Monsieur le président, tous les débats ne se sont pas déroulés ainsi. Au demeurant, ma remarque, que j’ai formulée très respectueusement et à titre amical, n’était en aucun cas une remontrance envers qui que ce soit ; j’ai beaucoup trop de respect pour le Parlement pour qu’il puisse en être autrement.
Simplement, je me permets de faire une suggestion : dans un débat de ce type, le Gouvernement devrait pouvoir exposer sa position avant que nous ayons, ensuite, le temps d’engager un vrai débat. Je vais m’efforcer de faire les deux à la fois, et je prie à l’avance les orateurs de me pardonner si je ne fais pas justice à tous leurs arguments.
Le Conseil européen, qui débutera jeudi prochain, aura, comme vous le savez, un agenda particulièrement chargé. Il sera, si j’ose dire, sous les feux des projecteurs ! À quelques jours du prochain sommet du G20 à Toronto, nos partenaires internationaux, seront en effet très attentifs à ses conclusions. Ce que nous appelons pudiquement les marchés, c’est-à-dire à la fois ceux qui spéculent et ceux qui prêtent aux États, les fonds de pensions en particulier, auront également les yeux braqués sur nous.
Après tous les événements que nous avons vécus depuis six mois et dans le prolongement de l’accord franco-allemand qui est intervenu hier soir, je veux croire que ce Conseil marquera un vrai retour de l’Europe, à la fois en termes de stabilité pour la zone euro, d’adoption de quelques lignes fortes, nécessaires à la croissance et à la sortie de crise et, surtout, en termes de promotion d’un certain nombre d’idées maîtresses en vue de la réorganisation du système financier mondial.
Vous savez qu’un plan d’ampleur historique a été adopté il y a un mois afin de sauver la zone euro. Ce dont il a été question hier, et dont il sera question jeudi et vendredi, c’est de compléter ce plan par une série de règles – vous en avez tous beaucoup parlé –, pour essayer de mieux organiser la zone euro à la lumière de la crise économique et financière actuelle.
Le Conseil abordera également la question du climat. J’évoquerai brièvement ce que nous appelons le mécanisme d’inclusion carbone, autrement dit « la taxe carbone aux frontières ».
Il sera aussi question de l’Islande et des événements en Iran, après l’adoption de la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.
Le Conseil traitera également de la perspective d’entrée dans la zone euro de l’Estonie au 1er janvier 2011.
Enfin, il devrait adopter la décision convoquant une conférence intergouvernementale, en vue de permettre la désignation au Parlement européen de dix-huit membres supplémentaires jusqu’au terme de la mandature 2009-2014, dont deux pour la France.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il ne me sera pas possible, vous le comprenez bien, d’entrer dans le détail de tous ces points.
Je commencerai en évoquant la situation économique et financière européenne.
Permettez-moi, au préalable, comme l’ont fait la plupart des intervenants, notamment M. le président Bizet, mais aussi MM. Chevènement, Marc et Bernard-Reymond, d’insister sur l’importance stratégique du couple franco-allemand au regard à la fois de tout ce que nous avons vécu depuis le début de cette crise et, je l’espère, des solutions que nous sommes en train d’y apporter.
À mon tour, je tiens à souligner l’exceptionnelle qualité de la relation qui lie la France à l’Allemagne, sa densité, mais aussi les difficultés qui la caractérisent. M. Bizet, comme M. Chevènement, a souligné fort justement que ces deux pays très différents parvenaient à transcender leurs différences pour élaborer, au nom de l’intérêt général européen, des politiques communes.
Je prendrai trois exemples concrets pour illustrer l’importance de cette relation.
C’est grâce à l’impulsion conjointe du Président de la République et de la Chancelière qu’ont été définis, dans la nuit du 7 au 8 mai dernier, les lignes du plan de sauvetage historique de la zone euro, composé de deux volets sur le plan européen et finalisé le dimanche 9 mai par le Conseil ECOFIN.
Comme vous le savez, le premier volet de ce mécanisme a été créé conformément à l’article 122-2 du traité européen, lequel prévoit que, « lorsqu’un État membre connaît des difficultés ou une menace sérieuse de graves difficultés, en raison de catastrophes naturelles ou d’événements exceptionnels échappant à son contrôle, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut accorder, sous certaines conditions, une assistance financière de l’Union à l’État membre concerné ». Puisque nous étions dans une telle situation 60 milliards d’euros ont été mobilisés dans le cadre de ce premier volet.
Le second volet, lui, est beaucoup plus nouveau. Il s’est agi de créer une facilité de soutien, en réalité des concours, des garanties nationales, qui ont été votés par les parlements – et j’en remercie les sénateurs ici présents –, à hauteur de 440 milliards d’euros.
S’agissant aussi bien du mécanisme de l’article 122-2 que du second volet, ou, précédemment, du soutien à la Grèce, la moitié de l’argent européen prêté est allemand et français. C’est dire à quel point nos deux pays ont travaillé en commun pour réunir ces facilités financières à un moment capital.
Vous le savez, les deux volets ont été complétés par une intervention très importante du FMI, à hauteur de 250 milliards d’euros. Enfin, la Banque centrale européenne a, en accompagnement de ce plan, décidé de procéder, ce qui est, là encore, une décision sans précédent, aux achats d’obligations de dettes souveraines sur le marché secondaire.
Le mécanisme de stabilisation ainsi mis en place est très nouveau sur le plan politique, car, jusqu’à présent, même si nous avions une monnaie unique, le dispositif reposait sur le principe selon lequel chaque État était seul responsable de ses comptes et du financement de ses dettes. Nous avons donc, par des concours bilatéraux, s’agissant de la partie la plus importante du mécanisme, presque mis en œuvre – je vais faire bondir M. Chevènement ! – l’article 5 du traité de l’Atlantique nord, qui a institué le mécanisme de sécurité collective suivant : lorsqu’un État est attaqué, il existe un fonds de garantie pour lui venir en aide.
Il s’agit, certes, de garanties bilatérales votées par les parlements, mais les sommes en jeu sont considérables ; dans le cas de la France, par exemple, elles dépassent l’effort d’assainissement des finances publiques que nous devons faire d’ici à 2013.
Ce plan est la concrétisation, sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne, d’un principe fondamental que nous, Français, quelle que soit notre appartenance politique, avions voulu, celui de la solidarité avec les autres membres de la zone euro, combiné à un principe de responsabilité dans la gestion des deniers publics.
Un deuxième exemple du caractère très important de la relation franco-allemande nous a été donné hier soir, lorsque nos deux pays se sont mis d’accord sur des mécanismes qui viennent compléter le plan institutionnel. J’y reviendrai.
Je citerai un troisième exemple, plus modeste, mais tout de même très significatif. Aujourd'hui – et je me souviens comme vous tous de ce qui s’est passé il y a soixante-dix ans aux alentours du 15 juin –, un représentant du gouvernement français et un représentant du gouvernement allemand étaient présents, ensemble, à l’Assemblée nationale, pour évoquer devant des sénateurs et des députés l’avenir de l’Europe. Le ministre adjoint des affaires étrangères allemand et moi-même étions en effet entendus par les commissions des affaires européennes des deux assemblées. C’est la première fois qu’une telle audition conjointe est réalisée, ce qui constitue un progrès tout à fait considérable.
Cela faisait partie – et je remercie M. Bizet de l’avoir noté – des quatre-vingts propositions sur lesquelles nous avions travaillé avec mon collègue allemand. Je souligne au passage que, ce matin, nous avons visité ensemble l’Agence spatiale européenne. Il est aussi à noter que la moitié de l’effort spatial de l’Europe est franco-allemand. C’est dire que, à chaque fois, le rôle de nos deux pays est très important.
Sur la situation économique et financière européenne, permettez-moi d’aborder rapidement quatre volets, que vous avez tous, les uns et les autres, également évoqués.
Le premier est la nécessité du retour à l’équilibre des finances publiques. Ce n’est pas une « purge », pour reprendre le terme utilisé par M. Chevènement tout à l’heure ; ce n’est pas non plus une volonté de « casser » la croissance, bien au contraire.
Dans son projet de déclaration, le Conseil européen rappelle « la détermination des États membres à assurer la soutenabilité budgétaire […] pour préserver la crédibilité de la stratégie de sortie de crise ». Selon lui, « il est de la plus haute importance que les cibles en matière budgétaire soient atteintes sans délai ». Autrement dit, les États membres ne peuvent pas afficher des déficits publics qui soient incompatibles avec leur crédibilité sur la scène internationale. Nous sommes des États débiteurs, nous devons faire attention à nos dépenses. C’est aussi simple que cela.
La soutenabilité des dépenses publiques s’impose aussi à la France, et ce à un double titre.
Sur le plan national, d'une part, les mesures prises dans le cadre du plan de mobilisation contre la crise ont été conçues à l’origine comme des mesures d’ajustement à la crise. Nous maintenons les investissements du grand emprunt. Nous préparons la croissance de l’avenir, mais rappelons-nous ce qu’a dit le Président de la République : « Le déficit ne peut en effet pas raisonnablement rester à son niveau de sortie de crise sans constituer une menace pour la croissance future. L’arrêt progressif des mesures de soutien en 2010 et la réduction du déficit à partir de 2011 ne constituent donc ni une nouveauté ni un problème si l’on souhaite garantir une croissance durable et soutenable. »
Nous avons subi, l’an dernier, une dépression très rude, que nous avons amortie par des plans de soutien. Il s’agit maintenant de sortir de la crise, mais nous ne pourrons le faire en conservant des déficits aussi élevés, à hauteur de 8 % du PIB. Il est donc raisonnable de soutenir la croissance en prenant garde à nos dépenses et en recherchant des économies.
Voilà ce qui est décidé ; on est donc loin d’une purge, d’un plan d’austérité ou de je ne sais quelle tentative de casser la croissance et de punir l’économie française !
Sur le plan européen, d'autre part, une discipline commune en matière de dépenses publiques est absolument indispensable pour éviter la résurgence des déséquilibres ayant mené à la crise grecque. Les budgets doivent être mieux gérés, dans la transparence, avec le souci de réduction des dépenses publiques. Il importe de faire prévaloir le principe de responsabilité.
Il a fallu plusieurs mois pour arriver à cette position. Soyons clairs, il n’est pas question de continuer à donner de fausses statistiques, de laisser filer les déficits en pensant que d’autres paieront. Les membres au train de vie le plus dispendieux ne peuvent plus escompter se trouver en mesure, par le biais d’une sorte de carte bancaire magique dont ils auraient le code secret, de tirer autant d’argent que nécessaire sur le budget des États les plus nantis. La zone euro implique un minimum de bonnes pratiques budgétaires ; c’est le corollaire – j’y insiste – des mesures de solidarité qui ont été adoptées au cours du mois écoulé.
La transparence est donc un devoir. De ce point de vue, l’Allemagne, comme vous le savez, a introduit un mécanisme de limitation des déficits dans sa loi fondamentale – 0, 35 % du PIB en 2016 –, lequel, je le sais, a suscité un certain nombre de critiques en France. Le Président de la République a évoqué l’idée d’inscrire dans notre Constitution une règle qui obligerait, en début de législature, à fixer un cadre visant à l’équilibre et, donc, à dire les choses devant le peuple.
Monsieur Chevènement, vous avez comparé cela, dans votre style toujours très évocateur, à un couteau sans lame auquel il manquerait le manche : quelle image !