Je ne sais pas si vous voulez garder la lame ou le manche ; peu importe, enlevons les couteaux, parlons simplement de pédagogie et traitons nos concitoyens comme des adultes ! Quel que soit, en fonction des alternances, le gouvernement en place, celui-ci doit s’engager à présenter des comptes transparents et, si possible, équilibrés, parce qu’il y va aussi des règles communes, de la monnaie commune dont nous nous sommes dotés. En tout état de cause, sachez que je saurai résister à la tentation de refaire avec vous le débat sur Maastricht qui a eu lieu voilà une dizaine d’années !
Au travers des mesures qu’elles ont décidées, la France et l’Allemagne ont montré l’exemple au reste de la zone euro, en envoyant un signal fort aux marchés quant à leur engagement à réduire les déficits. Je le répète, notre pays sera au rendez-vous de ses obligations européennes, qui lui imposent de revenir à un déficit public de 6 % du PIB en 2011, de 4, 6 % en 2012 et de 3 % en 2013.
Pour atteindre cet objectif ambitieux, le Gouvernement a été très clair sur la méthode. Nous n’augmenterons pas les impôts, car nous ne voulons pas « casser » la croissance et tuer le malade en essayant de le guérir ! Nous allons nous attacher à maîtriser la dépense publique : notre objectif est de baisser les dépenses de 45 milliards d’euros dans les trois prochaines années, grâce à la réduction des niches fiscales, à la réforme des retraites et à l’effort de gel en valeur de l’ensemble des dépenses de l’État et des collectivités locales.
Ces mesures seront difficiles, mais nous sommes résolus à les mettre en œuvre pour consolider le retour de la croissance, aussi modérée soit-elle. Nous espérons que cette remontée des recettes, couplée à la réduction des dépenses des collectivités locales et des comptes sociaux, nous permettra de remplir l’objectif de 100 milliards d’euros d’économies d’ici à 2013.
La Commission, qui examinait aujourd’hui même le programme de stabilité français, a considéré que les réformes engagées allaient dans le bon sens et méritaient d’être soutenues. Cette stratégie est parfaitement en ligne avec le projet de conclusions du Conseil européen, qui précisera jeudi que « la priorité devrait être donnée aux stratégies de consolidation budgétaire favorables à la croissance, principalement centrées sur la maîtrise des dépenses ».
À ce sujet, j’ai bien entendu les remarques formulées, notamment de la part de M. Marc, tant il est vrai que l’accumulation de plans de rigueur sans coordination risque de poser problème. C’est d’ailleurs l’argument qui justifie la mise en place d’un gouvernement économique de l’Europe ainsi que la nécessité d’assainir les comptes et de veiller à maintenir le feu de la croissance. Nous sommes extrêmement conscients qu’il faudra pour cela effectuer un pilotage très fin.
Le deuxième volet est justement constitué par l’instauration d’un véritable gouvernement économique européen. De nombreux orateurs ont évoqué ce soir les moyens à envisager pour l’organiser. Parmi eux, certains ont été, et cela m’a fait sourire, très « sarkozystes » en estimant que la seule et bonne solution est l’Eurozone à seize.
Je voudrais leur faire remarquer que, voilà encore quelques mois, la notion de « gouvernement économique » n’était absolument pas acceptée par nos partenaires allemands, qui s’en tenaient au pacte de stabilité et refusaient notamment les critères envisagés, les règles de gestion budgétaire, ainsi que la coordination des politiques macroéconomiques et fiscales. L’Allemagne a timidement adopté le principe d’un gouvernement économique le 4 février dernier lors du Conseil des ministres franco-allemand ; elle le reconnaît aujourd’hui pleinement.
Quant à savoir si tout doit être réglé à seize ou à vingt-sept, je voudrais rappeler que l’Eurogroupe ne figure pas dans le traité, mais qu’il est seulement mentionné en annexe. Seul le système à vingt-sept est reconnu par le traité. Créer ex nihilo une autre institution, comme nous y avons pensé, avait certes ses avantages, mais cela impliquait un exercice institutionnel nouveau. En l’état actuel, nous avons un président stable de l’Union, des institutions et un cadre qui n’interdit pas de se réunir, si cela est nécessaire, à seize. Voilà le compromis pragmatique qui a été conclu hier entre le Président de la République et la Chancelière et qui devrait nous permettre d’avancer.
D’aucuns ont avancé l’idée selon laquelle des pays pourront continuer de dévaluer – sous-entendu, de faire n’importe quoi. Mais c’est mal connaître l’état des tensions internationales en la matière ! Je doute fort que certains de nos partenaires extérieurs à la zone euro se plaisent à laisser filer leur monnaie. Bien au contraire, leur intérêt est de rester le plus proche possible de la zone euro. Tel est, en tout cas, le discours que j’entends à Stockholm, à Oslo, où j’étais encore hier, voire à Londres. Chaque pays a intérêt à ce que la zone euro reste solide et à laisser sa monnaie amarrée à l’ensemble européen. Il est donc logique d’agir à vingt-sept.
Sur les compétences et le mode de fonctionnement du gouvernement économique, le groupe de travail présidé par Herman Van Rompuy a permis d’avancer de façon très substantielle sur la reconnaissance de certains principes.
Le premier concerne le renforcement du volet préventif du pacte de stabilité, avec un dispositif de sanctions. Cette question a également été évoquée par de nombreux orateurs ce soir. Faut-il s’en tenir à des sanctions financières ou prévoir d’autres mesures ? Lorsqu’un pays est en crise ou en faillite, l’ajout d’une pénalité financière sert-il vraiment à quelque chose ?
En cas de violation répétée des règles de bonne gestion budgétaire qui engagent tous les États, puisqu’ils partagent la même monnaie, il y a sur la table la garantie des autres contribuables. Ne devrait-on pas être en droit de dire que ceux qui se comportent ainsi de façon répétée perdront leurs droits de vote ? Je suis conscient des problèmes politiques et constitutionnels que pose cette question. Nous devons ouvrir le débat sur la responsabilisation de chacun.
À l’intérieur d’une même zone monétaire, certains mettent des garanties sur la table : le but est qu’elles ne servent pas. Quand vous vous portez caution pour un tiers, un enfant ou un ami, pour l’achat ou la location d’un bien, vous le faites par solidarité en espérant ne pas être appelé. Pour cela, vous êtes en droit d’exiger que le comportement de la personne soit conforme à l’intérêt du groupe.
Telle est l’idée qui sous-tend la sanction de nature politique. Il ne sert strictement à rien de se faire « manger » sa caution et d’ajouter une pénalité financière. C’est d’ailleurs le système qui existait depuis 2004 et qui, nous le savons tous, n’a jamais été mis en œuvre.
Je ne prétends pas que nous détenions la vérité à ce stade, mais la France et l’Allemagne ont choisi une direction qu’elles entendent soumettre au Conseil pour réflexion. Le débat, je le répète, doit être ouvert, même si la situation est compliquée sur les plans juridique et constitutionnel.
Le deuxième principe porte sur une meilleure surveillance des niveaux d’endettement et de leur dynamique.
Le troisième est relatif au renforcement de la surveillance des budgets nationaux, dans le respect des obligations constitutionnelles. MM. Billout et Bernard-Reymond ont défendu des thèses rigoureusement inverses, l’un proposant d’aller vers davantage de fédéralisme, l’autre considérant qu’une telle évolution constituerait un viol de l’article xiv de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. La vérité se situe sans nul doute quelque part entre ces deux extrêmes !
En fidèles lecteurs de Molière, nous cherchons le juste milieu. Le respect des obligations constitutionnelles de chaque État membre doit conduire à ce que les orientations budgétaires soient discutées entre les chefs d’État, et non à la Commission, et votées par les parlements nationaux. Mais il faut bien, pour assurer le respect des garanties fixées sur le plan économique, permettre à chaque enceinte politique légitime d’examiner le budget des autres, faute de quoi l’opinion publique ne nous comprendrait plus. En effet, cela reviendrait à dire que les coffres sont grands ouverts et que chacun peut venir se servir, quels que soient les efforts fournis pour assainir les comptes de la République !
Le quatrième principe a trait à l’amélioration de la qualité des statistiques nationales.
Le cinquième, ô combien important, porte sur la prise en compte des facteurs de compétitivité dans l’examen des politiques économiques. Dans le cas de l’Espagne, les chiffres affichés du déficit dissimulaient une bulle financière.
Le rapport final du groupe de travail est attendu pour le Conseil européen d’octobre, mais, en attendant, celui qui s’ouvre dans deux jours adoptera la nouvelle stratégie Europe 2020 de croissance, sur laquelle il y aurait beaucoup à dire. Le texte vaut ce qu’il vaut, avec ses nombreux objectifs, ses grandes déclarations et son jargon.
Nous, Français et Allemands, ce que nous voulons désormais, c’est faire reconnaître la contribution à la stratégie économique européenne de toutes les politiques communes, y compris, j’insiste sur ce point, la politique agricole commune.