tous les ministres de l’intérieur vous le diront ! Quant au pacte de stabilité, il a démontré son inadéquation dans le cas de l’Espagne, qui satisfaisait à tous les critères de Maastricht, ce qui ne l’a pas empêchée de sombrer.

Il serait donc raisonnable d’envisager un processus itératif : le Conseil européen approuverait, sur proposition de la Commission, un cadre général de prévisions macroéconomiques, éventuellement ventilées par pays. Il reviendrait aux parlements nationaux de délibérer et d’établir une programmation, d’ailleurs révisable, des recettes et des dépenses. En cas de désaccord, le Conseil européen chercherait à dégager un compromis, à charge pour le gouvernement concerné de le faire ratifier par son parlement. Il s’agirait ainsi d’un document de programmation concernant l’évolution de l’économie dans son ensemble, aussi bien que celle des finances publiques. Les parlements continueraient, dans ce cadre, à voter le budget.

La vraie question est de savoir si le gouvernement allemand infléchira sa politique en relâchant la pression qu’il exerce, notamment, sur l’évolution des normes salariales. Sans doute me répondra-t-on que c’est là l’affaire du patronat et des syndicats. Mais j’observe que, à partir de l’an 2000, le chancelier Schröder a déployé une grande énergie, à travers le plan Agenda 2010 ou les plans Hartz, du nom de son conseiller économique, pour opérer une certaine déflation salariale et faire en sorte que les travailleurs allemands acceptent de travailler plus longtemps pour le même salaire.

De même, la Banque centrale européenne devrait être encouragée à ouvrir davantage le robinet monétaire, en prenant en pension, en cas de besoin manifeste, les titres d’emprunt d’État de façon à stopper la spéculation : ce serait un véritable mécanisme de solidarité européenne défensive. Sur ce sujet, il est important qu’un accord intervienne entre la France et l’Allemagne avant le remplacement de M. Trichet à la tête de la BCE.

La cohésion franco-allemande est nécessaire, j’en suis tout à fait conscient, autant que vous tous. Elle ne peut cependant se résumer à l’alignement d’un pays sur un autre. L’amitié va avec la franchise, celle-ci devant toujours s’exprimer avec le respect qu’inspire un grand peuple dont les réussites nous réjouissent. L’Europe a besoin de l’Allemagne, mais, comme le suggérait déjà Wilhelm Röpke en 1945, l’Europe doit aussi protéger l’Allemagne contre les tentations qui naissent de la conscience de son mérite, à ses yeux insuffisamment reconnu par les autres.

Un grand patron allemand, M. Gerhard Cromme, a déclaré le 1er juin dernier à Paris : « Les Allemands doivent prendre les Français comme ils sont, et réciproquement. On ne les changera pas. Et ce sont précisément ces différences qui rendent notre coopération unique et notre capacité à faire des compromis si importante. » M. Cromme a vanté, à juste titre, la compétitivité allemande, car elle nous est effectivement nécessaire. Mais il a omis de mentionner le fait que l’excédent commercial allemand se réalise à 60 % avec la zone euro… Ce sont là des vérités qui méritent d’être dites, sans que cela ne nous écorche les lèvres !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Nous ne devons pas adresser d’inutiles reproches à l’Allemagne : elle défend légitimement ses intérêts, mais au-dessus des intérêts nationaux – cela est vrai pour la France comme pour l’Allemagne –, on trouve les intérêts européens et ceux de l’humanité tout entière.

La baisse du cours de l’euro, qui ne doit malheureusement rien à l’action de la Banque centrale européenne, contribuera aussi à la compétitivité de l’Allemagne. Un euro à 1, 20 dollar est plus compétitif qu’un euro à 1, 50 dollar et permet de dégager des marges de croissance. L’Allemagne doit bien considérer que l’euro n’est pas seulement sa monnaie, mais aussi celle de quinze autres pays et potentiellement, à terme, celle de tous les pays de l’Union européenne qui voudront y adhérer. La zone euro n’a pas été une mauvaise affaire pour l’Allemagne. Dois-je rappeler que, vis-à-vis de la France, elle a quadruplé son excédent commercial depuis 1982 ? À l’époque, l’excédent de l’Allemagne s’élevait à 28 milliards de francs ; il atteint aujourd’hui l’équivalent de 170 milliards de francs !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Beaucoup de nos concitoyens se demandent ce que veut réellement l’Allemagne : remodeler la zone euro pour en exclure les pays de l’Europe du Sud ? Ce serait la négation de l’Europe ! Il vaut mieux dire dès maintenant à nos amis allemands que cette fracture serait inacceptable, pour l’Europe et pour la France elle-même, dont l’industrie a souffert d’une monnaie trop forte, probablement parce qu’elle ne dispose pas des mêmes spécialisations que l’Allemagne, présente sur des créneaux très porteurs, comme la machine-outil. Sans doute devons-nous balayer devant notre porte, remuscler notre tissu productif et développer nos petites et moyennes entreprises industrielles, mais il faut trouver le bon équilibre entre la responsabilité de chaque État et la solidarité qui doit s’exercer entre pays membres.

L’Europe doit être une grande ambition partagée et chaque pays européen doit y trouver son compte. J’ai tout à fait confiance en la capacité de dialogue qui peut s’instaurer de peuple à peuple. Mais cela impose de grands devoirs à nos dirigeants, à vous-même, monsieur le secrétaire d’État. Qu’on fasse preuve d’un peu de lucidité sur le passé ! Les règles du jeu de la monnaie unique sont à revoir. Et surtout, il faut afficher une ferme résolution pour l’avenir : celui-ci n’est pas au fédéralisme, mais à une meilleure coordination de nos politiques, déjà assez difficile !

Nous devons ainsi bâtir une Europe de la croissance et du progrès social avec les nations, cadres irremplaçables de la démocratie, et non pas contre elles, ni même simplement sans elles. C’est ce langage de vérité et de réalisme qui servira le mieux la cause de l’amitié franco-allemande, à laquelle je suis attaché, et, par conséquent, celle de l’Europe.

La purge, monsieur le secrétaire d’État, n’est pas une stratégie : la France et l’Europe ont besoin d’un projet mobilisateur !

Applaudissements sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste, ainsi qu’au banc de la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Billout

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à cette heure tardive, dans la confidentialité de cet hémicycle quelque peu clairsemé – heureusement, vous êtes bien entouré, monsieur le secrétaire d’État : cela fait un peu de monde ! –, à l’avant-veille d’un important Conseil européen, les groupes que nous représentons sont invités à faire part au Gouvernement de leur appréciation de la situation actuelle de l’Europe.

Même s’il se déroule dans des conditions meilleures que le précédent, je m’interroge encore sur le sens, l’utilité et la signification qu’il convient d’accorder à ce débat. Je regrette d’autant plus vivement cet état de fait que le prochain Conseil européen entérinera de nouvelles décisions, censées une fois encore faire face aux effets d’une crise financière sans précédent.

L’Union européenne traverse en effet une zone de fortes turbulences qui pourrait être caractérisée en quelques mots : confusion, cacophonie, incapacité à prendre rapidement des décisions collectives, manque de solidarité, repli sur les intérêts économiques nationaux, fuite en avant, et surtout capitulation devant le diktat des marchés financiers.

Sur ce dernier point, Michel Barnier décrit ainsi la situation : « On voit, depuis quelques années, l’industrie financière imaginer des produits dits dérivés de plus en plus sophistiqués, tellement sophistiqués que ceux-là mêmes qui les utilisent ne savent plus comment s’y retrouver et quelles en sont les conséquences. […]

« [Ceux-ci] mobilisent 600 000 milliards de dollars, notamment entre les deux rives de l’Atlantique. […] 80 % des échanges dont je parle sur les produits dérivés, 80 % de ces échanges sur 600 000 milliards de dollars échappent à toute forme de transparence, d’enregistrement et de contrôle. »

C’est ce contexte qui explique sans doute la grande difficulté rencontrée par le Président de la République et le Gouvernement pour faire entendre la voix de la France dans une Union européenne si peu solidaire.

Vous avez en effet toutes les peines du monde à masquer les profondes divergences qui nous opposent à l’Allemagne, notre partenaire privilégié, sur ce qu’il est convenu d’appeler la gouvernance économique et les solutions institutionnelles qui seraient nécessaires face à la crise que nous traversons. Et ce n’est pas ce qui est ressorti du rendez-vous d’hier soir entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy qui contredira beaucoup cette analyse… Certes, il était nécessaire de présenter quelques points d’accord avant la réunion du Conseil européen, mais ceux-ci restent très limités et fort controversés.

Nicolas Sarkozy, pour sa part, a dû renoncer à institutionnaliser les réunions des seize chefs d’État et de gouvernement de la zone euro en les dotant d’un secrétariat qui serait devenu de fait un gouvernement, et donner acte à la Chancelière allemande de sa volonté de rigidifier un peu plus le carcan de Maastricht en prévoyant des sanctions financières à l’égard des États considérés comme trop laxistes en matière de finances publiques, voire en les privant de leur droit de vote.

Cela en dit long sur la conception de l’État de droit au sein de l’Union européenne que défendent les plus hauts responsables du couple franco-allemand. Je pense même que certains partisans du traité de Lisbonne doivent aujourd'hui s’étonner d’une telle lecture de ce traité…

Quant à la prétention affichée « d’être plus ambitieux sur la régulation financière », comme l’affirme Nicolas Sarkozy, en demandant au G20 l’instauration d’une taxe sur les transactions financières et d’une taxe bancaire, voire « la mise en place d’une taxe financière », il y a fort à craindre que cette annonce ne rejoigne toutes celles faites depuis deux ans et dont nous attendons toujours la concrétisation. Ce serait pourtant une excellente nouvelle pour tous ceux qui, comme les sénateurs du groupe CRC-SPG, ont toujours milité en faveur de la taxation des actifs financiers et des produits spéculatifs.

En réalité, toutes les solutions envisagées vont dans le même sens : répondre aux exigences des marchés financiers, qui ont une large part de responsabilité dans la crise que nous traversons et qui exigent toujours plus, en demandant une réduction des dettes et des dépenses publiques de chaque pays. Nous nous opposons fermement à ces propositions qui visent à un peu plus de régulation, mais aucunement à se défaire de la logique destructrice qui anime ces marchés.

De plus, la façon dont sont abordées les modalités de coordination des politiques économiques européennes, loin de favoriser la nécessaire concertation et la coopération entre les États membres, privilégie au contraire une approche autoritaire et antidémocratique, tant elle est éloignée du contrôle des institutions élues de chaque pays.

La semaine dernière, en prélude à la réunion de ce Conseil européen, des événements hautement significatifs ont eu lieu : plusieurs réunions, à seize ou à vingt-sept, des ministres européens de l’économie et des finances et, surtout, l’adoption par l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Espagne et les Pays-Bas de projets de budgets qui rivalisent dans la rigueur et l’austérité, la France s’arrogeant la palme, avec l’annonce d’une réduction de 100 milliards d’euros en trois ans de son déficit public et la suppression, entre autres, de 100 000 postes de fonctionnaires, alors que l’Allemagne ne propose d’en supprimer que 15 000, tout en annonçant la réduction de son déficit de 80 milliards d’euros en quatre ans.

Ainsi, malgré une apparence de désordre, des décisions cohérentes et lourdes de conséquences ont été prises.

Lundi dernier, à Luxembourg, pour contrer les risques de contagion de la crise grecque et donner l’impression de vouloir résister à la pression des marchés financiers, les ministres des finances ont finalisé, dans la douleur, les modalités d’application du Fonds européen de stabilité financière. Il est destiné à venir en aide, avec le concours exigeant du Fonds monétaire international, aux pays de la zone euro qui en auraient besoin.

Mais ce mécanisme est pervers, car il consiste à emprunter de l’argent auprès des marchés financiers – toujours eux ! – pour voler au secours d’un pays aux abois. Il concrétise ainsi une nouvelle soumission de l’Union européenne à ces marchés.

Les ministres des finances se sont également entendus sur les grandes lignes d’une réforme du pacte dit « de stabilité et de croissance ».

Il s’agit en réalité de dangereuses mesures de durcissement d’une discipline conforme à l’orthodoxie budgétaire du libéralisme économique. Ces dispositions ne s’attaquent pas à la racine du mal. Elles ne sont pas adaptées à la gravité de la situation et sont souvent contre-productives. Il est ainsi prévu de renforcer le pacte de stabilité et de croissance, alors qu’il n’est qu’un corset bridant les dépenses publiques utiles et les budgets sociaux !

Tous ces plans d’austérité budgétaire, loin de ramener l’endettement public à un niveau acceptable, risquent au contraire d’asphyxier les économies, en appauvrissant le plus grand nombre, de les faire plonger dans la récession et le chômage massif avec, en prime, moins de recettes fiscales et plus d’endettement public.

Nombre d’économistes tirent pourtant la sonnette d’alarme. Je pense notamment à Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, ou encore à Éric Heyer, directeur adjoint à l’Observatoire français des conjonctures économiques, ce dernier estimant qu’«avec les mesures d’austérité, on court à la catastrophe ». Mais rien n’y fait !

Et c’est cette lutte aveugle contre les déficits publics que le Président de la République voudrait maintenant graver dans le marbre de la Constitution, liant ainsi les mains des gouvernements futurs en leur ôtant toute possibilité de marge de manœuvre budgétaire… Encore un nouveau progrès démocratique !

Les mesures proposées par les ministres des finances européens visent en fait, au mépris de toutes les réalités économiques et sociales, à mettre en place de véritables plans d’ajustements structurels, de surcroît sans que les États et les parlementaires nationaux aient à donner leur avis. C’est en effet l’une des principales décisions qui seront soumises au prochain Conseil européen : les projets de budgets nationaux pourraient désormais être présentés à la Commission européenne et aux autres États membres avant même d’être débattus par les parlements nationaux !

Une telle décision porterait gravement atteinte à la souveraineté de notre peuple en matière d’organisation des finances publiques, souveraineté reconnue par l’article XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui dispose que « tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ».

En remettant en cause un article de cette déclaration, qui fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité depuis la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971, c’est toute possibilité de choix démocratique sur les grandes décisions que le Gouvernement remettrait en cause.

Cette proposition, sans doute la plus grave de toutes, vise tout simplement à renforcer la surveillance des politiques économiques et budgétaires des États membres par l’Union européenne.

Enfin, les ministres ont proposé de faire reposer l’amélioration de la compétitivité au sein de l’Union européenne sur ce qu’ils nomment pudiquement la « modération salariale » et que j’appelle plus prosaïquement la pression sur les salaires.

Telles sont les mesures qui seront présentées aux chefs d’État et de gouvernement et que le Président de la République et le gouvernement français se proposent d’avaliser lors du Conseil européen de jeudi et vendredi prochain.

Le groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche considère qu’elles constituent un pas décisif vers un gouvernement économique européen qui, dans ces conditions, représenterait un danger pour la souveraineté des peuples d’Europe et pour la défense de leurs intérêts.

Nous voulons au contraire briser ce cercle vicieux en y opposant d’autres logiques, que je ne crois pas nécessaire de vous rappeler toutes tant il est vrai que nous les exposons depuis de nombreuses années. Je dirai simplement que, à l’inverse de la concurrence effrénée inscrite dans des traités qui ont montré leurs limites et se sont révélés caducs, le caractère global de cette crise appelle des coopérations nouvelles entre les États, fondées sur une véritable politique industrielle et sur l’effort de recherche.

La Banque centrale européenne, la BCE, doit notamment changer de rôle. Au lieu d’être au service exclusif des banques, elle devrait être transformée en un outil de financement public capable d’aider directement les États, en particulier pour financer leurs dépenses sociales.

Telles sont donc, monsieur le secrétaire d’État, quelques-unes des réflexions dont nous souhaitions, sans aucune illusion, vous faire part à la veille de ce nouveau Conseil européen.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avec le traité de Maastricht, nous avions le sentiment d’avoir franchi un cap : non seulement l’Europe allait avoir sa monnaie, mais elle prenait enfin une dimension politique, avec un deuxième « pilier » – la politique étrangère et la défense – et un troisième « pilier » – la justice et la sécurité intérieure. Avec tant de piliers, on pouvait parler d’un véritable temple !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

L’euro a été mis en place, mais sans l’étroite coordination économique et budgétaire qui aurait dû l’accompagner. Et nous n’avons pas su non plus trouver la bonne formule pour les relations entre les pays membres de la zone euro et ceux qui restent en dehors. Nous sommes en train de payer ces carences au prix fort.

La question reste ouverte dans la perspective exigée par l’Allemagne d’une gouvernance économique étendue aux vingt-sept États membres, en particulier à la Grande-Bretagne, pourtant si peu coopérative.

Dans les domaines politiques, les progrès n’ont pas été à la hauteur des besoins les plus évidents.

Si nous avons avancé dans la libre circulation des personnes, c’est parce que quelques États membres ont décidé d’aller de l’avant, avec les accords de Schengen, et ont fini par entraîner les autres.

Avec Europol et Eurojust, nous restons extrêmement loin de la police fédérale et du parquet européen dont nous aurions besoin. C’est tant mieux pour les criminels de tous ordres, bien entendu, et tant pis pour leurs victimes !

Il a fallu deux ans de débats pour aboutir à une « coopération renforcée » qui permettra une bien timide avancée en matière de divorce transfrontalier. La mesure principale consiste à prévoir que, lorsque les deux époux sont d’accord sur la compétence d’un tribunal, celui-ci sera effectivement compétent… Il fallait y penser !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

J’admets volontiers qu’en matière de politique extérieure et de défense, il soit difficile d’avancer très rapidement. Mais que les progrès soient si lents dans des domaines touchant à la sécurité des citoyens, à leurs libertés, aux problèmes humains issus de l’absence d’harmonisation européenne, c’est tout simplement inacceptable !

Dès lors, comment s’étonner de la désaffection qui se manifeste, par exemple lors des élections européennes ?

Sans doute, avons-nous obtenu le traité de Lisbonne… Mais, devant la complexité invraisemblable de ce texte – je mets au défi quiconque d’en lire plus de trois pages de suite sans avoir une crise de nerfs –, j’ai cru pouvoir le comparer à un dédale, un dédale sans Minotaure, où le seul fil d’Ariane possible reste le développement des coopérations particulières entre les États décidés à avancer malgré tout.

Pardonnez-moi, mes chers collègues, de revenir sur cette idée, mais j’ai eu la satisfaction, cet après-midi, d’entendre le ministre allemand des affaires européennes la reprendre très exactement, et même d’une manière encore plus précise puisqu’il a évoqué des noyaux agissants ou rayonnants. Cela m’a évidemment réconforté.

Toutefois, la situation a changé ; on doit, d’une certaine manière, le regretter, mais on peut aussi s’en féliciter. Maintenant, le Minotaure est là : c’est la crise, une crise qui touche, au cœur même de la construction européenne, l’économie et la monnaie.

Voici donc l’épreuve de vérité… Ou bien nous aurons le courage de Thésée, et nous irons plus loin dans l’intégration, ou bien nous verrons l’Europe se dissoudre dans l’impuissance.

Suivre le fil d’Ariane, selon nous, consiste à accepter un certain degré de différenciation entre les États membres. Il est évident qu’on ne peut pas gérer à vingt-sept une zone euro où nous sommes seize ! Il faut donc admettre que la zone euro doit être dotée de tous les mécanismes spécifiques dont elle a besoin pour fonctionner. Je ne fais ici que répéter ce que pratiquement tous les orateurs ont dit avant moi.

Ces mécanismes sont nécessaires et j’espère que, à défaut de pouvoir les instaurer officiellement, nous pourrons les mettre en place officieusement, que nous donnerons dans les faits à l’Eurogroupe un peu plus de consistance, de dynamisme et de possibilités d’action.

Dès lors, nous devons être prêts à un exercice en commun des souverainetés. Bien sûr, il ne s’agit pas de remettre en chantier les traités. Nous n’en avons pas le temps et ce n’est probablement pas indispensable. Une gouvernance économique européenne peut très bien prendre la forme, au moins dans un premier temps, d’un accord politique et, surtout, de pratiques politiques. C’est notamment le cas de la surveillance budgétaire mutuelle, vis-à-vis de laquelle, à mon avis, nous ne devons pas avoir de réserves.

Monsieur le secrétaire d’État, nous avons un léger désaccord sur ce point : je ne crois pas que l’Europe puisse dicter les budgets nationaux. En revanche, elle peut – c’est d’ailleurs, me semble-t-il, ce que seul un organe indépendant et extérieur au Gouvernement peut faire – décrire les réalités, analyser les situations, placer chacun devant ses responsabilités et, ainsi, rendre possibles des mesures, voire des sanctions, qui ne sauraient effectivement émaner que d’une instance politique responsable.

Un organisme technique indépendant des États membres peut donc intervenir au cours d’une phase préparatoire, mais je ne vois pas comment un État donné pourrait faire des observations à un autre sur ses prévisions budgétaires.

Il en va de même pour la surveillance mutuelle, tout aussi nécessaire, en matière de compétitivité et de viabilité des modèles économiques.

Si nous sommes réellement incapables de débattre vraiment de ces questions entre Européens et d’en tirer des conclusions communes, il est inutile de parler de coordination des politiques économiques !

Il est clair que soit nous sortirons ensemble de la crise, soit nous n’en sortirons pas. Il est tout aussi clair, selon moi, que nous ne sortirons ensemble de la crise qu’en franchissant une étape dans la voie – employons le mot – de l’intégration.

Cette étape – je le dis clairement, parce qu’il faut tout de même finir par appeler les choses par leur nom – ne peut être qu’une démarche de type fédéral, plus exactement de type confédéral, au sens où l’entendent les juristes.

En effet, cher Jean-Pierre Chevènement, il ne s’agit nullement d’abolir nos « États-nations » dans leur réalité ancestrale, qu’elle soit politique, sociale, économique ou culturelle. Il s’agit de doter ceux d’entre eux qui le veulent vraiment de mécanismes institutionnels plus simples et plus efficaces que ceux du traité de Lisbonne, et de leur permettre ainsi d’affronter le monde nouveau de la mondialisation, à égalité de chances avec les grandes puissances qui dominent notre temps et font d’ores et déjà la loi.

Pour cela, il ne suffira pas de multiplier les dispositions et les arrangements particuliers qui caractérisent la phase actuelle, marquée sans doute par une prise de conscience de la nécessité d’agir ensemble – je pense tout particulièrement au couple franco-allemand –, mais aussi par de très nombreux malentendus, hésitations et sous-estimations de la gravité des problèmes et de la difficulté à passer de la discussion à l’action.

Le destin des Européens ne peut être suspendu à l’agenda des tête-à-tête gastronomiques de Mme Merkel et de M. Sarkozy ! Il ne suffit pas de créer des bouées de sauvetage au fur et à mesure que les difficultés apparaissent, comme nous le faisons actuellement. Il faut faire de l’Europe un grand bateau moderne, capable de tenir la haute mer de la mondialisation.

Mon sentiment profond est que, tôt ou tard, il faudra en venir à un traité particulier, établi au départ entre les plus résolus, mais restant ouvert à tous les autres, instituant une gouvernance qui allie ce qu’il faut de participation démocratique – donc parlementaire – à ce qu’il faut d’efficacité et d’autorité dans la gouvernance, pour ne pas dire le gouvernement, des affaires européennes.

N’oublions pas qu’il existe à cet égard une pierre d’attente, celle qui a été posée il y a quelques lustres – certains d’entre nous, les plus anciens, dont je suis bien évidemment, s’en souviennent – par le projet de nos amis Karl Lamers et Wolfgang Schäuble, ce dernier étant aujourd’hui l’un des principaux ministres du gouvernement allemand. Nous avons eu grand tort, à cette époque, de ne pas donner suite à cette proposition.

M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

C’est pourquoi je souhaite que, lors du prochain Conseil européen et au-delà de celui-ci, la France aborde ces questions d’une manière résolument constructive, comme elle le fait d’ailleurs déjà. À cet égard, je rends hommage à l’action qui est menée. Je me rends bien compte des multiples concessions qu’il faut faire quotidiennement, mais il vaut mieux faire des concessions et avancer, plutôt que de ne pas avancer !

Encore une fois, avec la crise, le Minotaure est là et frappe à notre porte. Nous ne le chasserons pas avec des livres verts – la Commission excelle dans l’élaboration de ces répertoires des difficultés – ni avec des compromis vagues et dilatoires. Et je ne parle pas de l’Agenda 2020 – pourquoi pas 2040 ou 2060 ? – dont on ne sait pas très bien si celui-ci et ceux qui le suivront sans doute auront plus de succès que ce que nous avons connu avec l’agenda de Lisbonne.

Il faut au contraire serrer les rangs et nous mettre en ordre de bataille. Si nous le faisons, l’Europe retrouvera peut-être son rôle dans le monde et toute sa crédibilité auprès des citoyens. Si nous ne le faisons pas, elle sortira peu à peu de l’Histoire – je le dis avec une grande tristesse, mais il faut en être conscient – pour n’être plus, comme l’Athènes du monde romain, que le musée d’une civilisation qui aura cessé d’être vivante.

Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Bernard-Reymond

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le prochain Conseil européen est donc appelé à se saisir des propositions de la Commission pour une « nouvelle stratégie européenne pour la croissance et l’emploi » à l’horizon 2020.

Au regard de la gravité de la conjoncture, des menaces qui pèsent sur une partie de l’économie mondiale et de la situation en Europe, pleine d’incertitudes à très court terme, cet horizon apparaît quelque peu surréaliste.

Il s’agit d’un exercice qui prend la suite du processus de Barcelone. Alors que ce dernier devait bâtir l’économie de la connaissance la plus compétitive, chacun s’accorde à dire qu’il a été un échec.

Y-a-t-il, dans les propositions formulées, des raisons d’espérer que ce nouveau programme à dix ans sera un succès ?

À vrai dire, la réponse est non.

La faute n’est pas imputable à ses auteurs, qui présentent des propositions solides et réalisables, même si quelques améliorations peuvent être suggérées. La réussite viendra non pas de la pertinence d’un programme, sur lequel tout le monde est à peu près d’accord, mais sur la capacité à le mettre en œuvre et à atteindre les objectifs fixés.

En effet, préconiser des programmes de recherche-développement, de formation professionnelle et de développement du numérique, viser une croissance durable, de promouvoir des politiques, notamment industrielles, tournées vers l’emploi et la lutte contre la pauvreté, au travers de cinq objectifs, trois priorités et sept initiatives phares, tout cela ne devrait pas soulever beaucoup d’objections. On peut néanmoins s’étonner qu’une politique représentant aujourd’hui 40 % du budget communautaire, la politique agricole commune, ait été passée sous silence, au moins dans un premier temps.

En réalité, les vraies questions sont ailleurs et doivent être posées aux chefs d’État et de gouvernement.

Tout d’abord, est-on prêt à réformer significativement la gouvernance de l’Europe ?

Les dirigeants européens, épuisés par dix ans d’efforts pour réformer les institutions, tenter de bâtir une Constitution, puis élaborer le traité de Lisbonne, espéraient bien en avoir fini pour longtemps avec les institutions. Or, s’il n’est certes pas nécessaire de songer déjà à un nouveau traité, la pratique des institutions continue à poser problème, d’une part, en raison du choix qui a été fait dans la mise en œuvre du traité de Lisbonne, et, d’autre part, parce que la crise a montré combien l’absence de gouvernement économique était dangereuse, en particulier pour la zone euro.

Ensuite, il convient d’identifier qui gouverne en Europe, parle en son nom et la symbolise. Est-ce le président permanent du Conseil, le président semestriel, le président de la Commission ? S’agit-il des trois à la fois, ou encore des chefs d’État les plus en vue parmi ceux de nos vingt-sept États membres ?

Cette confusion n’est pas uniquement formelle ; elle traduit une hésitation fondamentale, bien connue, entre deux conceptions de l’Europe présentes dès les premiers élargissements, autrement dit entre une Europe intergouvernementale, celle du libre-échange et des politiques simplement coordonnées, et une Europe puissance, à visée fédérale, dotée de politiques communes intégrées.

Depuis plusieurs années, c’est vers la première formule que les chefs d’État se sont laissé entraîner, sous l’effet conjugué d’un regain de nationalisme dans nos États, des élargissements successifs, des divergences croissantes de compétitivité, du choc de la mondialisation.

Or la crise que nous subissons pose de nouveau la question. On entend parler de gouvernement économique, de fédéralisme budgétaire de la part de personnalités qui ne s’étaient pas manifestées, jusqu’ici, par un tel élan européen.

Effectivement, l’exigence à la fois d’une réduction des écarts de compétitivité, d’un rapprochement des structures économiques de nos pays, d’une maîtrise concertée et transparente de nos dettes, d’un rapprochement de nos fiscalités, de l’élaboration de politiques communes significatives dans les domaines de la recherche ou de l’énergie, par exemple, est réaffirmée clairement, au moins au sein de la zone euro. Ces objectifs ne seront jamais atteints avec les pratiques actuelles, qui consistent à faire confiance à la simple coordination des politiques.

Certes, la réponse à la crise a été pour le moment rapide et bien ciblée. Mais c’est l’urgence et la gravité de la situation qui l’ont permis. Cette crise montre qu’en créant une monnaie unique certains pays ont choisi la voie de l’intégration sans toutefois en tirer toutes les conséquences. Si l’on voulait en rester à l’Europe intergouvernementale, il n’était pas nécessaire de créer l’euro.

Mais l’euro est là, et a montré tous ses avantages. Il se situe dans une logique de puissance. Le point de non-retour est atteint : moins d’Europe serait beaucoup plus dangereux que plus d’Europe. Par conséquent, il est devenu plus que jamais impératif de continuer sur la voie de l’intégration.

Tous les pays de l’Union n’y sont pas prêts ; prenons-en acte et avançons avec ceux qui le veulent. L’alignement sur les plus sceptiques n’est plus compatible avec le rythme de la mondialisation.

Il faut faire évoluer l’architecture de l’Europe, sans drame, sans nouveau traité, avec pragmatisme, en accord, explicite ou tacite, avec les Vingt-Sept, en se fondant sur les réalités que nous observons.

Parmi ces réalités figure d’abord, comme cela a déjà été dit à de nombreuses reprises dans cet hémicycle, l’indispensable couple franco-allemand, qui se révèle une fois encore le moteur de la construction européenne.

Ce couple rencontre des difficultés : des économies différentes, des appréciations divergentes, des chefs d’État qui, en raison de leur âge ou de leur origine géographique, n’ont pas connu l’ambiance et l’élan des origines, un contexte mondial profondément modifié sont autant de défis pour l’entente franco-allemande.

Il faut chercher, sans se lasser, les voies du rapprochement pour deux peuples qui sont devenus le moteur de l’histoire européenne.

Les quatre-vingts propositions que vous avez élaborées, monsieur le secrétaire d'État, avec votre homologue allemand, et qui ont été approuvées par la Chancelière et le Président de la République, marquent une réelle volonté et constituent un cadre parfaitement adéquat pour agir.

Je suis heureux de saluer le premier élément de sa mise en œuvre, à savoir la réunion, tout à l’heure, à la veille du Conseil européen, de députés et sénateurs français sous votre présidence, en présence de votre homologue allemand.

Le travail qui reste à faire est important : pour y contribuer, il convient d’afficher un peu plus de concertation préalable et de rigueur budgétaire, d’un côté, et un peu moins d’intransigeance, de l’autre.

Tout cela est d’autant plus vrai que les efforts sont partagés. L’Allemagne peut, à juste titre, revendiquer une politique budgétaire très sérieuse et des réussites à l’exportation. Mais l’Europe tout entière a participé aux efforts de la réunification allemande, et les performances de notre partenaire à l’exportation ne seraient pas ce qu’elles sont sans le niveau d’investissement et de consommation des autres pays européens.

J’en viens maintenant à la situation de la zone euro. Celle-ci ne peut être qu’à visée fédérale : que ceux qui y ont adhéré et ne l’auraient pas compris fassent leur choix.

Dans le contexte actuel, il est indispensable que la zone euro renforce sa cohésion et s’attache à la mise en place progressive d’une gouvernance économique renforcée, qui, au fil des jours, deviendra un vrai gouvernement économique.

Il s’agit non pas de porter atteinte à l’indépendance de la Banque centrale, mais, au contraire, de faire en sorte que celle-ci ne soit pas acculée à sortir de son orthodoxie, comme elle y a été contrainte. En tout cas, il est parfaitement utopique d’imaginer que les objectifs pour 2020 pourront être atteints en conservant les méthodes actuelles.

Deux voies seulement s’offrent à l’Europe : le retour aux nationalismes et aux individualismes, c’est-à-dire, à terme, à sa relégation, voire à sa disparition ; ou la voie de l’intégration et de la puissance.

Qui peut croire, en effet, que la régulation budgétaire, la réforme du pacte de stabilité, la réduction des écarts de compétitivité, l’augmentation régulière du budget de l’Union, accompagnée par des transferts de souveraineté pour développer des politiques communes comme celles de la recherche ou de l’énergie, pourront se faire au rythme qu’impose la mondialisation, avec l’état d’esprit et les méthodes d’aujourd'hui ?

Le Président de la République et la Chancelière n’ont pas trouvé d’accord formel sur ce point lors du dîner qui les a réunis hier soir.

Ce n’est pas grave s’il ne s’agit que d’un désaccord de forme et de nuance, ou de la crainte de créer une fracture entre les Seize de la zone euro et les autres. C’est plus problématique s’il s’agit d’une divergence de fond qui se creuse progressivement sur ce que doit être l’Europe et sur le temps qui nous reste pour la construire et exister au sein de la société internationale.

Le renforcement de la zone euro, ainsi que les réunions régulières des seize chefs d’État n’excluent pas les Européens du troisième cercle, ceux de la zone de libre-échange, de la coordination souple, des politiques à la carte, telles que celle de la défense avec la Grande-Bretagne, et des positions communes au niveau international, en particulier au G20 pour promouvoir la régulation financière internationale.

S’agissant du G20, le programme annoncé montre l’écart des situations dans les différentes parties du monde. Il n’est question que de conforter la relance, de lutter contre le protectionnisme, de faire le point et de poursuivre la régulation financière, d’entendre les préconisations du FMI.

La question des déficits budgétaires, si cruciale en Europe, ne semble pas occuper une grande place, en tous les cas officiellement.

Quant à la taxe sur les transactions financières, qui sera proposée par la France et l’Allemagne, il faudra certainement plusieurs G20 pour convaincre, si l’on en croit les déclarations de plusieurs responsables gouvernementaux, dont la dernière en date est celle du ministre des finances du Canada.

Le prochain Conseil européen portera autant sur la préparation du G20 que sur le règlement d’affaires intérieures européennes. Se tenant à un moment extrêmement délicat pour notre continent, où chaque jour peut être marqué par l’annonce d’une catastrophe, il devrait être l’occasion de prendre appui sur les réalités économiques budgétaires, financières, diplomatiques et politiques pour avancer avec pragmatisme, tout en privilégiant, en arrière-plan, un schéma clair, propre à assurer la meilleure organisation possible de notre continent.

En ayant toujours à l’esprit cette Europe des cercles concentriques à trois niveaux, nous prenons en compte de façon réaliste la situation de l’Europe telle qu’elle est, sans renoncer à l’ambition des origines : bâtir une puissance mondiale au service d’un idéal de paix, de liberté et de démocratie.

Le fait que le monde ait profondément changé n’a pas pour autant rendu obsolètes les objectifs de départ. Au contraire, la mondialisation nous pose un défi majeur et nous place face à une alternative : exister dans le monde en tant qu’acteur ou changer de division et devenir une poussière d’États insignifiants, sans croissance, sans pouvoir et sans avenir !

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier les six orateurs qui se sont succédé à la tribune. Tous ont exprimé avec beaucoup de talent leurs convictions personnelles et ont fait montre de justesse dans l’analyse des problèmes, en donnant un reflet très fidèle de toute la gamme des sensibilités qui coexistent dans notre pays, des plus fédéralistes aux plus sceptiques.

J’avoue, monsieur le président, être quelque peu partagé entre le devoir qui m’incombe de présenter la déclaration du Gouvernement, à la veille du Conseil européen, et mon envie de répondre dans le détail aux différentes interventions.

Je me demande donc, si, la prochaine fois, il ne serait pas préférable de commencer par une brève déclaration du Gouvernement ou au moins un exposé des points principaux caractérisant son action à la veille du Conseil. Cela lui laisserait, ensuite, le temps pour répondre pleinement aux différents orateurs, ce qu’un débat « interactif et spontané » n’autorisant que des réponses de deux minutes ne permet pas, à mon sens, de faire de manière satisfaisante.

Je me permets de faire cette observation, car, compte tenu de la qualité des interventions, je ne peux dissimuler une certaine frustration !

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

Monsieur le secrétaire d’État, le président de séance n’a fait qu’appliquer les conclusions de la conférence des présidents. Il s’agit d’un débat préalable au Conseil européen. Je ferai part à la conférence des présidents de vos observations, mais sachez que tous les débats de ce type se sont déroulés de cette manière.

Cela étant, vous vous exprimerez le temps qu’il faudra et selon la forme que vous souhaiterez.

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État

Monsieur le président, tous les débats ne se sont pas déroulés ainsi. Au demeurant, ma remarque, que j’ai formulée très respectueusement et à titre amical, n’était en aucun cas une remontrance envers qui que ce soit ; j’ai beaucoup trop de respect pour le Parlement pour qu’il puisse en être autrement.

Simplement, je me permets de faire une suggestion : dans un débat de ce type, le Gouvernement devrait pouvoir exposer sa position avant que nous ayons, ensuite, le temps d’engager un vrai débat. Je vais m’efforcer de faire les deux à la fois, et je prie à l’avance les orateurs de me pardonner si je ne fais pas justice à tous leurs arguments.

Le Conseil européen, qui débutera jeudi prochain, aura, comme vous le savez, un agenda particulièrement chargé. Il sera, si j’ose dire, sous les feux des projecteurs ! À quelques jours du prochain sommet du G20 à Toronto, nos partenaires internationaux, seront en effet très attentifs à ses conclusions. Ce que nous appelons pudiquement les marchés, c’est-à-dire à la fois ceux qui spéculent et ceux qui prêtent aux États, les fonds de pensions en particulier, auront également les yeux braqués sur nous.

Après tous les événements que nous avons vécus depuis six mois et dans le prolongement de l’accord franco-allemand qui est intervenu hier soir, je veux croire que ce Conseil marquera un vrai retour de l’Europe, à la fois en termes de stabilité pour la zone euro, d’adoption de quelques lignes fortes, nécessaires à la croissance et à la sortie de crise et, surtout, en termes de promotion d’un certain nombre d’idées maîtresses en vue de la réorganisation du système financier mondial.

Vous savez qu’un plan d’ampleur historique a été adopté il y a un mois afin de sauver la zone euro. Ce dont il a été question hier, et dont il sera question jeudi et vendredi, c’est de compléter ce plan par une série de règles – vous en avez tous beaucoup parlé –, pour essayer de mieux organiser la zone euro à la lumière de la crise économique et financière actuelle.

Le Conseil abordera également la question du climat. J’évoquerai brièvement ce que nous appelons le mécanisme d’inclusion carbone, autrement dit « la taxe carbone aux frontières ».

Il sera aussi question de l’Islande et des événements en Iran, après l’adoption de la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.

Le Conseil traitera également de la perspective d’entrée dans la zone euro de l’Estonie au 1er janvier 2011.

Enfin, il devrait adopter la décision convoquant une conférence intergouvernementale, en vue de permettre la désignation au Parlement européen de dix-huit membres supplémentaires jusqu’au terme de la mandature 2009-2014, dont deux pour la France.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il ne me sera pas possible, vous le comprenez bien, d’entrer dans le détail de tous ces points.

Je commencerai en évoquant la situation économique et financière européenne.

Permettez-moi, au préalable, comme l’ont fait la plupart des intervenants, notamment M. le président Bizet, mais aussi MM. Chevènement, Marc et Bernard-Reymond, d’insister sur l’importance stratégique du couple franco-allemand au regard à la fois de tout ce que nous avons vécu depuis le début de cette crise et, je l’espère, des solutions que nous sommes en train d’y apporter.

À mon tour, je tiens à souligner l’exceptionnelle qualité de la relation qui lie la France à l’Allemagne, sa densité, mais aussi les difficultés qui la caractérisent. M. Bizet, comme M. Chevènement, a souligné fort justement que ces deux pays très différents parvenaient à transcender leurs différences pour élaborer, au nom de l’intérêt général européen, des politiques communes.

Je prendrai trois exemples concrets pour illustrer l’importance de cette relation.

C’est grâce à l’impulsion conjointe du Président de la République et de la Chancelière qu’ont été définis, dans la nuit du 7 au 8 mai dernier, les lignes du plan de sauvetage historique de la zone euro, composé de deux volets sur le plan européen et finalisé le dimanche 9 mai par le Conseil ECOFIN.

Comme vous le savez, le premier volet de ce mécanisme a été créé conformément à l’article 122-2 du traité européen, lequel prévoit que, « lorsqu’un État membre connaît des difficultés ou une menace sérieuse de graves difficultés, en raison de catastrophes naturelles ou d’événements exceptionnels échappant à son contrôle, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut accorder, sous certaines conditions, une assistance financière de l’Union à l’État membre concerné ». Puisque nous étions dans une telle situation 60 milliards d’euros ont été mobilisés dans le cadre de ce premier volet.

Le second volet, lui, est beaucoup plus nouveau. Il s’est agi de créer une facilité de soutien, en réalité des concours, des garanties nationales, qui ont été votés par les parlements – et j’en remercie les sénateurs ici présents –, à hauteur de 440 milliards d’euros.

S’agissant aussi bien du mécanisme de l’article 122-2 que du second volet, ou, précédemment, du soutien à la Grèce, la moitié de l’argent européen prêté est allemand et français. C’est dire à quel point nos deux pays ont travaillé en commun pour réunir ces facilités financières à un moment capital.

Vous le savez, les deux volets ont été complétés par une intervention très importante du FMI, à hauteur de 250 milliards d’euros. Enfin, la Banque centrale européenne a, en accompagnement de ce plan, décidé de procéder, ce qui est, là encore, une décision sans précédent, aux achats d’obligations de dettes souveraines sur le marché secondaire.

Le mécanisme de stabilisation ainsi mis en place est très nouveau sur le plan politique, car, jusqu’à présent, même si nous avions une monnaie unique, le dispositif reposait sur le principe selon lequel chaque État était seul responsable de ses comptes et du financement de ses dettes. Nous avons donc, par des concours bilatéraux, s’agissant de la partie la plus importante du mécanisme, presque mis en œuvre – je vais faire bondir M. Chevènement ! – l’article 5 du traité de l’Atlantique nord, qui a institué le mécanisme de sécurité collective suivant : lorsqu’un État est attaqué, il existe un fonds de garantie pour lui venir en aide.

Il s’agit, certes, de garanties bilatérales votées par les parlements, mais les sommes en jeu sont considérables ; dans le cas de la France, par exemple, elles dépassent l’effort d’assainissement des finances publiques que nous devons faire d’ici à 2013.

Ce plan est la concrétisation, sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne, d’un principe fondamental que nous, Français, quelle que soit notre appartenance politique, avions voulu, celui de la solidarité avec les autres membres de la zone euro, combiné à un principe de responsabilité dans la gestion des deniers publics.

Un deuxième exemple du caractère très important de la relation franco-allemande nous a été donné hier soir, lorsque nos deux pays se sont mis d’accord sur des mécanismes qui viennent compléter le plan institutionnel. J’y reviendrai.

Je citerai un troisième exemple, plus modeste, mais tout de même très significatif. Aujourd'hui – et je me souviens comme vous tous de ce qui s’est passé il y a soixante-dix ans aux alentours du 15 juin –, un représentant du gouvernement français et un représentant du gouvernement allemand étaient présents, ensemble, à l’Assemblée nationale, pour évoquer devant des sénateurs et des députés l’avenir de l’Europe. Le ministre adjoint des affaires étrangères allemand et moi-même étions en effet entendus par les commissions des affaires européennes des deux assemblées. C’est la première fois qu’une telle audition conjointe est réalisée, ce qui constitue un progrès tout à fait considérable.

Cela faisait partie – et je remercie M. Bizet de l’avoir noté – des quatre-vingts propositions sur lesquelles nous avions travaillé avec mon collègue allemand. Je souligne au passage que, ce matin, nous avons visité ensemble l’Agence spatiale européenne. Il est aussi à noter que la moitié de l’effort spatial de l’Europe est franco-allemand. C’est dire que, à chaque fois, le rôle de nos deux pays est très important.

Sur la situation économique et financière européenne, permettez-moi d’aborder rapidement quatre volets, que vous avez tous, les uns et les autres, également évoqués.

Le premier est la nécessité du retour à l’équilibre des finances publiques. Ce n’est pas une « purge », pour reprendre le terme utilisé par M. Chevènement tout à l’heure ; ce n’est pas non plus une volonté de « casser » la croissance, bien au contraire.

Dans son projet de déclaration, le Conseil européen rappelle « la détermination des États membres à assurer la soutenabilité budgétaire […] pour préserver la crédibilité de la stratégie de sortie de crise ». Selon lui, « il est de la plus haute importance que les cibles en matière budgétaire soient atteintes sans délai ». Autrement dit, les États membres ne peuvent pas afficher des déficits publics qui soient incompatibles avec leur crédibilité sur la scène internationale. Nous sommes des États débiteurs, nous devons faire attention à nos dépenses. C’est aussi simple que cela.

La soutenabilité des dépenses publiques s’impose aussi à la France, et ce à un double titre.

Sur le plan national, d'une part, les mesures prises dans le cadre du plan de mobilisation contre la crise ont été conçues à l’origine comme des mesures d’ajustement à la crise. Nous maintenons les investissements du grand emprunt. Nous préparons la croissance de l’avenir, mais rappelons-nous ce qu’a dit le Président de la République : « Le déficit ne peut en effet pas raisonnablement rester à son niveau de sortie de crise sans constituer une menace pour la croissance future. L’arrêt progressif des mesures de soutien en 2010 et la réduction du déficit à partir de 2011 ne constituent donc ni une nouveauté ni un problème si l’on souhaite garantir une croissance durable et soutenable. »

Nous avons subi, l’an dernier, une dépression très rude, que nous avons amortie par des plans de soutien. Il s’agit maintenant de sortir de la crise, mais nous ne pourrons le faire en conservant des déficits aussi élevés, à hauteur de 8 % du PIB. Il est donc raisonnable de soutenir la croissance en prenant garde à nos dépenses et en recherchant des économies.

Voilà ce qui est décidé ; on est donc loin d’une purge, d’un plan d’austérité ou de je ne sais quelle tentative de casser la croissance et de punir l’économie française !

Sur le plan européen, d'autre part, une discipline commune en matière de dépenses publiques est absolument indispensable pour éviter la résurgence des déséquilibres ayant mené à la crise grecque. Les budgets doivent être mieux gérés, dans la transparence, avec le souci de réduction des dépenses publiques. Il importe de faire prévaloir le principe de responsabilité.

Il a fallu plusieurs mois pour arriver à cette position. Soyons clairs, il n’est pas question de continuer à donner de fausses statistiques, de laisser filer les déficits en pensant que d’autres paieront. Les membres au train de vie le plus dispendieux ne peuvent plus escompter se trouver en mesure, par le biais d’une sorte de carte bancaire magique dont ils auraient le code secret, de tirer autant d’argent que nécessaire sur le budget des États les plus nantis. La zone euro implique un minimum de bonnes pratiques budgétaires ; c’est le corollaire – j’y insiste – des mesures de solidarité qui ont été adoptées au cours du mois écoulé.

La transparence est donc un devoir. De ce point de vue, l’Allemagne, comme vous le savez, a introduit un mécanisme de limitation des déficits dans sa loi fondamentale – 0, 35 % du PIB en 2016 –, lequel, je le sais, a suscité un certain nombre de critiques en France. Le Président de la République a évoqué l’idée d’inscrire dans notre Constitution une règle qui obligerait, en début de législature, à fixer un cadre visant à l’équilibre et, donc, à dire les choses devant le peuple.

Monsieur Chevènement, vous avez comparé cela, dans votre style toujours très évocateur, à un couteau sans lame auquel il manquerait le manche : quelle image !

Sourires

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État

Je ne sais pas si vous voulez garder la lame ou le manche ; peu importe, enlevons les couteaux, parlons simplement de pédagogie et traitons nos concitoyens comme des adultes ! Quel que soit, en fonction des alternances, le gouvernement en place, celui-ci doit s’engager à présenter des comptes transparents et, si possible, équilibrés, parce qu’il y va aussi des règles communes, de la monnaie commune dont nous nous sommes dotés. En tout état de cause, sachez que je saurai résister à la tentation de refaire avec vous le débat sur Maastricht qui a eu lieu voilà une dizaine d’années !

Au travers des mesures qu’elles ont décidées, la France et l’Allemagne ont montré l’exemple au reste de la zone euro, en envoyant un signal fort aux marchés quant à leur engagement à réduire les déficits. Je le répète, notre pays sera au rendez-vous de ses obligations européennes, qui lui imposent de revenir à un déficit public de 6 % du PIB en 2011, de 4, 6 % en 2012 et de 3 % en 2013.

Pour atteindre cet objectif ambitieux, le Gouvernement a été très clair sur la méthode. Nous n’augmenterons pas les impôts, car nous ne voulons pas « casser » la croissance et tuer le malade en essayant de le guérir ! Nous allons nous attacher à maîtriser la dépense publique : notre objectif est de baisser les dépenses de 45 milliards d’euros dans les trois prochaines années, grâce à la réduction des niches fiscales, à la réforme des retraites et à l’effort de gel en valeur de l’ensemble des dépenses de l’État et des collectivités locales.

Ces mesures seront difficiles, mais nous sommes résolus à les mettre en œuvre pour consolider le retour de la croissance, aussi modérée soit-elle. Nous espérons que cette remontée des recettes, couplée à la réduction des dépenses des collectivités locales et des comptes sociaux, nous permettra de remplir l’objectif de 100 milliards d’euros d’économies d’ici à 2013.

La Commission, qui examinait aujourd’hui même le programme de stabilité français, a considéré que les réformes engagées allaient dans le bon sens et méritaient d’être soutenues. Cette stratégie est parfaitement en ligne avec le projet de conclusions du Conseil européen, qui précisera jeudi que « la priorité devrait être donnée aux stratégies de consolidation budgétaire favorables à la croissance, principalement centrées sur la maîtrise des dépenses ».

À ce sujet, j’ai bien entendu les remarques formulées, notamment de la part de M. Marc, tant il est vrai que l’accumulation de plans de rigueur sans coordination risque de poser problème. C’est d’ailleurs l’argument qui justifie la mise en place d’un gouvernement économique de l’Europe ainsi que la nécessité d’assainir les comptes et de veiller à maintenir le feu de la croissance. Nous sommes extrêmement conscients qu’il faudra pour cela effectuer un pilotage très fin.

Le deuxième volet est justement constitué par l’instauration d’un véritable gouvernement économique européen. De nombreux orateurs ont évoqué ce soir les moyens à envisager pour l’organiser. Parmi eux, certains ont été, et cela m’a fait sourire, très « sarkozystes » en estimant que la seule et bonne solution est l’Eurozone à seize.

Je voudrais leur faire remarquer que, voilà encore quelques mois, la notion de « gouvernement économique » n’était absolument pas acceptée par nos partenaires allemands, qui s’en tenaient au pacte de stabilité et refusaient notamment les critères envisagés, les règles de gestion budgétaire, ainsi que la coordination des politiques macroéconomiques et fiscales. L’Allemagne a timidement adopté le principe d’un gouvernement économique le 4 février dernier lors du Conseil des ministres franco-allemand ; elle le reconnaît aujourd’hui pleinement.

Quant à savoir si tout doit être réglé à seize ou à vingt-sept, je voudrais rappeler que l’Eurogroupe ne figure pas dans le traité, mais qu’il est seulement mentionné en annexe. Seul le système à vingt-sept est reconnu par le traité. Créer ex nihilo une autre institution, comme nous y avons pensé, avait certes ses avantages, mais cela impliquait un exercice institutionnel nouveau. En l’état actuel, nous avons un président stable de l’Union, des institutions et un cadre qui n’interdit pas de se réunir, si cela est nécessaire, à seize. Voilà le compromis pragmatique qui a été conclu hier entre le Président de la République et la Chancelière et qui devrait nous permettre d’avancer.

D’aucuns ont avancé l’idée selon laquelle des pays pourront continuer de dévaluer – sous-entendu, de faire n’importe quoi. Mais c’est mal connaître l’état des tensions internationales en la matière ! Je doute fort que certains de nos partenaires extérieurs à la zone euro se plaisent à laisser filer leur monnaie. Bien au contraire, leur intérêt est de rester le plus proche possible de la zone euro. Tel est, en tout cas, le discours que j’entends à Stockholm, à Oslo, où j’étais encore hier, voire à Londres. Chaque pays a intérêt à ce que la zone euro reste solide et à laisser sa monnaie amarrée à l’ensemble européen. Il est donc logique d’agir à vingt-sept.

Sur les compétences et le mode de fonctionnement du gouvernement économique, le groupe de travail présidé par Herman Van Rompuy a permis d’avancer de façon très substantielle sur la reconnaissance de certains principes.

Le premier concerne le renforcement du volet préventif du pacte de stabilité, avec un dispositif de sanctions. Cette question a également été évoquée par de nombreux orateurs ce soir. Faut-il s’en tenir à des sanctions financières ou prévoir d’autres mesures ? Lorsqu’un pays est en crise ou en faillite, l’ajout d’une pénalité financière sert-il vraiment à quelque chose ?

En cas de violation répétée des règles de bonne gestion budgétaire qui engagent tous les États, puisqu’ils partagent la même monnaie, il y a sur la table la garantie des autres contribuables. Ne devrait-on pas être en droit de dire que ceux qui se comportent ainsi de façon répétée perdront leurs droits de vote ? Je suis conscient des problèmes politiques et constitutionnels que pose cette question. Nous devons ouvrir le débat sur la responsabilisation de chacun.

À l’intérieur d’une même zone monétaire, certains mettent des garanties sur la table : le but est qu’elles ne servent pas. Quand vous vous portez caution pour un tiers, un enfant ou un ami, pour l’achat ou la location d’un bien, vous le faites par solidarité en espérant ne pas être appelé. Pour cela, vous êtes en droit d’exiger que le comportement de la personne soit conforme à l’intérêt du groupe.

Telle est l’idée qui sous-tend la sanction de nature politique. Il ne sert strictement à rien de se faire « manger » sa caution et d’ajouter une pénalité financière. C’est d’ailleurs le système qui existait depuis 2004 et qui, nous le savons tous, n’a jamais été mis en œuvre.

Je ne prétends pas que nous détenions la vérité à ce stade, mais la France et l’Allemagne ont choisi une direction qu’elles entendent soumettre au Conseil pour réflexion. Le débat, je le répète, doit être ouvert, même si la situation est compliquée sur les plans juridique et constitutionnel.

Le deuxième principe porte sur une meilleure surveillance des niveaux d’endettement et de leur dynamique.

Le troisième est relatif au renforcement de la surveillance des budgets nationaux, dans le respect des obligations constitutionnelles. MM. Billout et Bernard-Reymond ont défendu des thèses rigoureusement inverses, l’un proposant d’aller vers davantage de fédéralisme, l’autre considérant qu’une telle évolution constituerait un viol de l’article xiv de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. La vérité se situe sans nul doute quelque part entre ces deux extrêmes !

En fidèles lecteurs de Molière, nous cherchons le juste milieu. Le respect des obligations constitutionnelles de chaque État membre doit conduire à ce que les orientations budgétaires soient discutées entre les chefs d’État, et non à la Commission, et votées par les parlements nationaux. Mais il faut bien, pour assurer le respect des garanties fixées sur le plan économique, permettre à chaque enceinte politique légitime d’examiner le budget des autres, faute de quoi l’opinion publique ne nous comprendrait plus. En effet, cela reviendrait à dire que les coffres sont grands ouverts et que chacun peut venir se servir, quels que soient les efforts fournis pour assainir les comptes de la République !

Le quatrième principe a trait à l’amélioration de la qualité des statistiques nationales.

Le cinquième, ô combien important, porte sur la prise en compte des facteurs de compétitivité dans l’examen des politiques économiques. Dans le cas de l’Espagne, les chiffres affichés du déficit dissimulaient une bulle financière.

Le rapport final du groupe de travail est attendu pour le Conseil européen d’octobre, mais, en attendant, celui qui s’ouvre dans deux jours adoptera la nouvelle stratégie Europe 2020 de croissance, sur laquelle il y aurait beaucoup à dire. Le texte vaut ce qu’il vaut, avec ses nombreux objectifs, ses grandes déclarations et son jargon.

Nous, Français et Allemands, ce que nous voulons désormais, c’est faire reconnaître la contribution à la stratégie économique européenne de toutes les politiques communes, y compris, j’insiste sur ce point, la politique agricole commune.

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d’État

Je vous signale, mesdames, messieurs les sénateurs, que cette dernière ne figurait pas dans la première mouture de l’Agenda 2020 proposé par la Commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

Pas plus que la politique de cohésion territoriale !

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d’État

Nous entendons également que l’Agenda 2020 permette de gagner des points de croissance supplémentaires et qu’il ne se contente pas d’être une déclinaison de vœux pieux. Pour cela, il faut promouvoir une politique européenne de l’énergie et une stratégie européenne industrielle dans un certain nombre de domaines clés. Nous avons visité ce matin l’Agence spatiale européenne, car ce secteur, comme ceux du numérique ou du véhicule électrique, est une niche de recherche, de développement et d’emplois pour l’Europe.

Pour être tout à fait honnête, le combat n’est pas encore gagné. Le Conseil européen se tient jeudi et la déclaration dite de l’Agenda 2020 ne mentionne toujours pas la politique industrielle et énergétique. Elle s’en tient à des déclarations générales avec des objectifs portant notamment sur la pauvreté et l’éducation. Motherhood and apple pie, diraient les Américains ! Qui peut-être contre la patrie et la tarte aux pommes ?

Sourires

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d’État

En ce qui concerne l’optimisation du potentiel de croissance à partir du marché intérieur, je vous renvoie à l’excellent travail qui a été fait par Mario Monti.

Je voudrais insister sur un autre point, sur lequel nous avons beaucoup travaillé aujourd’hui avec mon collègue allemand : la stratégie 2020 doit absolument s’intéresser au reste du monde et intégrer une politique commerciale cohérente.

Or tel n’est pas le cas actuellement, y compris en matière d’accès aux marchés publics et de stratégie de négociation commerciale à l’OMC. Il incombe à l’Europe de se tourner vers l’extérieur, dans le cadre d’une stratégie réellement globale. Que la Commission arrête de considérer que la concurrence est uniquement un problème interne et de procéder au découpage des groupes européens au nom de la protection des consommateurs !

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État

Petit à petit, nous sommes en train de gagner du terrain, mais la tâche est très difficile car elle implique un véritable changement de philosophie.

Avec la crise, les délocalisations et le chômage, un certain nombre de pays, même les plus historiquement libéraux, sont tout de même convaincus de la nécessité d’une politique industrielle européenne. Il reste beaucoup à faire dans ce domaine. Une réunion du Conseil sera spécifiquement consacrée à cette question, mais nous n’en sommes qu’au début du chemin !

En ce qui concerne le renforcement de la régulation financière au niveau international, vous le savez, la France et l’Allemagne vont porter ensemble toute un éventail de nouvelles régulations et de contrôles des marchés financiers. Nos deux dirigeants ont écrit au président de la Commission une série de lettres, la dernière en date du 8 juin, relatives aux fonds spéculatifs, à la réglementation sur les ventes à découvert, aux produits dérivés. Nous sommes donc aux avant-postes de l’effort de régulation européen.

De la même façon, nous avons travaillé aujourd’hui même à une lettre commune en vue du G20 pour que la France et l’Allemagne portent ensemble l’idée d’une taxation sur les services financiers et bancaires, dans le cadre d’une régulation internationale.

Toujours dans un souci d’honnêteté à votre égard, mesdames, messieurs les sénateurs, je dois vous dire que, lors de la dernière réunion des ministres des finances du G20, nous ne l’avons pas emporté. De nombreux pays, notamment le Brésil et le Canada, n’ont pas envie de réguler leurs banques ou de taxer les mouvements financiers.

Une vraie bataille politique doit être menée. La France et l’Allemagne ont décidé de la mener ensemble, ce qui mérite d’être salué. Pour certains, c’est insuffisant ; pour d’autres, idéaliste. Quoi qu’il en soit, nous sommes déterminés !

J’évoquerai brièvement les négociations en matière de lutte contre le changement climatique. L’objectif que s’est fixé l’Europe de réduction de 20 % de ses émissions de gaz à effet de serre ne sera pas réévalué à 30 %, les conditions nécessaires n’étant pas réunies.

Par ailleurs, après des mois d’efforts, menés avant et, surtout, après le sommet de Copenhague, la Commission a reconnu – tant mieux, je m’en réjouis ! – que l’instauration d’une taxe carbone aux frontières n’était pas une idée si saugrenue. En la matière, notre intention est claire : cesser d’exporter des emplois et d’importer du carbone ! En cas de dumping écologique, il est donc nécessaire de prévoir un juste équilibre entre une compensation, des permis d’émission et une taxation des secteurs. Toutes les propositions sont désormais sur la table.

Je me suis entretenu encore hier soir avec Pascal Lamy sur ce sujet. En tant que directeur général de l’Organisation mondiale du commerce, il ne soulève aucune objection de principe, s’interrogeant simplement sur la façon de procéder.

J’ai ainsi demandé aux responsables de l’Agence européenne pour l’environnement, que j’ai rencontrés récemment à Vienne, de mener le travail d’expertise nécessaire pour être en mesure, secteur par secteur, de quantifier les émissions de carbone et les niveaux de pollution. Il s’agit ainsi de poser les bases d’un commerce international, fondé sur un dispositif de compensations dans un sens ou dans l’autre, pour militer en faveur d’une décarbonisation de l’économie mondiale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’en viens à la question de l’Islande, sur laquelle nous travaillons très sérieusement depuis près d’un an avec nos partenaires allemands.

Vous le savez, un double problème se pose. Tout d’abord, il convient de résoudre le contentieux concernant la société financière Icesave, pour lequel le Royaume-Uni et les Pays-Bas sont parties prenantes. Ensuite, nous voulons être sûrs de ne pas importer un système financier notoirement problématique, voire corrompu.

Un travail d’« assainissement » est en train d’être mené en profondeur en Islande, un certain nombre de garanties ayant été fournies sur le règlement de l’accord financier relatif à Icesave. Les négociations d’adhésion vont donc pouvoir commencer, mais selon les mêmes critères que pour les autres pays. Afin que celles-ci puissent se dérouler normalement, nous veillerons à ce que l’Islande poursuive son effort.

Pour ce qui concerne l’Iran, il avait été convenu en décembre 2009 que le Conseil européen demanderait aux ministres des affaires étrangères de l’Union européenne de préparer des mesures pour accompagner la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.

Cette résolution, qui porte le numéro 1929, a été adoptée la semaine dernière. Les mesures qu’elle comprend porte sur de nombreux domaines, parmi lesquels les livraisons d’armes, les secteurs bancaire et financier. Dans ses conclusions, le Conseil Affaires étrangères, qui s’est tenu tout récemment, le 14 juin dernier, a fait part du soutien de l’Union européenne à la résolution 1929.

Dans le prolongement de sa déclaration de décembre, le prochain Conseil européen devrait adopter une nouvelle déclaration pour demander des mesures complémentaires et fixer, à cet effet, une feuille de route aussi précise que possible.

La France, avec ses partenaires, reste fidèle au principe d’une double approche, qui repose à la fois sur le dialogue et la fermeté. Notre position n’a pas varié.

Je tiens également, mesdames, messieurs les sénateurs, à vous communiquer, car c’est important, le calendrier des prochaines échéances du Conseil européen.

Le président Van Rompuy a choisi d’organiser des conseils thématiques. Le Conseil européen se penchera donc, dès le 16 septembre, sur les relations de l’Union avec ses grands partenaires émergents, notamment la Chine et l’Inde. Ce sera l’occasion de parler de stratégie commerciale et d’accès aux marchés publics, questions particulièrement importantes s’agissant des relations entre la Chine et l’OMC. Une session du Conseil européen sera consacrée, les 28 et 29 octobre prochains, au thème de la recherche et de l’innovation, ce qui permettra de revenir sur la politique spatiale, le projet ITER et la mobilité électrique et numérique. Enfin, une réunion informelle, qui devrait avoir lieu au début de 2011, sera consacrée à la future stratégie énergétique pour la période 2011-2020.

L'Union européenne avance donc dans la direction que nos voisins allemands et nous-mêmes préconisons. Certes, il n’est pas facile d’orienter un navire à vingt-sept, mais, grâce à notre volonté politique, nous sommes en train d’y parvenir.

Je vous invite à réaliser l’importance du travail qui a été réalisé. J’en profite également pour remercier tous ceux qui, dans l’ensemble du système étatique français, et pas seulement au Quai d’Orsay, concourent à la mise en œuvre d’une politique intégrée et utile de la France en Europe. Je pense bien évidemment à nos parlementaires nationaux et européens.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le voyez, beaucoup de sujets sont sur la table. Nous sommes en train, selon moi, de sortir par le haut de l’épreuve des six derniers mois. Bien que cette évolution ne se fasse pas sans mal, je considère désormais la situation avec beaucoup d’espoir.

Non seulement nous avons fabriqué un socle financier solide et crédible, mais surtout nous bâtissons un ensemble institutionnel à la fois démocratique, car respectueux des droits des parlements nationaux, transparent pour les contribuables et concerté. Bien entendu, tout n’est pas parfait, mais la perfection est difficile à atteindre à vingt-sept !

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané prévu par la conférence des présidents.

Chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes maximum. Le Gouvernement, s’il est sollicité, pourra répondre.

La parole est à M. Jacques Blanc.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

Monsieur le secrétaire d’État, le débat tel qu’il est organisé me satisfait et les interventions de nos collègues qui se sont succédé à la tribune nous ont permis d’aller au fond des choses. Je me limiterai donc à deux questions.

Premièrement, vous l’avez dit, la politique agricole commune figure désormais dans le projet Europe 2020, ce dont je vous félicite. En revanche, malgré le charabia des textes et une absence certaine de simplification, la cohésion territoriale semble quelque peu absente. J’aimerais savoir si la France a l’intention de se mobiliser pour la mettre en avant. N’oublions pas, en effet, qu’il s’agit d’un acquis du traité de Lisbonne.

Deuxièmement, en évoquant les prochaines échéances européennes, vous n’avez pas mentionné l’Union pour la Méditerranée, l’UPM. En raison des événements dramatiques survenus récemment à Gaza, le sommet prévu pour le 7 juin dernier et qui devait se tenir en Espagne n’a pu avoir lieu. Croyez-bien que je le regrette ! Dans ce contexte, quel avenir la France réserve-t-elle à ce grand projet de l’Union pour la Méditerranée ?

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État

Monsieur le sénateur, je vous confirme que la cohésion territoriale figure bien dans les conclusions du Conseil. N’ayant pas à ma disposition l'ensemble des chiffres, je rappellerai simplement que la politique de cohésion bénéficiera, pour la période 2007-2013, d’un montant total de 350 milliards d’euros. Toutefois, je suis dans l’incapacité de vous préciser les sommes restant à dépenser dans le cadre des fonds de cohésion d’ici à cette échéance. Je vous transmettrai donc cette information par écrit.

Concernant l’UPM, vous connaissez la situation aussi bien que moi. Elle a été en quelque sorte l’otage, depuis deux ans, de la situation israélo-palestinienne. Vous l’avez rappelé, le sommet qui devait se tenir au mois de juin a été reporté, notamment en raison des événements liés à la fameuse flottille qui faisait route vers Gaza. Pour répondre plus avant à votre question, il faudrait entrer davantage dans l’analyse, mais nous sortirions alors du cadre de notre débat.

Je connais bien le sujet, puisque j’ai mené, à Barcelone, la négociation sur la question de l’eau, pour laquelle nous avons trouvé des solutions techniques. À l’heure actuelle, les discussions n’avancent pas, car le désaccord politique est majeur entre le groupe arabe et Israël.

Au nom du Gouvernement, mais aussi à titre personnel, je peux vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’UPM, cette maison commune, cette architecture indispensable entre les deux rives de la Méditerranée est irréversible. Elle se fera.

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État

Simplement, depuis deux ans, force est de constater que sa construction a été ralentie par les événements.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite revenir sur l’Agenda 2020, afin d’exprimer toute ma préoccupation au sujet d’un texte confus et redondant, pour tout dire mal ficelé : y figurent, en filigrane, un certain nombre de politiques, dans le domaine notamment de l’énergie, de l’innovation et de la recherche, ainsi que de la mobilité internationale.

Mais c’est l’absence de tout plan de financement qui m’inquiète. J’ai d’ailleurs posé cette même question à votre collègue allemand cet après-midi. La situation est d’autant plus préoccupante que la majorité des États pratique aujourd’hui une politique de déflation et de réduction des budgets. Or je crains que l’on ne transpose cette mauvaise idée au budget communautaire, ce qui me conduit à vous interroger sur les perspectives financières de l’Union. Son prochain exercice financier sera-t-il maintenu à 1 % du PIB européen ? Nous n’en savons rien, ni la Commission ni le Conseil n’ayant évoqué la question.

L’Agenda 2020 risque fort de connaître un sort encore plus fâcheux que le précédent, ce qui aurait un effet politique désastreux, de nature à désespérer tous ceux qui ont placé leur espoir dans l’Europe. La stratégie de Barcelone a été un échec, et il me semble que nous nous préparons au même scénario.

Je souhaite également connaître, monsieur le secrétaire d’État, la position du Gouvernement sur la proposition de M. Lamassoure, lequel plaide en faveur d’un congrès ou d’une convention européenne pour traiter les problèmes de financement et d’articulation entre les budgets nationaux et communautaire.

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État

Monsieur Yung, vous avez en effet soulevé la question du financement cet après-midi. Au demeurant, vous avez raison de pointer du doigt les difficultés, tant il s’agit d’un vrai sujet stratégique pour la France, à la veille des négociations sur ce que l’on appelle pudiquement les perspectives financières.

Il convient de réfléchir à ce que sera, concrètement, le budget de l’Europe à partir de 2013 : représentera-t-il, comme c’est le cas actuellement, 1 % du PIB européen, c’est-à-dire 135 milliards d’euros environ, ou bien sera-t-il augmenté ?

La France, par exemple, souhaite conserver à l’avenir une politique agricole européenne. Elle considère, d’ailleurs à juste titre, que c’est une arme stratégique pour l’Europe, surtout dans la perspective d’une planète comptant 9 milliards d’êtres humains, qu’il faudra nourrir, et face à des États-Unis qui, eux, subventionnent leur agriculture. Il serait suicidaire d’abandonner la nôtre, d’où la nécessité de prévoir les crédits nécessaires. Parallèlement, une demi-douzaine d’États européens ne veut plus dépenser un sou en la matière, jugeant préférable de mettre l’argent ailleurs, notamment dans les technologies nouvelles, l’environnement, la recherche ou la génétique.

Par conséquent, l'Union européenne doit s’interroger sur les politiques qu’elle entend promouvoir.

En matière de recherche, de diplomatie ou de défense, tout a un coût et les questions ne manquent pas : quel service d’action extérieure européen envisager ? Voulons-nous vraiment des satellites d’observation antimissiles ? Finalement, comment gérer l'ensemble des priorités ?

Aujourd'hui, nous avons beaucoup de mal à financer les programmes de recherche fondamentaux.

Il en est ainsi du projet ITER, qui a pris du retard et suscite de vraies bagarres. J’espère beaucoup que nous aurons le soutien déterminé, sur ce dossier essentiel, de nos partenaires allemands. La question a d’ailleurs été évoquée tout récemment.

Si l’ITER, plutôt que d’être implanté en France, devait l’être au Japon ou en Corée du Sud, ce serait une catastrophe non seulement pour notre pays, mais aussi pour l’Europe. Il s’agit là du plus grand programme de coopération scientifique au monde, et ses retombées industrielles seront considérables. Or, à ce jour, nous ne disposons pas des fonds nécessaires à sa réalisation.

J’ajoute que la Commission a beaucoup de mal à gérer des programmes d’une telle ampleur. Si, a contrario, la politique spatiale est un succès, c’est précisément parce qu’elle relève d’une agence intergouvernementale spécialisée, l’Agence spatiale européenne : celle-ci travaille, certes, aux côtés de la Commission européenne, mais elle n’en dépend pas.

J’attire donc votre attention sur ce point, monsieur le sénateur : si l’on veut vraiment qu’ITER réussisse, il importe qu’il soit confié à des professionnels, et non aux commissaires. Je m’empresse de dire que je n’ai rien contre ces derniers ni, d’ailleurs, contre la Commission, mais la réussite de tels dossiers dépend de la manière dont ils sont « managés ».

Je vous parle avec mon cœur et ma tête : je forme le vœu que ce programme soit couronné de succès, mais, comme vous l’avez souligné, monsieur Yung, se pose alors la question de son financement et des moyens que la France, notamment, est prête à y consacrer.

Lorsque ce programme a été lancé, j’avais rencontré M. Lamassoure, le président de la commission des budgets du Parlement européen, pour étudier avec lui les implications d’un tel projet. À cet égard, j’ai toujours fait en sorte d’associer les parlementaires membres des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat à ces rencontres, car il est temps que les élus et le pouvoir exécutif agissent de concert.

Dans un premier temps, la France doit dire ce qu’elle veut et fixer le montant des moyens financiers qu’elle est prête à engager. Dans un second temps, nous étudierons avec nos partenaires et avec les instances européennes les modalités pratiques de réalisation de ce projet.

Si je ne me trompe pas, M. Lamassoure est favorable à la création d’un impôt européen, …

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État

… afin de dégager des marges de financement. Je crois d’ailleurs savoir que certains d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ne seraient pas défavorables à une telle perspective. Les termes de ce débat, dont les enjeux sont politiques, sont les suivants : devons-nous nous en tenir à un système contributif – pour résumer, les États versent de l’argent à un pot commun – ou bien voulons-nous autoriser l’Union européenne à lever un impôt ? Ce sont là deux perspectives différentes, et je me garderai bien de trancher la question ce soir. Quoi qu’il en soit, nous devons être capables de relever les défis auxquels nous sommes confrontés.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Pozzo di Borgo

Monsieur le secrétaire d'État, il est surprenant que des termes forts tels que « commerce extérieur », « industrialisation » et même « mondialisation » soient absents de l’Agenda 2020. L’impression prévaut ainsi que de grands continents tels que l’Asie – avec la Chine et l’Inde –, l’Amérique latine ou des pays comme les États-Unis sont ignorés, ce qui paraît quelque peu surréaliste. Or la mondialisation tend précisément à faire émerger ces grands continents.

La moitié seulement des États européens sont membres de l’Union européenne. Il est donc pour le moins curieux que l’Islande soit l’unique pays du continent auquel s’intéresse la politique extérieure européenne.

En dépit des réunions régulières qui sont organisées entre l’Union européenne et la Russie, nos relations avec ce pays ne peuvent se limiter à une politique de bon voisinage : il faut aller beaucoup plus loin qu’un simple partenariat stratégique ! Ces remarques valent tout aussi bien pour l’Ukraine, la Biélorussie et les pays d’Asie centrale. Nous devons avoir conscience que ces pays sont en déshérence par rapport au continent européen. Ne nous effaçons pas devant ceux qui tendent à nous supplanter : dix ans, cela passe très vite !

En réalité, j’ai le sentiment que notre réflexion sur la stratégie 2020 nous enferme sur nous-mêmes, alors qu’il serait nécessaire de voir plus loin. L’Islande est peut-être une solution, mais elle n’est pas la seule.

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État

Monsieur le sénateur, je rappelle que, le 16 septembre prochain, se tiendra un Conseil européen consacré aux relations de l’Union européenne avec ses grands partenaires.

L’Islande n’est pas un cas anecdotique. La France est membre observateur du Conseil Arctique, où, notamment grâce à Michel Rocard, elle porte la voie de l’Europe. Au cours des dix à quinze prochaines années, cette zone deviendra hautement stratégique sur les plans de l’énergie et des transports.

J’accompagnais hier le Premier ministre dans le nord de la Norvège, où, en collaboration avec les Norvégiens et les Russes, nous allons développer le champ de Stockman, qui est essentiel pour l’équilibre énergétique de l’Europe.

L’Islande, au même titre que le Danemark et le Groenland, sont nos partenaires dans la zone arctique. Je n’oublie pas la Norvège, qui n’est pas membre de l’Union européenne. Dans la mesure où, c’est un fait, les riverains de l’Arctique aiment bien rester entre eux, a nous de trouver notre place !

Quant aux relations de l’Union avec l’Ukraine, la Moldavie, la Biélorussie et les trois pays du Caucase, elles sont régies par ce qu’on appelle le « partenariat oriental », qui fonctionne de manière satisfaisante, même si je reconnais qu’il pourrait être amélioré. Il n’en demeure pas moins que l’Europe a une vraie stratégie. Nous travaillons en étroite coordination avec les Allemands, les Britanniques, notamment sur l’Ukraine, et cela marche plutôt bien.

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État

Mais le partenariat oriental, c’est la politique commune européenne déclinée dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité de l’Union, sous la coordination de Mme Ashton, de M. Füle et des États ! En revanche, vous avez raison de regretter la présence insuffisante de l’Europe en Asie centrale, où elle ne dispose que d’un seul représentant spécial, et sans doute conviendrait-il de faire plus.

Quant à la Russie, c’est un pays ami et un partenaire de l’Union européenne.

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État

L’Europe travaille en concertation avec elle sur des sujets aussi passionnants que le devenir de Kaliningrad, enclave russe située en Europe, la coopération économique ou politique.

Ce matin encore, je recevais un dignitaire russe pour parler de l’accord UE-Russie sur la réciprocité en matière de visas.

Nous sommes prêts à aller très loin. Ainsi, voilà quelques mois, la France a refusé de considérer a priori que la Russie devait être placée sous embargo en matière d’armements. Cette position était assez courageuse tant il était difficile de la justifier auprès des États baltes et de la Pologne. Toujours est-il que l’idée d’une plus grande coopération fait son chemin, à telle enseigne que nous étudions avec nos amis russes la possibilité de remplacer leurs forces qui stationnent en Transnistrie par des forces de paix euro-russes. Je suis très confiant et je pense que nous parviendrons à une solution.

Pour autant, monsieur Pozzo di Borgo, nous ne sommes pas aveugles. La France et l’Allemagne sont pilotes dans la définition de la politique européenne à l’égard de la Russie, ce que les Russes savent parfaitement.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Monsieur le secrétaire d'État, j’ai bien conscience que la stratégie 2020 est d’une très grande importance. Néanmoins, j’aurais aimé que vous vous exprimiez sur certains autres points de l’ordre du jour du prochain Conseil européen, notamment celui qui concerne les objectifs du Millénaire pour le développement, lesquels seront ensuite soumis au sommet des Nations unies prévu le 10 septembre 2010.

Comme vous le savez, le Conseil Affaires étrangères du 14 juin dernier n’a pas repris les propositions de la Commission européenne, en ce qui concerne tant la fixation des calendriers que la mise en place des mécanismes de révision des engagements des pays. Cette attitude de retrait nous inquiète beaucoup.

Le Président de la République a promis d’augmenter l’aide publique au développement, l’APD, de la France. Comptez-vous, lors de ce prochain Conseil et lorsqu’il s’agira de définir les objectifs du millénaire pour le développement, respecter la promesse de consacrer 0, 7 % de la richesse nationale à l’APD d’ici à 2015 ? D’autres pays européens ont d’ores et déjà atteint cet objectif.

Entendez-vous officialiser cet engagement, par exemple en l’inscrivant dans une loi de programmation qui pourrait être présentée au Parlement d’ici à l’automne ?

Tout à l’heure, vous déclariez que la transparence était un impératif, ce en quoi je suis tout à fait d’accord. À cet égard, allez-vous alors soutenir la proposition d’évaluation de l’APD telle que l’a formulée la Commission européenne ?

Vous avez rapidement abordé tout à l’heure la question de la lutte contre la pauvreté. Vous nous avez expliqué que celle-ci serait intégrée dans la déclaration du Conseil européen, ajoutant que personne ne pouvait s’opposer à une telle mesure. Dans le même temps, vous vous êtes déclaré favorable à la définition de stratégies industrielles et économiques.

Monsieur le secrétaire d'État, j’aimerais que vous nous apportiez quelques précisions. Si ces stratégies industrielles consistent à introduire plus de flexibilité, une concurrence toujours plus libre et non faussée, le libre-échange, à développer les CDD, ce dont a parlé M. Chevènement, à accroître la pression sur les salaires, évoquée par Michel Billout, vous comprendrez que nous n’approuverons ni cette politique ni ces propositions. Nous préférerions que l’Europe se dote d’outils lui permettant, sur le plan social, d’aller vers le haut et non vers le bas.

Je regrette, pour conclure, que vous n’ayez pas eu le temps de nous parler d’un autre point qui sera à l’ordre du jour du Conseil, à savoir l’évaluation de la mise en œuvre du pacte européen sur l’immigration et l’asile. Cette question concerne des femmes et des hommes en grande difficulté.

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État

Madame David, dans ce modeste secrétariat d’État, il faut être omniscient tant les sujets traités sont variés. Moi aussi, j’aurais aimé que nous évoquions les questions d’immigration et d’asile, qui concernent l’Europe et nos concitoyens. Ces questions méritent un vrai débat, entre gens responsables, et ne doivent pas se réduire à l’échange de noms d’oiseaux.

Je ne peux que souscrire à votre volonté de préserver notre modèle social, sur lequel portait la seconde partie de votre question. La spécificité européenne tient à son modèle social, unique au monde. En ce moment, l’Europe est confrontée à une grave dépression à la fois démographique et économique. Notre croissance économique est douze fois inférieure à celle de la Chine et sept fois inférieure à celle de l’Inde. Dans ce domaine, avec 1, 5 point de croissance pour la France et l’Allemagne et encore moins pour les autres pays, le moins qu’on puisse dire est que nous ne faisons pas la course en tête.

Surtout, notre faible croissance démographique rend très difficile la préservation de notre modèle social. Si l’on comptait six travailleurs pour un pensionné, nous ne serions pas contraints de réformer notre système de retraite !

Tout à l’heure, M. Chevènement, que j’écoutais avec bonheur, refaisait le débat sur la ratification du traité de Maastricht. Il disait sa préférence pour les monnaies nationales, estimant que la création de la monnaie unique était une erreur. Or les pays de l’Union qui ont conservé leur monnaie nationale ne sont pas bien vaillants. Si les Islandais sont candidats à l’Union européenne, ce n’est pas un hasard ; si les Britanniques ont à cœur, bien qu’ils n’en fassent pas partie, que les pays de la zone euro solutionnent leurs problèmes, c’est qu’ils savent parfaitement qu’ils ne peuvent pas faire cavalier seul.

La Norvège, où je me trouvais hier, a beau être riche de son pétrole et de son gaz – ce pays de 4 millions d’habitants dispose d’un fonds de réserve de 400 milliards d’euros ! –, elle sait fort bien que son sort est lié à celui de la zone euro.

Si, pour vous, la solution pour lutter contre les délocalisations consiste à rétablir les monnaies nationales et à maintenir envers et contre tout un système qui n’est pas finançable, alors permettez-moi de vous dire que vous ne ferez qu’amplifier et accélérer les délocalisations.

Madame David, savez-vous combien la France compte de travailleurs frontaliers ? Ils étaient 100 000 voilà dix ans ; ils sont désormais 320 000 ! Ces travailleurs partent non pour le Vietnam ou la Chine, mais, pour la majorité d’entre eux, pour le Luxembourg et la Suisse – deux pays très riches à monnaie forte –, et également pour l’Allemagne et la Belgique. Savez-vous ce qui les motive ? Ils sont payés 50 % de plus ! Cherchez l’erreur !

Tout se joue dans la différence qui existe entre les niveaux de fiscalité et les contraintes sociales qui pèsent sur les entreprises. Libre à vous, madame, d’accroître ces contraintes et de choisir une voie solitaire vers la croissance, mais ne soyez pas étonnée du résultat ! Après tout, nous sommes en démocratie !

Pour ma part, je tiens compte des réalités. C’est pourquoi j’estime que nous devons nous engager dans une politique concertée de croissance pour aller chercher ce point de croissance qui nous manque. Et nous l’obtiendrons non pas grâce à notre démographie, mais grâce à nos spécialités technologiques, grâce à ce qui fait la force de l’Europe, sa valeur ajoutée. Il nous faut donc investir dans la recherche, dans les technologies de pointe et harmoniser autant que possible les règles fiscales et sociales pour permettre à l’industrie et à la recherche de coopérer pleinement. Tel est l’objectif d’un gouvernement économique, lequel n’est aucunement synonyme de nivellement par le bas.

En ce qui concerne le dispositif d’aide publique au développement, il a donné lieu à quelques divergences avec certains pays, notamment avec les États nordiques et la Grande-Bretagne qui souhaitaient instaurer un système triennal alors que nous manquions de la visibilité nécessaire.

L’Europe, qui produit 30 % du PIB mondial, fournit 56 % de l’APD. La contribution de la France devrait se situer au niveau intermédiaire de 0, 51 % du revenu national brut en 2010. Nous n’atteindrons donc pas l’objectif de 0, 70 %, j’en conviens, et nous ne nous inscrivons pas dans une vision triennale, mais je n’ai pas pour autant l’impression que nous soyons parmi les plus mauvais, loin de là.

J’ajoute que les fonds de l’aide publique au développement sont désormais communautarisés. Ils portent l’empreinte du drapeau européen. Et bien souvent – je le dis comme je le pense –, lorsque la France veut engager une action à titre national, parce qu’elle traverse une crise ou parce qu’elle pourrait y trouver un intérêt politique, elle ne peut plus le faire, faute d’argent. Il s’agit là d’une vraie question, qui mériterait que nous y réfléchissions ensemble.

En ce qui concerne l’après-2013, je souhaite ardemment que l’Europe puisse intervenir au nom de tous les États et qu’elle dispose ainsi d’une réelle force de frappe en matière d’aide au développement. Elle fournit la moitié de la totalité de l’aide que reçoit la Palestine, et 30 % de cette aide va à Gaza. Je considère toutefois que la France doit conserver ses propres moyens d’action.

Il faut donner un sens politique à l’aide au développement et fédérer son emploi à l’échelon européen : c’est le rôle de Mme Ashton. Sur ce point, il nous reste des progrès considérables à accomplir, madame David.

Il ne s’agit donc pas de comparer deux pourcentages – 0, 51 % versus 0, 70 % –, il faut savoir qui décide de dépenser les fonds de l’APD, de quelle manière et à quelles fins. Et croyez-moi, ce sujet mérite un vrai débat !

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

Mes chers collègues, je me dois, vous le savez, de suspendre la séance à vingt-trois heures cinquante-cinq. Je vous invite donc à un effort de concision.

La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Monsieur le secrétaire d’État, je suis surpris de vous entendre dire que je veux revenir aux monnaies nationales. Je n’ai jamais prétendu cela !

Aujourd’hui, la monnaie unique est une réalité. Je pointe simplement son vice de conception. La zone euro, hétérogène, est loin d’être optimale. L’euro lui-même est fragile et nous devons en conséquence nous préparer à faire face à toutes les hypothèses. Je ne dis rien d’autre !

À la vue de votre bilan, vous devriez faire preuve d’une plus grande humilité. J’aimerais que ceux qui sont responsables de la situation difficile que nous connaissons s’abstiennent aujourd’hui de proposer des remèdes, de monter à la tribune et de parler d’autorité, comme s’ils avaient la science infuse, parce que ce n’est pas vrai. Soyez donc un peu plus modeste !

J’ai également été surpris de vous entendre parler de l’augmentation du budget européen alors que tous les États s’efforcent de comprimer leurs budgets nationaux. Et une augmentation, pour quoi faire, et selon quelles modalités ?

Vous avez évoqué le lancement de satellites d’observation antimissiles. Mais est-ce de la compétence de l’Union européenne ? À ma connaissance, nous n’avons pas encore pris la décision de construire un bouclier antimissiles, en dépit des souhaits de M. Rasmussen, le secrétaire général de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord. Le prochain sommet de l’OTAN donnera lieu à une discussion sur le concept stratégique, mais nous ne sommes pas là dans le cadre du budget européen. Et la France ne prévoit, pour le moment, que des crédits d’études à l’horizon 2020.

Gardons à l’esprit que l’enveloppe financière est limitée, que l’on ne peut pas tout faire à la fois. Pour l’heure, la dissuasion remplit son office. Non seulement un bouclier antimissiles, placé forcément sous contrôle américain, serait onéreux, mais il serait également très aléatoire, et vous le savez aussi bien que moi. Cela ne marche pas à tous les coups, si je puis m’exprimer ainsi.

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État

Monsieur Chevènement, si j’ai mal compris ou dénaturé votre propos, je vous prie de bien vouloir m’en excuser. Vous me dites que vous êtes aujourd’hui en faveur de la monnaie unique. Dans ces conditions, tout va bien !

Par ailleurs, permettez-moi de vous rappeler que c’est Pierre Bérégovoy qui a négocié, pour la France, le traité de Maastricht. Cette œuvre, c’est donc aussi celle de la gauche. Nous l’avons reprise et continuée. Vous me dites d’être humble, mais je ne fais que reprendre cet héritage.

À l’époque, notre pays défendait la ligne d’un gouvernement économique de l’Europe. C’est le pacte de stabilité qui l’a finalement emporté et l’on en a alors moins parlé.

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État

Non, mais si vous relisez l’histoire de la négociation du traité…

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État

Beaucoup mieux, même, puisque vous y avez participé !

Vous me demandez de faire preuve d’humilité. Je ne prétends pas que ce que nous avons fait est formidable. Nous avons dû gérer la pire crise économique que nous ayons connue depuis 1929 ; selon moi, nous avons fait au mieux pour l’amortir, pour relancer l’économie. D’ailleurs, la France ne s’en sort pas si mal puisque nous avons connu une année de croissance négative proche de 2 %, contre 5 % en Allemagne et au Royaume-Uni.

Nous atteignons aujourd’hui une croissance positive de 1, 5 %, ce qui n’est pas si mauvais, mais avec des déficits importants, je l’admets, d’où les efforts que nous engageons pour les réduire.

Lorsque l’on évoque le décalage de compétitivité entre la France et l’Allemagne, il ne faut pas oublier – vous l’avez d’ailleurs rappelé – que les règles que M. Hartz présentait à M. Schröder, qui les a appliquées, en matière de compression du coût du travail, d’allongement de la durée du temps de travail, d’efforts de flexibilité, ont permis de renforcer la compétitivité de l’Allemagne sur les marchés extérieurs. En dix ans, le coût du travail a augmenté de 5 % en Allemagne contre 25 % en France, parce que nous avons connu durant cette période M. Jospin, Mme Aubry et les 35 heures. Voilà la réalité !

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Il est injuste de parler ainsi du coût du travail. Il faut aussi tenir compte de la productivité et de tout le reste !

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État

Je ne veux pas faire de politique politicienne, mais force est de constater que cela fait partie de l’héritage !

En ce qui concerne le budget, l’Europe pourrait, après 2013, décider de nourrir la politique de défense commune par des projets communs. L’Agence spatiale européenne conduit, par exemple, des programmes sur la météorologie, sur la navigation ou sur la protection de l’environnement, mais pas sur la défense. Or, l’essentiel du budget spatial américain est, vous le savez, « drivé » par la défense.

Si l’Europe veut, demain, avoir une politique de défense commune, donc d’observation satellitaire commune, d’alerte précoce en matière de frappe de missiles – je ne parle pas d’interception –, elle devra lancer des programmes communs et sans doute étendre leur financement à tous les États au lieu de ne s’appuyer que sur deux ou trois pays. Dans cette hypothèse, les crédits qui permettraient à l’Europe de se doter d’une vraie capacité de défense pourraient s’inscrire dans un budget communautaire.

Monsieur Chevènement, je n’ai pas voulu me prononcer sur l’opportunité de choisir, ou non, une telle option. Il ne s’agissait que d’un exemple. Je considère toutefois que cette question mérite d’être discutée. Je n’ai pas davantage fixé d’objectifs chiffrés. J’ai simplement dit que la représentation nationale et les partis politiques sont en droit de s’emparer de ce dossier et de décider quels crédits l’Europe doit gérer à partir de 2013, et comment.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Faute de temps, je ne poserai pas la question que j’avais préparée.

Je tiens à remercier M. le secrétaire d’État pour la qualité de ses réponses et je me félicite de l’honnêteté intellectuelle qui a présidé à ce débat.

Je me réjouis également de l’architecture de ce débat, laquelle a été décidée en conférence des présidents.

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État

J’ai eu du mal à m’y faire au début !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Mais vous vous y êtes adapté très vite ! Cette architecture est très réactive, très participative. J’observe toutefois que, si les débats préalables à un Conseil européen avaient lieu dans l’après-midi, à quinze ou seize heures, un plus grand nombre d’entre nous pourrait y participer. C’est le seul souhait que j’émettrai de nouveau en conférence des présidents.

Quoi qu’il en soit, cette journée du 15 juin est à marquer d’une pierre blanche puisque, voilà quelques heures, au Palais-Bourbon, les commissions des affaires européennes du Sénat et de l’Assemblée nationale ont pu écouter les deux ministres des affaires européennes du couple franco-allemand.

Il s’agit certes d’une politique des petits pas, mais elle nous permet de nous rapprocher, tout doucement, de la gouvernance économique dont la France a réellement besoin, et je tenais à vous en remercier, monsieur le secrétaire d’État.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

Nous en avons terminé avec le débat préalable au conseil européen des 17 et 18 juin 2010.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 16 juin 2010 :

À quatorze heures trente :

1. Débat sur les retraites.

À vingt et une heures trente :

2. Débat sur les conséquences de la tempête Xynthia.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée à vingt-trois heures cinquante-cinq.