L'action extérieure, inégale, lacunaire, ne révèle pas toujours - c'est une litote - une stratégie politique des États européens.
La sécurité et la défense sont encore balbutiantes pour des raisons que nous pouvons, nous Français, bien comprendre.
Au total, j'observe - ce n'est qu'un constat - que le budget européen oscille entre deux extrêmes.
D'un côté, pour nombre d'entre nous - et nous ne faisons que traduire le sentiment de nos concitoyens -, cette procédure est peu lisible et très technocratique. Comme l'a souligné Denis Badré, ce budget présente un caractère contradictoire dans la mesure où les recettes sont votées par les parlements nationaux, tandis que les dépenses sont votées par le Parlement européen.
De l'autre côté, le budget européen est perçu comme répondant à une logique de guichet, voire de tiroir-caisse, pour certaines catégories ciblées, certaines zones territoriales, certains États ou certaines régions. On peut comprendre ce droit à émarger à des fonds structurels, mais il développe tout naturellement de nouveaux clientélismes qui sont loin de converger, me semble-t-il, vers l'intérêt général européen.
Ces considérations me conduisent à aborder la place très substantielle, à mon sens, que doivent avoir, dans ce dispositif, les nouveaux États membres.
L'euphorie de l'adhésion étant passée, bien des difficultés se font jour. Chacun des nouveaux États membres semble vivre une sorte de déprime post-adhésion ; la Hongrie en est sûrement la meilleure illustration. Les pays ont concentré leurs efforts pour atteindre un objectif particulièrement difficile et ont dû faire de lourds sacrifices. L'objectif atteint, le corps social se rend compte qu'il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.
Certes, le tableau est contrasté. Les nouveaux États adhérents ont le mérite de nous faire redécouvrir, en quelque sorte, l'Europe, une Europe où les petits États ont leur place aux côtés des poids lourds ou des poids moyens ; une Europe où il faut savoir conclure des alliances, parvenir à des convergences et où, sur tel dossier, l'opinion de l'Estonie est aussi importante que celle de l'Allemagne, celle de la Slovénie aussi importante que celle de l'Espagne.
C'est une redécouverte de l'Europe, surtout pour nous, Français, qui en avons bien besoin, car nous sommes trop souvent tournés vers nous-mêmes, notre nombril, nos catégories, nos propres clientèles, nos guichets, nos dégrèvements, nos déductions ; pardonnez-moi de citer des thèmes du projet de loi de finances qui me sont chers
Des satisfactions doivent aussi être exprimées au titre de cet élargissement de l'Europe. Ainsi, la Slovénie - le bon élève du dernier élargissement - est le premier pays de cette zone de l'Europe à pratiquer l'euro. La Slovaquie, malgré une vie politique très contrastée, présente des performances excellentes sur la durée et doit parvenir à résoudre ses contradictions.
À l'inverse, la Hongrie, perçue de longue date comme l'État ayant fait le plus de chemin pour réintégrer l'Europe, se révèle comme un pays où les gouvernants n'osent pas dire la vérité aux gouvernés ou, plus exactement, où ils ne la disent qu'une fois les élections passées, ce qui est quand même une singulière pratique de la démocratie.
Grâce à l'élargissement, l'Europe centrale est un révélateur. Je vous conseille, mes chers collègues - mais beaucoup d'entre vous le savent puisqu'ils font partie de groupes d'amitié liant la France avec l'un ou l'autre de ces pays - de mieux les connaître, car nous y trouvons toutes les ressources multiséculaires de la culture européenne et, en même temps, le creuset des contradictions qu'aujourd'hui ces pays partagent avec nous.
Tout récemment, alors que j'étais en visite à Bucarest, capitale de l'un des deux États qui vont entrer dans l'Union européenne le 1er janvier 2007, j'ai été particulièrement frappé, d'une part, par l'avancée économique réelle et rapide de ce pays et, d'autre part, par les particularités de la société politique qui, dans ses subtilités, ses alliances, n'a rien à nous envier et n'a même rien à envier à nos anciennes républiques.
Mais, surtout, la Roumanie est le seul État d'une certaine dimension où a été réellement expérimentée ce qu'on appelle la « flat tax », c'est-à-dire la baisse des taux de tous les impôts sur les revenus avec, en contrepartie, une réduction de l'économie parallèle qui permet un accroissement très substantiel des recettes fiscales.
Cet exemple n'est pas transposable. Toutefois, madame la ministre, dans l'Europe élargie, chacun de ces nouveaux États est un laboratoire dont il faut analyser l'expérience et le cheminement avec le plus grand soin. S'ils viennent de plus loin, ces États sont, en effet, sur le plan de la culture, de la formation politique, de la pratique démocratique, exactement à notre image et nous pouvons progresser beaucoup en les rencontrant plus souvent.
Permettez-moi de vous livrer quelques réflexions sur la gouvernance dans cet espace européen multidimensionnel.
Nous le savons bien, il y a non pas un seul espace européen, mais de nombreux espaces imbriqués les uns dans les autres, répondant à des logiques différentes et pilotés par des institutions distinctes.
On peut parler de l'espace monétaire, la zone euro. On peut parler de l'espace budgétaire de Maastricht, celui où s'exerce le contrôle, la vigilance multilatérale de la Commission, l'espace des taux de change, qui n'est pas seulement la zone euro. Plusieurs pays sont arrimés à celle-ci par des accords monétaires issus du serpent européen d'autrefois.
Si l'on en vient aux questions politiques en quittant l'économie, la finance, la monnaie, sur le plan institutionnel, politique et normatif, il y a l'Union à vingt-sept, il y a l'environnement proche de l'Union européenne, avec les accords d'associations en particulier, il y a la sphère de pré-adhésion, avec les États balkaniques et cette fameuse Turquie, qui, pour moi, n'est qu'un pays très peu européen et beaucoup plus moyen-oriental et asiatique.
Enfin, si l'on évoque les questions relatives à la sécurité, l'espace de la libre circulation des biens n'est pas l'espace de la libre circulation des personnes. Ce sont des espaces régis par des conventions différentes englobant des pays différents.
Inévitablement, trois problèmes se posent toujours : pilotage et processus de décision, organisation de la politique économique, détermination des frontières de l'Europe. Il faudra, bien entendu, au fil du temps, aborder ces problèmes, en faisant des progrès qui pourront être soit des petits pas, soit des sauts plus significatifs, à un rythme que personne, aujourd'hui, ne peut réellement prédire.
Je terminerai par le processus législatif, c'est-à-dire le processus d'élaboration des directives et des normes communautaires, qui nous concerne de plus près.
Tout réel progrès en matière de taux, d'assiette et de fiscalité bute aujourd'hui sur la règle de l'unanimité. Les services de la Commission, s'ils conservent, à mon avis, une grande technicité et de grandes compétences dans ce domaine, ne peuvent absolument plus faire substantiellement avancer la réflexion et peuvent encore moins développer l'action ; cela est profondément antinomique de la notion d'un vrai marché intérieur unique.
Le foisonnement législatif n'en continue pas moins de se produire sous l'effet, en particulier, des influences qui s'exercent sur le Parlement européen.
Dans le domaine des services financiers, par exemple, la technicité des sujets, avec le recours au processus « Lamfalussy », l'essor des directives à options ou « à la carte », où chaque État national aménage en réalité sa propre législation spécifique, créent des espaces de plus en plus foisonnants et complexes qui répondent de moins au moins, aux objectifs de simplification et d'harmonisation. La réforme institutionnelle est donc un enjeu fondamental.