Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous voici invités à débattre des perspectives du Conseil européen qui doit se tenir dans deux jours à Bruxelles. À son ordre du jour figurent notamment la coordination des politiques économiques, les stratégies de sortie, la réglementation et la surveillance financières, ainsi que les activités de la task force du groupe Van Rompuy. Je note que c’est un nouveau Conseil européen de crise...
La question de la régulation financière est loin d’être réglée. La question de la gouvernance économique de l’Europe, que nous avons par le passé soulevée à maintes reprises, se pose aujourd'hui avec une acuité très singulière.
J’évoquerai dans mon propos la régulation financière, les plans d’austérité, la gouvernance, ainsi que la question des moyens dont l’Europe devrait, à l’avenir, se doter en vue d’accroître sa capacité d’action et de contrôle.
S’agissant de la régulation financière, je ne peux pas mentionner l’intégralité des très nombreuses propositions que, depuis 2001-2002, j’ai formulées avec mon groupe. Depuis cette période, nous n’avons eu de cesse de réclamer une accentuation des efforts d’encadrement de la spéculation et de régulation, dans notre pays comme au niveau international, qu’il s’agisse des fonds spéculatifs, des produits dérivés, du credit default swap, le CDS, des ventes à découvert à nu, des paradis fiscaux, de la prévention des risques systémiques, de la taxe bancaire ou de la taxation des transactions financières...
Nos propositions sur ces thèmes n’ont, hélas ! guère recueilli la sympathie gouvernementale, y compris depuis le déclenchement de la crise financière, à l’été 2008.
L’intervention du Président de la République à Toulon, avec l’engagement solennel en faveur de la régulation et de la « moralisation du capitalisme », a certes marqué un changement radical du discours gouvernemental. Mais le déclaratif ne donne pas toujours lieu à une démarche active de régulation. Et, face à la gravité et à l’urgence, la machine communautaire est bien lente ! Si beaucoup d’engagements ont été annoncés, tant au niveau de l’Europe qu’à celui du G20, peu d’actions concrètes ont été menées à ce jour... Moult chantiers piétinent et restent « en souffrance », les textes négociés manquant parfois d’ambition. Par exemple, nous ne sommes pas allés au bout de la démarche sur les fonds alternatifs ou la supervision financière. Que penser de l’efficacité de la réponse européenne à la crise ?
Il est indispensable d’agir sans délai en faveur d’un meilleur contrôle démocratique du système bancaire et financier. Nous avons bien déposé au Sénat une proposition de résolution européenne, mais elle a été rejetée – vous vous en souvenez, mes chers collègues – en séance le 29 octobre dernier ! Pourtant, le contrôle global des produits et agissements financiers est plus qu’urgent. Les produits dérivés constituent l’un des éléments les plus opaques du système financier et il importe de ne pas laisser le secteur financier retourner à ses mauvaises habitudes.
L’initiative d’Angela Merkel, à laquelle s’est ralliée la France, en vue d’interdire les ventes à découvert à nu en Europe, allait dans le bon sens. Je rappelle, pour mémoire, que l’Allemagne avait été très critiquée, notamment à Paris, pour avoir pris en solo une telle initiative… Gare au double langage !
Et que dire de la position définitive arrêtée hier par la Commission européenne : « Pas d’interdiction européenne de ventes à découvert à nu » ? Cet arbitrage européen laisse perplexe. Le processus décisionnel communautaire est encore bien trop décousu...
S’agissant de la question de la taxation des banques, j’observe que les ministres des finances et les banquiers centraux du G20, dernièrement réunis à Busan, en Corée, ont botté en touche au sujet de la mise en place d’une taxe bancaire mondiale en privilégiant plutôt la consolidation budgétaire. À nos yeux, le produit de cette taxe doit nécessairement alimenter un fonds commun et ne pas être dilué dans les budgets nationaux. L’objectif global perdrait tout son sens, sinon celui d’une régulation et d’une supervision européenne intégrée.
En privilégiant la consolidation budgétaire, les ministres des finances du G20 ont, d’une certaine façon, vidé l’ordre du jour du prochain G20 de son contenu. Nous sommes très inquiets de cette dérive, car le prochain G20, à la fin juin, traitera principalement, en effet, de la rigueur budgétaire.
Le G20 va-t-il se transformer en « super-instance de contrôle » permettant aux États membres de l’Union européenne de légitimer leurs politiques de rigueur et d’assainissement budgétaire, et en se recommandant d’un accord tacite des États parties ? La question est aujourd’hui posée.
Où est la réforme du capitalisme mondial ?
On est bien loin de la combinaison croissance-consolidation préconisée lors de la déclaration du G20 à Washington...
Quant à notre pacte européen de stabilité et de croissance – j’insiste notamment sur ce dernier terme –, ne peut-on craindre aujourd’hui qu’il n’oublie le souci de la croissance pour se focaliser sur la seule rigueur budgétaire ? Attention à ne pas tuer la croissance dans l’œuf !
L’Union européenne est aujourd’hui dans une phase de doute, tout le monde s’en rend compte. Les discours vont dans le sens d’une meilleure coordination économique et politique, mais demeure la question fondamentale de la gouvernance institutionnelle européenne en situation de crise financière, économique et sociale. On observe, jour après jour, que l’Europe est à la peine et qu’elle affronte la crise en ordre dispersé.
Dans cette Europe institutionnellement confuse et désarçonnée, il va falloir sortir du conflit actuel entre méthode communautaire, d’un côté, et méthode intergouvernementale, de l’autre.
Une coordination intergouvernementale simple ne suffit plus, ainsi qu’en témoigne la réaction des marchés, en manque de confiance envers les États membres.
Hier, à Bonn, la France s’est finalement alignée sur la vision allemande de la gouvernance économique. Elle a ainsi renoncé à ce qui constituait jusqu’à présent les seules vraies positions qu’elle avait prises en la matière.
Il n’y aura donc pas de gouvernement économique de la zone euro, ni de réunions régulières de l’Eurogroupe au niveau des chefs d’État, ni de secrétariat permanent pour un gouvernement économique de la zone euro. La gouvernance économique se fera à vingt-sept États, conformément aux souhaits de l’Allemagne. L’Allemagne a toutefois concédé l’utilisation du terme « gouvernement », à la place de celui de « gouvernance »...
Sur l’aspect précis de la surveillance des finances publiques, nous considérons, pour notre part, que l’examen de l’état des finances des États membres, dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance, doit prendre en compte davantage de critères : le déficit structurel, et pas seulement le déficit courant ; la compétitivité ; l’emploi ; les politiques salariales ; la pauvreté ; les politiques d’éducation ; les investissements dans la recherche et l’innovation.
Nous pensons aussi que ce pacte doit s’appliquer de manière contracyclique, autant que faire se peut. À cet égard, une agence publique du type « Cour des comptes européenne » pourrait se charger d’évaluer l’efficacité de la dépense fiscale.
Une «Agence européenne de la dette » pourrait, quant à elle, renforcer la stabilité financière et soulager le service de la dette de chaque État.
On peut également s’interroger sur les modalités d’organisation de l’évaluation des budgets nationaux lors du « semestre européen », récemment décidée par le Conseil Ecofin.
Quelle que soit la forme du gouvernement économique européen qui sera actée, il faudra – ce point est à nos yeux essentiel – fonder sa légitimité sur l’association impérative des parlements nationaux, et ne le faire parler que d’une seule voix pour asseoir sa crédibilité. C’est un sujet, monsieur le secrétaire d’État, sur lequel nous nous interrogeons aujourd’hui tout particulièrement : cette appréciation a priori qui sera énoncée sur les budgets nationaux par l’Union européenne ou une instance d’évaluation recevra-t-elle une légitimation populaire au travers des parlements nationaux et donc, pour ce qui nous concerne, de l’Assemblée nationale et du Sénat ?
Le sommet européen de jeudi prochain devra faire la lumière sur cette réforme de la gouvernance européenne. Nous ne voudrions pas que la méthode communautaire soit d’emblée écartée. L’Union européenne n’a jamais été aussi forte que lorsqu’elle est investie d’une mission commune et que les États membres lui en délèguent la mise en œuvre.
Point n’est besoin de vous rappeler la légitimité démocratique qui doit concourir à cette réforme. Il va de soi que ce gouvernement économique européen devra être responsable devant les citoyens européens.
Du point de vue des moyens financiers, enfin, l’Europe est restée un « nain budgétaire ». Son budget 2010 équivaut au déficit de la France en 2010, à savoir 140 milliards d’euros. C’est dire à quel point les moyens d’action sont modestes !
Incontestablement, la crise a révélé les insuffisances de ce budget européen, trop limité pour être un instrument de réponse macroéconomique. L’Europe doit se doter de moyens d’action pérennes et d’une stratégie d’investissement cohérente au regard de ses ambitions.
Ce qu’il faut retenir, c’est que l’Union européenne ne s’est toujours pas dotée d’un véritable système de supervision économique et financière, ce qui nuit à la crédibilité de son intervention, voire à celle des pays de la zone euro. Des garde-fous contre les dérives du capitalisme doivent être mis en place dans la zone euro.
L’Union européenne a la chance de disposer d’un niveau d’intégration poussé qui permettrait d’agir vite, efficacement et au niveau approprié. Il est plus que temps qu’elle conçoive de façon globale – et non pas par petites touches, comme actuellement – les instruments économiques européens nécessaires au bon fonctionnement de la véritable union économique que nous appelons de nos vœux.