Intervention de Pierre Lellouche

Réunion du 15 juin 2010 à 21h30
Débat préalable au conseil européen des 17 et 18 juin 2010 — Débat interactif et spontané

Pierre Lellouche, secrétaire d'État :

Madame David, dans ce modeste secrétariat d’État, il faut être omniscient tant les sujets traités sont variés. Moi aussi, j’aurais aimé que nous évoquions les questions d’immigration et d’asile, qui concernent l’Europe et nos concitoyens. Ces questions méritent un vrai débat, entre gens responsables, et ne doivent pas se réduire à l’échange de noms d’oiseaux.

Je ne peux que souscrire à votre volonté de préserver notre modèle social, sur lequel portait la seconde partie de votre question. La spécificité européenne tient à son modèle social, unique au monde. En ce moment, l’Europe est confrontée à une grave dépression à la fois démographique et économique. Notre croissance économique est douze fois inférieure à celle de la Chine et sept fois inférieure à celle de l’Inde. Dans ce domaine, avec 1, 5 point de croissance pour la France et l’Allemagne et encore moins pour les autres pays, le moins qu’on puisse dire est que nous ne faisons pas la course en tête.

Surtout, notre faible croissance démographique rend très difficile la préservation de notre modèle social. Si l’on comptait six travailleurs pour un pensionné, nous ne serions pas contraints de réformer notre système de retraite !

Tout à l’heure, M. Chevènement, que j’écoutais avec bonheur, refaisait le débat sur la ratification du traité de Maastricht. Il disait sa préférence pour les monnaies nationales, estimant que la création de la monnaie unique était une erreur. Or les pays de l’Union qui ont conservé leur monnaie nationale ne sont pas bien vaillants. Si les Islandais sont candidats à l’Union européenne, ce n’est pas un hasard ; si les Britanniques ont à cœur, bien qu’ils n’en fassent pas partie, que les pays de la zone euro solutionnent leurs problèmes, c’est qu’ils savent parfaitement qu’ils ne peuvent pas faire cavalier seul.

La Norvège, où je me trouvais hier, a beau être riche de son pétrole et de son gaz – ce pays de 4 millions d’habitants dispose d’un fonds de réserve de 400 milliards d’euros ! –, elle sait fort bien que son sort est lié à celui de la zone euro.

Si, pour vous, la solution pour lutter contre les délocalisations consiste à rétablir les monnaies nationales et à maintenir envers et contre tout un système qui n’est pas finançable, alors permettez-moi de vous dire que vous ne ferez qu’amplifier et accélérer les délocalisations.

Madame David, savez-vous combien la France compte de travailleurs frontaliers ? Ils étaient 100 000 voilà dix ans ; ils sont désormais 320 000 ! Ces travailleurs partent non pour le Vietnam ou la Chine, mais, pour la majorité d’entre eux, pour le Luxembourg et la Suisse – deux pays très riches à monnaie forte –, et également pour l’Allemagne et la Belgique. Savez-vous ce qui les motive ? Ils sont payés 50 % de plus ! Cherchez l’erreur !

Tout se joue dans la différence qui existe entre les niveaux de fiscalité et les contraintes sociales qui pèsent sur les entreprises. Libre à vous, madame, d’accroître ces contraintes et de choisir une voie solitaire vers la croissance, mais ne soyez pas étonnée du résultat ! Après tout, nous sommes en démocratie !

Pour ma part, je tiens compte des réalités. C’est pourquoi j’estime que nous devons nous engager dans une politique concertée de croissance pour aller chercher ce point de croissance qui nous manque. Et nous l’obtiendrons non pas grâce à notre démographie, mais grâce à nos spécialités technologiques, grâce à ce qui fait la force de l’Europe, sa valeur ajoutée. Il nous faut donc investir dans la recherche, dans les technologies de pointe et harmoniser autant que possible les règles fiscales et sociales pour permettre à l’industrie et à la recherche de coopérer pleinement. Tel est l’objectif d’un gouvernement économique, lequel n’est aucunement synonyme de nivellement par le bas.

En ce qui concerne le dispositif d’aide publique au développement, il a donné lieu à quelques divergences avec certains pays, notamment avec les États nordiques et la Grande-Bretagne qui souhaitaient instaurer un système triennal alors que nous manquions de la visibilité nécessaire.

L’Europe, qui produit 30 % du PIB mondial, fournit 56 % de l’APD. La contribution de la France devrait se situer au niveau intermédiaire de 0, 51 % du revenu national brut en 2010. Nous n’atteindrons donc pas l’objectif de 0, 70 %, j’en conviens, et nous ne nous inscrivons pas dans une vision triennale, mais je n’ai pas pour autant l’impression que nous soyons parmi les plus mauvais, loin de là.

J’ajoute que les fonds de l’aide publique au développement sont désormais communautarisés. Ils portent l’empreinte du drapeau européen. Et bien souvent – je le dis comme je le pense –, lorsque la France veut engager une action à titre national, parce qu’elle traverse une crise ou parce qu’elle pourrait y trouver un intérêt politique, elle ne peut plus le faire, faute d’argent. Il s’agit là d’une vraie question, qui mériterait que nous y réfléchissions ensemble.

En ce qui concerne l’après-2013, je souhaite ardemment que l’Europe puisse intervenir au nom de tous les États et qu’elle dispose ainsi d’une réelle force de frappe en matière d’aide au développement. Elle fournit la moitié de la totalité de l’aide que reçoit la Palestine, et 30 % de cette aide va à Gaza. Je considère toutefois que la France doit conserver ses propres moyens d’action.

Il faut donner un sens politique à l’aide au développement et fédérer son emploi à l’échelon européen : c’est le rôle de Mme Ashton. Sur ce point, il nous reste des progrès considérables à accomplir, madame David.

Il ne s’agit donc pas de comparer deux pourcentages – 0, 51 % versus 0, 70 % –, il faut savoir qui décide de dépenser les fonds de l’APD, de quelle manière et à quelles fins. Et croyez-moi, ce sujet mérite un vrai débat !

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