Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme chaque année, nous débattons aujourd'hui - et je suis heureux que nous ayons cette possibilité de nous exprimer sur ce sujet - de la participation de la France au budget des Communautés européennes.
Je ne reviendrai pas sur l'économie générale de l'article 32 du projet de loi de finances pour 2007, d'autres avant moi, en particulier notre excellent rapporteur, M. Denis Badré, l'ayant exposée dans le détail.
Le prélèvement opéré, au travers de cet article, s'élève à 18, 7 milliards d'euros, soit une augmentation de 5, 1 % par rapport à la prévision d'exécution pour 2006, dans le contexte des perspectives financières tracées pour la période 2007-2013 et de l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie.
Le centre de gravité du budget communautaire se déplace pour la première fois, puisque la politique de cohésion est désormais le premier poste de dépenses de l'Union européenne, avec 36, 2 % des crédits d'engagement, devant les dépenses agricoles de marché, qui représentent 34, 2 % de ces derniers.
Le mode de financement de l'Union repose sur des contributions des États membres, dont la ressource assise sur le revenu national brut communautaire constitue toujours une part très majoritaire.
Je souhaiterais, dès lors, aborder plusieurs questions d'ordre général, et surtout relever plusieurs paradoxes.
S'agissant tout d'abord des recettes du budget européen, il est paradoxal, comme l'a souligné Denis Badré, de parler de budget autonome et indépendant des États membres, eu égard à la renationalisation progressive des ressources et à la prépondérance des crédits issus des RNB nationaux.
Par conséquent, comme nous le disons depuis déjà plusieurs années, nous devons dès aujourd'hui réfléchir à une réforme ambitieuse du mode de financement de l'Union européenne, en particulier grâce à la mise en place d'un véritable impôt européen, ce qui irait dans le sens d'une plus grande démocratie et d'une plus grande transparence.
Pour la première fois, nous permettrions à nos collègues parlementaires européens de sortir du statut curieux qui est le leur : ils sont en effet les seuls parlementaires, dans les démocraties existantes, à ne voter que des dépenses, sans voter les recettes et donc sans assumer la levée des impôts devant leurs électeurs.
Peut-être pourrions-nous aussi leur demander d'être plus audacieux et de se transformer en assemblée constituante sur ce sujet. Ce serait là une initiative assez hardie, mais si l'évolution de l'Europe peut se faire à petits pas, elle a aussi besoin d'actes forts qui secouent un peu les torpeurs retardatrices. C'est devant les électeurs qu'ils prendraient eux-mêmes la responsabilité de demander, comme ils l'ont fait cette année avec la Commission européenne, une forte augmentation des dépenses communautaires.
Peut-être cette responsabilité nouvelle leur éviterait-elle aussi de tomber dans un autre paradoxe, que je relève dans les nouvelles perspectives financières ouvertes à l'Union européenne.
Je voudrais évoquer, à cet instant, le cas de l'Agence européenne des droits fondamentaux. Trente millions d'euros sont affectés au financement de cette agence, alors que la Cour européenne des droits de l'homme intervient déjà quand le respect des droits de l'homme est mis en cause dans les États membres. Les recours sont nombreux, ce qui explique que sa situation financière soit critique, même si l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a fait énormément d'économies. Pourtant, on a décidé de consacrer 30 millions d'euros à la création d'une nouvelle agence européenne ayant une mission similaire...
Nous savons tous, madame la ministre, qu'une somme proche de 1 million d'euros est nécessaire pour débloquer la situation et entraîner la décision du prochain Comité des ministres. La France, pays hôte du Conseil de l'Europe, peut-elle être, au côté du Royaume-Uni, de la Pologne et de la Suisse, responsable du blocage de cette évolution ? Au regard de son histoire, notre pays ne serait pas crédible dans un tel rôle.
Renonçons donc, madame la ministre, à la création de l'Agence européenne des droits fondamentaux, le Conseil de l'Europe remplissant depuis longtemps, avec sérieux et impartialité, les missions que lui ont confiées ses pères fondateurs, Winston Churchill, Edouard Herriot ou Konrad Adenauer. Les citoyens européens s'y retrouveront !
J'en reviens maintenant à des remarques plus générales sur le budget des Communautés européennes.
Responsabiliser les députés européens n'est pas suffisant pour donner plus de force à la politique budgétaire européenne. Il faut aussi réfléchir à une autre façon de la développer, de manière plus ambitieuse, en sortant, sans coût supplémentaire, du périmètre du budget européen actuel.
M. le rapporteur spécial a fait allusion aux nouveaux mécanismes de financement extrabudgétaires, tels la « facilité financière de partage du risque » ou « le fonds d'ajustement à la mondialisation », critiqué à juste titre par M. le président de la commission des finances. Cependant, nous devons aller plus loin dans la réflexion.
Il est notamment nécessaire que s'instaure une plus grande concertation entre les États membres, plus particulièrement entre les ministres ayant les mêmes attributions. Quand aurons-nous, dans le cadre de la préparation du budget annuel, des réunions communes des ministres responsables d'un même département, accompagnés de représentants de leurs services budgétaires ? Quand aurons-nous, sur le plan budgétaire, des « réunions de Bercy » européennes, qui permettraient d'aller beaucoup plus loin que le pacte de stabilité ?
Cela alourdirait peut-être la procédure mais aurait le mérite et la vertu de coordonner un certain nombre de politiques à l'échelle européenne, d'éviter les redondances et de dégager de nouvelles marges de manoeuvre, grâce aux synergies mises en place dans ce contexte. Cela nous permettrait peut-être aussi, en amont, d'envisager les problèmes et de sortir de la « politique des guichets ».
Prenons l'exemple de la défense, qui, compte tenu des montants considérables qui sont en jeu, exige une mutualisation des matériels, des missions et des hommes. La création de l'Agence européenne de défense, chaque État contribuant à son budget, à hauteur de seulement 4, 5 millions d'euros en ce qui concerne la France, répond à ce besoin et est un bon exemple d'initiative budgétaire européenne hors budget européen. Elle constitue les prémices d'une politique de défense européenne industrielle plus intégrée.
Un certain nombre de politiques nationales, dont le champ d'action est aujourd'hui circonscrit aux frontières de l'État concerné, pourraient ainsi atteindre la taille critique nécessaire à une plus grande cohérence et, surtout, à une influence bien plus large devant la mondialisation. En particulier, les politiques liées à la stratégie de Lisbonne gagneraient en efficacité, comme l'a dit M. Badré, si elles étaient menées en commun.
Par ailleurs, pourquoi ce travail d'harmonisation budgétaire ne serait-il pas aussi accompli par les parlements nationaux et en leur sein ?
Pour étoffer l'action budgétaire de l'Europe, nous aurions ainsi, d'un côté, le budget communautaire, pour lequel on doit sortir de la logique de représentation des intérêts nationaux, et, de l'autre, une multitude d'initiatives des États membres, qui permettraient à ceux-ci de ne pas se sentir écartés de la construction européenne par une « nomenklatura » européenne efficace, mais aux décisions mal comprises, semblant quelquefois éloignées des préoccupations des opinions publiques.
Ce serait un moyen de faire évoluer la construction européenne, en nous rendant moins prisonniers des limites des institutions actuelles. Cela nous permettrait de retrouver le pragmatisme que les pères fondateurs de l'Europe, comme Robert Schuman, ont toujours souhaité.
L'Europe doit d'abord être une volonté commune. Cette volonté, elle doit la retrouver, et c'est en partie par l'extension de l'harmonisation des budgets nationaux qu'elle y parviendra.