M. Copé déclarait il y a quelques jours, si j’en crois le journal Le Monde, qu’il fallait « donner des gages aux Allemands ». Vous pourrez démentir ce propos, mais j’observe que c’est chose faite depuis hier ! Or retirer aux membres de l’Union européenne qualifiés de « laxistes » leur droit de vote au Conseil des ministres est un acte antidémocratique, blessant pour toutes les nations européennes et, d’ailleurs, contraire au texte des traités. Pour réformer ceux-ci, il faudrait l’unanimité. Encore une fois, le Président de la République agite un sabre de bois ! Certes, on doit changer les règles du jeu dans la zone euro, mais pas en transformant l’Union européenne en chiourme !
Toujours dans la même veine, M. Trichet a proposé un « fédéralisme budgétaire », qui priverait les parlements nationaux de leur prérogative essentielle, le vote du budget de la nation. Ce n’est pas ainsi, monsieur le secrétaire d’État, qu’on remédiera au déficit démocratique des institutions européennes ! Certes, M. Van Rompuy a tempéré ces propos : il ne s’agirait, selon lui, que d’« examiner les hypothèses retenues, les recettes et les dépenses, sans entrer dans les détails ». Mais c’est encore trop !
S’il est évident qu’une coordination des politiques économiques dans leur ensemble, et pas seulement des politiques budgétaires, est nécessaire, se pose déjà la question du cadre : doit-elle être envisagée à vingt-sept, au niveau de l’Union, ou à seize, au niveau de la seule zone euro ? La réponse tombe sous le sens : il s’agit de donner une tête politique à l’euro. C’est donc au niveau de l’Eurogroupe que cette coordination indispensable devrait s’effectuer, et non pas au niveau de l’Europe des Vingt-Sept, comme M. Sarkozy l’a accepté hier à Berlin.
Bien sûr, on ne peut réviser les traités européens qu’à vingt-sept, mais là n’est pas la priorité. On peut inventer en dehors des traités, et ceux-ci peuvent être interprétés intelligemment ; ils prévoient d’ailleurs des coopérations renforcées. Quant à l’Eurogroupe, il n’a pas à être inventé : il existe !
Les questions de mots ont leur importance : gouvernance ou gouvernement économique ? L’essentiel est le contenu. Nous entendons trop parler de sanctions, et même de sanctions préventives. Soyons sérieux : la répression ne doit pas être confondue avec la prévention, tous les ministres de l’intérieur vous le diront ! Quant au pacte de stabilité, il a démontré son inadéquation dans le cas de l’Espagne, qui satisfaisait à tous les critères de Maastricht, ce qui ne l’a pas empêchée de sombrer.
Il serait donc raisonnable d’envisager un processus itératif : le Conseil européen approuverait, sur proposition de la Commission, un cadre général de prévisions macroéconomiques, éventuellement ventilées par pays. Il reviendrait aux parlements nationaux de délibérer et d’établir une programmation, d’ailleurs révisable, des recettes et des dépenses. En cas de désaccord, le Conseil européen chercherait à dégager un compromis, à charge pour le gouvernement concerné de le faire ratifier par son parlement. Il s’agirait ainsi d’un document de programmation concernant l’évolution de l’économie dans son ensemble, aussi bien que celle des finances publiques. Les parlements continueraient, dans ce cadre, à voter le budget.
La vraie question est de savoir si le gouvernement allemand infléchira sa politique en relâchant la pression qu’il exerce, notamment, sur l’évolution des normes salariales. Sans doute me répondra-t-on que c’est là l’affaire du patronat et des syndicats. Mais j’observe que, à partir de l’an 2000, le chancelier Schröder a déployé une grande énergie, à travers le plan Agenda 2010 ou les plans Hartz, du nom de son conseiller économique, pour opérer une certaine déflation salariale et faire en sorte que les travailleurs allemands acceptent de travailler plus longtemps pour le même salaire.
De même, la Banque centrale européenne devrait être encouragée à ouvrir davantage le robinet monétaire, en prenant en pension, en cas de besoin manifeste, les titres d’emprunt d’État de façon à stopper la spéculation : ce serait un véritable mécanisme de solidarité européenne défensive. Sur ce sujet, il est important qu’un accord intervienne entre la France et l’Allemagne avant le remplacement de M. Trichet à la tête de la BCE.
La cohésion franco-allemande est nécessaire, j’en suis tout à fait conscient, autant que vous tous. Elle ne peut cependant se résumer à l’alignement d’un pays sur un autre. L’amitié va avec la franchise, celle-ci devant toujours s’exprimer avec le respect qu’inspire un grand peuple dont les réussites nous réjouissent. L’Europe a besoin de l’Allemagne, mais, comme le suggérait déjà Wilhelm Röpke en 1945, l’Europe doit aussi protéger l’Allemagne contre les tentations qui naissent de la conscience de son mérite, à ses yeux insuffisamment reconnu par les autres.
Un grand patron allemand, M. Gerhard Cromme, a déclaré le 1er juin dernier à Paris : « Les Allemands doivent prendre les Français comme ils sont, et réciproquement. On ne les changera pas. Et ce sont précisément ces différences qui rendent notre coopération unique et notre capacité à faire des compromis si importante. » M. Cromme a vanté, à juste titre, la compétitivité allemande, car elle nous est effectivement nécessaire. Mais il a omis de mentionner le fait que l’excédent commercial allemand se réalise à 60 % avec la zone euro… Ce sont là des vérités qui méritent d’être dites, sans que cela ne nous écorche les lèvres !