Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le vote du montant du prélèvement effectué sur les recettes de l'État au titre de la participation au budget des Communautés européennes constitue, chaque année, une curiosité de notre débat budgétaire.
Après l'Assemblée nationale, le Sénat n'a, en l'occurrence, que le pouvoir de prendre acte de ce montant, fixé pour 2007 à 18, 696 milliards d'euros. La représentation nationale ne peut, en effet, qu'assumer les obligations financières découlant des traités signés par la France au niveau européen. En tout état de cause, une attitude de refus du Parlement n'exonérerait en rien la France de ses obligations et ne ferait qu'ajouter à la confusion qui caractérise trop souvent les débats européens.
De plus, le montant soumis à notre vote est lui-même susceptible de variations puisque la procédure budgétaire européenne n'est pas achevée et que le Parlement européen ne procédera à la seconde lecture de son budget que du 11 au 14 décembre. Il semblerait, madame la ministre, qu'un accord soit intervenu hier lors du « trilogue », c'est-à-dire en fait un dialogue à trois, mais nous n'en connaissons pas le contenu à l'heure où nous débattons.
En résumé, quelle que soit l'opinion du Sénat sur la hauteur ou le contenu du budget de l'Union européenne, quelle que soit sa décision sur le montant du prélèvement à opérer sur les recettes de l'État, la France devra acquitter une contribution dont la valeur définitive dépendra, en réalité, de l'exécution du budget européen. Cette situation démontre clairement les limites réelles de notre pouvoir de décision sur ce sujet et le caractère virtuel de notre débat.
La nécessité de doter l'Union européenne d'un véritable système de ressources propres, liées au dynamisme économique, s'impose si nous voulons affirmer une ambition européenne, tout en plaçant le Parlement européen face à ses responsabilités, et sortir des querelles nationales de financement qui bloquent toute évolution significative. Tant qu'il perdurera, le système des contributions nationales, aujourd'hui à bout de souffle, assurera de beaux jours à la théorie des « justes retours », où chaque État membre est essentiellement préoccupé par la préservation de ses intérêts nationaux, mesurés à la modicité du coût subi et à l'ampleur des avantages accordés.
L'Union européenne doit disposer de ressources solides et durables au service d'une politique approuvée par les citoyens ; celles-ci ne peuvent plus être obtenues par des mécanismes de correction ou de régulation des soldes nets comptables.
Le budget de 2007 sera le premier budget des nouvelles perspectives financières ; il sera aussi le premier budget de l'Europe des Vingt-Sept, à la suite de l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, le 1er janvier 2007. En dépit de ces particularités, il se caractérise par son manque d'ambition, illustrant l'incapacité de l'Union européenne à promouvoir des projets nouveaux, résultant d'une volonté commune.
Cette situation n'est pas surprenante, elle n'est que la conséquence directe du laborieux compromis élaboré, lors de la présidence britannique, en décembre 2005. Chaque État membre a privilégié la défense de ses intérêts nationaux, au sens le plus étroit, au détriment de l'intérêt général des Européens.
Dans son rapport spécial, notre collègue Denis Badré effectue une analyse détaillée du budget de l'Union. Elle contient toutes les précisions chiffrées nécessaires et fait apparaître clairement que l'effort net de la France reste modeste par rapport à ceux de l'Allemagne, de la Suède et surtout des Pays-Bas. Il varie, selon les méthodes d'évaluation, entre 0, 17 % et 0, 20 % du revenu national brut. Entre 2007 et 2013, le coût net de l'Union ne dépassera pas 109 euros par an et par Français.
Établies sur la base d'un montant de dépenses fixé à 1, 045 % du RNB de l'Union européenne, les perspectives financières tracées pour la période 2007-2013 permettront donc difficilement de faire face aux enjeux d'une Europe qui a besoin de politiques communes dans de nombreux domaines : l'énergie, l'industrie, le développement durable, la recherche, les infrastructures ferroviaires et fluviales. Elles permettront tout au plus d'aménager les équilibres existants, de modifier à la marge la structure des dépenses, alors qu'il faudrait réformer en profondeur une architecture budgétaire frappée d'inertie.
C'est pour cette raison que le budget européen pour 2007 semble, comme le disait à l'Assemblée nationale mon ami Jérôme Lambert, n'être que la copie du précédent, lui-même copie du précédent, etc. Tout semble figé par l'incapacité de l'Union à décider et à mettre en oeuvre des projets concrets, lisibles. De plus en plus, j'ai la conviction que notre contribution au budget de l'Union vient à l'appui d'un projet politique européen illisible et contradictoire pour nos concitoyens.
L'échec de la révision de la directive sur l'aménagement du temps de travail est un exemple précis et emblématique d'une Europe en mal de dynamique et de volonté.
Le problème posé était simple : est-il possible de supprimer, dans la directive sur l'aménagement du temps de travail, la clause d'exception autorisant les États membres qui le souhaitent à dépasser la durée maximale hebdomadaire de travail, fixée à 48 heures, à la seule condition que le travailleur concerné donne personnellement son accord ?
Les Britanniques, rejoints et soutenus par plusieurs nouveaux États membres de l'Union, ont refusé la suppression de cette clause d'exception, allant même jusqu'à rejeter l'idée d'une période transitoire à l'issue de laquelle cette suppression interviendrait.
Le Conseil extraordinaire des ministres de l'emploi et du travail, réuni le 7 novembre, s'est donc soldé par un nouvel et retentissant échec dans le domaine de l'Europe sociale. La modeste avancée qui aurait rendu le droit communautaire applicable dans tous les États membres de l'Union ne se concrétisera pas. La présidence finlandaise a déploré cette situation, et la prochaine présidence allemande a déjà fait savoir que le sujet ne serait pas abordé au cours du premier semestre de 2007.
Une nouvelle fois, le triste constat de l'incapacité de l'Union européenne à suivre la voie du progrès social s'est imposé.
Si l'Union européenne peut revendiquer d'incontestables succès, s'agissant de la création d'un espace de paix, du développement des libertés et de la démocratie politique, son bilan en matière économique et sociale est beaucoup plus contrasté. La faiblesse de la croissance, l'importance du chômage, la montée de la précarité engendrent les difficultés importantes rencontrées par les citoyens européens dans leur vie quotidienne. La perte de confiance dans l'Union est nourrie par la paralysie du Conseil européen sur toutes les questions clés pour l'avenir de l'Europe.
En mars prochain, nous allons célébrer le cinquantième anniversaire du Traité de Rome, qui, après l'échec de la Communauté européenne de défense, créait la Communauté économique européenne et engageait la réalisation du Marché commun. Rappelons-nous que, à la même époque, le Royaume-Uni refusait de participer à la démarche des Six et préférait, avec sept autres pays européens, constituer l'Association européenne de libre-échange, avec pour ambition la création d'une vaste zone de libre-échange. Aujourd'hui, l'AELE n'existe plus, et les pays qui la composaient ont, à l'exception de la Norvège, rejoint par vagues successives ce qui est devenu l'Union européenne.
La démarche entamée à Rome a donc prévalu, parce qu'elle a mobilisé la volonté politique d'États qui associaient, pour partie, leurs destins.
Toutefois, ce succès ne débouche-t-il pas aujourd'hui, de manière paradoxale, sur un certain échec ? Ne sommes-nous pas parvenus à un stade où le risque est grand, pour l'Union, de se limiter à être un simple espace économique où le marché impose sa loi sans qu'existent les contre-pouvoirs politiques suffisants pour protéger les citoyens européens ? N'est-ce pas, en définitive, la vision britannique de la création d'une simple zone de libre-échange qui a prévalu ?
Si nous voulons que l'Europe redevienne un espace de croissance, vécu par ses habitants comme une chance, il importe de relancer la dynamique européenne et de donner à ses citoyens des raisons d'espérer, en rompant avec le cours trop libéral imprimé à la construction européenne.