Intervention de Jean-Pierre Chevènement

Réunion du 15 juin 2010 à 21h30
Débat préalable au conseil européen des 17 et 18 juin 2010

Photo de Jean-Pierre ChevènementJean-Pierre Chevènement :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, Le Monde paru ce jour prête à François Mitterrand la maxime suivante : « On ne dit pas non au Chancelier de l’Allemagne. » Pour ma part, je ne l’ai jamais entendu prononcer une telle phrase…

Ce qui doit guider les dirigeants de la France, c’est évidemment l’intérêt de la France, au demeurant inséparable de l’intérêt européen. Et ils doivent aussi, bien sûr, avoir le souci des compromis, en particulier avec notre grand voisin qu’est l’Allemagne.

Hier, à Berlin, le Président de la République a accordé à Mme Merkel deux concessions majeures.

Tout d’abord, il a accepté, en contravention avec le traité existant, que le droit de vote d’un pays au sein du Conseil européen puisse être suspendu pour laxisme.

Ensuite, il a accepté que la coordination économique et budgétaire s’opère au niveau de l’Union européenne à vingt-sept et non pas au niveau des seize pays qui ont adopté la monnaie unique, alors que c’est dans cet espace que se pose le problème. En effet, les onze autres pays, ceux qui ont gardé leur monnaie, peuvent procéder à tous les ajustements monétaires qu’ils souhaitent.

Certes, la France est soumise à la pression des marchés financiers. Il est loin le temps où le général de Gaulle déclarait que « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille » !

Invité à une émission de télévision, en février 2009, le Président de la République déclarait : « J’observe tous les jours l’évolution de ce qu’on appelle les spreads, les primes de risque, sur un certain nombre de pays ».

Monnaie unique ou pas, la pression des marchés financiers recrée, non plus entre les monnaies mais entre les États, les tensions que reflétaient autrefois, avant 1999, les parités monétaires affrontées à la spéculation.

Entre nous, monsieur le secrétaire d’État, quel échec !

L’erreur initiale de la monnaie unique, conçue à Maastricht, a été de faire comme si les nations n’existaient pas, avec leurs structures économiques différentes, leurs cultures spécifiques et leurs politiques éventuellement divergentes.

La souveraineté monétaire de chaque pays a été transférée à une instance déconnectée du suffrage universel, la Banque centrale européenne, indépendante, sans qu’ait été mis en place un gouvernement économique de la zone euro dont le rôle eût été de ne pas laisser se creuser les écarts de compétitivité entre les différents pays et d’ouvrir au contraire un sentier de croissance partagé.

L’expression « gouvernement économique » semble acceptée. Mais quel en est le contenu ? Là est la question !

Le Fonds européen de stabilisation financière, mis en place le 9 mai dernier, n’est pas un remède suffisant à la crise de l’euro. J’observe en effet que, contre l’avis initial de la France, l’Allemagne a obtenu que chaque pays ne garantisse les futures levées d’argent qu’à hauteur de sa contribution au Fonds. Le refus de la solidarité financière des États pour la mise en œuvre de plans de sauvetage éventuels est une lourde faute. Un tel dispositif en cas de crise grave favorisera le creusement d’écart de taux entre les différents pays. Comme je l’ai expliqué le 3 juin dernier, lors du débat sur le projet de loi de finances rectificative, ce mécanisme sera inévitablement déstabilisateur.

À ce défaut de solidarité entre les États, s’ajoute le plan de rigueur mis en œuvre par le gouvernement allemand, le 7 juin dernier : 81 milliards d’euros d’économies sur quatre ans. Soit dit entre nous, s’il y a un pays qui, dans la zone euro, pouvait faire l’économie d’un plan de rigueur, c’était peut-être l’Allemagne… Son déficit budgétaire à 5 % du PIB tient essentiellement à la conjoncture ; il n’a rien de structurel.

Le plan allemand, venant s’ajouter aux plans de rigueur décidés simultanément presque partout dans la zone euro, et même ailleurs, va rendre la sortie de crise plus difficile.

Il va d’abord accroître la pression de la spéculation sur les enchères des dettes lancées par les autres pays, comme le manifeste déjà l’écart des taux entre l’Allemagne et la France. Certes, cet écart n’a rien de catastrophique : 50 points de base.

Il va ensuite peser sur la reprise économique, que les institutions internationales ont révisée à la baisse pour ce qui concerne la zone euro : entre 0, 2 % et 2, 2 % en 2011. Or seules la croissance et d’importantes plus-values fiscales pourraient gommer les déficits. Les réductions de dépenses n’y suffiront pas.

Enfin et surtout, comment ne pas voir que le différentiel de croissance entre l’Europe, la zone euro et les pays émergents accélérera les délocalisations industrielles ? Les entreprises vont en effet s’installer là où il y a de la croissance.

C’est dans ce contexte que va se tenir le prochain Conseil européen. Plusieurs des mesures envisagées, tels la réforme du pacte de stabilité et de croissance et le renforcement de la discipline budgétaire, vont renforcer la pression pour la mise en œuvre de plans de rigueur massifs et simultanés.

Derrière la prose, passablement amphigourique, des projets de textes soumis au Conseil, on ne discerne aucun moyen concret d’ouvrir, à l’horizon 2020, une perspective pour la croissance et pour l’emploi, en dehors de la lancinante incitation à la réforme structurelle du marché du travail. On sait ce que cela veut dire ! Il s’agit en fait d’introduire toujours plus de précarité dans le statut des travailleurs : contrats à durée déterminée, intérim, temps partiel, etc.

Sous la pression des marchés financiers, le Président de la République a annoncé une révision de la Constitution en vue d’y introduire, suivant l’exemple allemand, une disposition visant à interdire le déficit budgétaire : je doute qu’une majorité des deux tiers des parlementaires approuve l’introduction dans notre loi fondamentale d’une clause aussi rigide, qui interdirait tout ajustement ultérieur. Cette proposition, monsieur le secrétaire d’État, ressemble à un couteau sans lame auquel manquerait le manche !

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