Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi organique relatif à la limite d’âge des magistrats de l’ordre judiciaire inscrit dans le statut de la magistrature les éléments de la réforme des retraites qui relèvent de la loi organique, en application de l’article 64 de la Constitution.
En effet, la limite d’âge jusqu’à laquelle les magistrats peuvent exercer leur activité figure parmi leurs garanties statutaires, afin d’éviter qu’il puisse être mis fin à leur activité de façon arbitraire. Elle n’est toutefois pas spécifique aux magistrats, qui sont, en la matière, soumis aux mêmes règles que les autres fonctionnaires de l’État.
D’autres dispositions organiques définissent les conditions particulières dans lesquelles les magistrats peuvent être maintenus en activité au-delà de la limite d’âge.
Je ne m’étendrai pas sur le projet de loi portant réforme des retraites qui vient d’être adopté, et n’en citerai que les deux points ayant un impact direct sur la carrière des magistrats.
Il s’agit, d’une part, du report de l’âge d’ouverture du droit à pension de 60 à 62 ans et, d’autre part, du relèvement de 65 à 67 ans de l’âge auquel la pension de retraite est attribuée à taux plein.
Cette réforme s’appliquera au régime général d’assurance vieillesse et aux régimes de la fonction publique, conformément au principe de convergence. Elle doit donc concerner également les magistrats.
Pour ce qui concerne le report progressif à 62 ans de l’âge d’ouverture des droits à pension, les dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite sont applicables aux magistrats de l’ordre judiciaire.
L’article 9 du projet de loi portant réforme des retraites reportant l’âge d’ouverture des droits à pension à 62 ans pour les fonctionnaires dits « sédentaires », dont les magistrats font partie, cette modification s’appliquera aux magistrats nés à compter du 1er janvier 1956, sans qu’il soit besoin d’adopter de disposition particulière.
Le projet de loi susvisé renvoie, par ailleurs, à un décret la fixation, de façon croissante à raison de quatre mois par génération, de l’âge d’admission à la retraite pour les assurés nés avant le 1er janvier 1956. Cette disposition s’appliquera aux magistrats comme aux autres personnels.
Par conséquent, le relèvement de l’âge d’ouverture des droits ne concernera que les magistrats atteignant l’âge d’ouverture du droit à pension à compter du mois de juillet 2011, c’est-à-dire ceux qui sont nés après le 1er juillet 1951, de façon progressive, comme le prévoit le principe de garantie générationnelle retenu par la réforme des retraites de 2003.
Conformément au principe de convergence entre les règles applicables au régime de retraite des fonctionnaires et celles du secteur privé, les magistrats qui choisiraient de liquider leur retraite avant d’avoir atteint la durée de cotisation requise pour l’obtention d’une pension à taux plein subiront une décote.
Quant au report de la limite d’âge à 67 ans, il est prévu à l’article 1er du présent projet de loi organique, dont c’est la mesure principale. Au-delà de cet âge, un magistrat ne pourra poursuivre son activité, sauf s’il est maintenu en activité à sa demande ou s’il bénéficie de dispositifs de recul de la limite d’âge.
L’article 2 du projet de loi organique prévoit que, en vertu du principe de garantie générationnelle, le report de la limite d’âge entrera également en vigueur progressivement.
Ainsi, pour les magistrats nés avant le 1er juillet 1951, la limite d’âge demeurera fixée à 65 ans, et la limite d’âge de 67 ans s’appliquera aux magistrats nés à compter du 1er janvier 1956.
Par ailleurs, les aménagements apportés en première lecture par le Sénat à l’article 6 du projet de loi portant réforme des retraites s’appliqueront également aux magistrats.
La limite d’âge restera donc fixée à 65 ans pour les magistrats nés entre le 1er juillet 1951 et le 31 décembre 1955 inclus, lorsqu’ils remplissent les conditions requises, notamment s’ils ont élevé au moins trois enfants.
Le projet de loi organique s’inscrit dans une logique d’égalité de traitement, vous pouvez le constater, mes chers collègues.
Je voudrais maintenant évoquer plus longuement l’impact de cette réforme sur la carrière des magistrats et sur la gestion des ressources humaines dans la magistrature, dont la commission des lois a longuement débattu.
Tout d’abord, la réforme entraînera un allongement de la carrière des magistrats qui devra être nécessairement pris en compte dans l’organisation du corps.
Le report de l’âge d’ouverture des droits à pension à 62 ans ne devrait pas avoir de répercussions très fortes sur l’âge de départ à la retraite des magistrats, puisque l’année dernière, ils prenaient en moyenne leur retraite à 63, 3 ans.
En réalité, ce départ quelque peu décalé à la retraite n’a rien de surprenant : il résulte de l’âge relativement élevé auquel les magistrats ont commencé leur carrière en raison du nombre d’années d’études que requiert le niveau exigé pour se présenter au premier concours de l’École nationale de la magistrature.
Quant aux magistrats recrutés par d’autres voies, qu’il s’agisse des deuxième et troisième concours ou de recrutements sur titres, leur carrière dans ce corps est nécessairement plus courte puisqu’ils ont déjà eu une carrière précédente, ce qui les conduit à prolonger leur activité.
Il faut reconnaître aussi que les magistrats utilisent peu les dispositifs leur permettant de partir à la retraite de façon anticipée.
L’application progressive du mécanisme de décote aux magistrats, comme à l’ensemble des fonctionnaires, conformément aux dispositions de la loi du 21 août 2003, devrait amplifier ce phénomène, en conduisant un nombre croissant de magistrats à prolonger leur carrière au-delà de 62 ans.
En revanche, le recul de la limite d’âge risque d’avoir d’importantes conséquences sur le déroulement de la carrière.
Les syndicats de magistrats que j’ai rencontrés ont souligné les conséquences qu’aurait le recul de la limite d’âge à 67 ans pour les personnes qui n’ont pas effectué une carrière complète au sein de la magistrature ou qui ont connu des interruptions de carrière. Tel sera le cas en particulier pour les femmes et pour les polypensionnés, c’est-à-dire pour les magistrats issus du troisième concours ou des voies de recrutement parallèles.
En outre, le projet de loi portant réforme des retraites prévoit l’extinction du dispositif permettant aux magistrats, comme aux autres fonctionnaires, de liquider leur retraite après quinze années de service s’ils ont élevé au moins trois enfants. Les magistrats qui ne remplissent pas ces conditions au 1er janvier 2012 ne pourront donc plus en bénéficier.
Cette extinction pourrait donc précipiter d’ici là le départ d’un nombre relativement important de magistrats, notamment de femmes, ayant interrompu ou réduit leur activité pour élever leurs enfants. Un tel phénomène devrait donc être compensé par des recrutements, afin d’éviter une diminution des effectifs et de nouvelles difficultés de fonctionnement dans les juridictions.
Or, ces dernières années, force est de constater que le nombre de places offertes aux concours de l’École nationale de la magistrature est en diminution.
Nous serons par conséquent vigilants, en particulier lors de l’examen du projet de budget de la mission « Justice », sur les perspectives de recrutement de nouveaux magistrats.
Le report de 65 à 67 ans de l’âge limite aura également des conséquences sur l’attractivité du maintien en activité.
L’article 3 du projet de loi organique aligne, en effet, les conditions de maintien en activité des magistrats des premier et second grades, qui peuvent actuellement demander à être maintenus en activité pour une durée de trois ans, sur celles des magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation, qui ne peuvent prolonger leur activité au-delà de 68 ans.
Selon l’étude d’impact jointe au projet de loi organique, cette harmonisation vise à « éviter que les magistrats ne poursuivent leur activité au-delà d’un âge raisonnable ».
Par conséquent, la limite d’âge étant reportée de 65 à 67 ans, le maintien en activité des magistrats, quel que soit leur grade, ne pourra excéder un an, alors qu’il est généralement de trois ans aujourd'hui.
Dès lors, on peut penser que ce dispositif deviendra peu attractif, notamment parce que le maintien en activité ne peut avoir lieu dans la même fonction. Il suppose au minimum un changement d’affectation au sein de la juridiction, voire une mobilité géographique. Un tel changement de fonction, s’il pouvait sembler acceptable pour une durée de trois ans, risque de devenir dissuasif avec un maintien en activité limité à une année.
Toutefois, il convient de rappeler que le dispositif de maintien en activité ne concerne qu’un effectif réduit, puisque 71 magistrats sont actuellement dans cette situation, le nombre total de magistrats atteignant un peu plus de 8 000.
En outre, l’alignement prévu par le projet de loi organique permettra aux magistrats des cours et tribunaux de bénéficier jusqu’à 67 ans de gains indiciaires liés à l’ancienneté et au déroulement de leur carrière, ce que le maintien en activité en surnombre au-delà de 65 ans n’autorisait pas jusqu’à présent.
L’Assemblée nationale a par ailleurs adopté en première lecture trois amendements visant à prévoir que les magistrats désirant être maintenus en activité doivent le faire dans des fonctions correspondant à celles qu’ils exercent lorsqu’ils atteignent la limite d’âge, c’est-à-dire au siège s’ils sont magistrats du siège à ce moment-là, ou au parquet s’ils y exercent leurs fonctions.
Ces modifications nous paraissent raisonnables et nécessaires et devraient permettre aux magistrats maintenus en activité d’être rapidement opérationnels, sans attendre un an.
Enfin, je souhaite évoquer les conséquences de la réforme sur la gestion du corps des magistrats.
Les syndicats de magistrats que j’ai reçus ont insisté sur le risque de blocage de l’évolution des carrières que pourrait provoquer la réforme, puisque le nombre de magistrats présents dans chaque grade est lié à l’effectif du corps.
Le maintien hors hiérarchie des magistrats concernés par le recul de la limite d’âge pourrait fermer ou ralentir l’accès à ce niveau pour un certain nombre de magistrats du premier grade et l’on peut donc redouter une accentuation des blocages de carrière qui sont déjà observés depuis quelques années.
Ces difficultés doivent être prises en compte dans le cadre de la refonte du statut de la magistrature actuellement en préparation.
Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite que vous puissiez nous donner des indications à cet égard.
Par ailleurs, le report de la limite d’âge entraînera nécessairement le maintien en fonction de personnes en fin de carrière qui exercent des responsabilités d’encadrement. Cela pourrait donc aboutir à un ralentissement du travail des juridictions s’il se crée un déséquilibre dans la répartition des magistrats entre chaque grade au profit du plus élevé ; le contentieux de masse est majoritairement confié aux magistrats du second grade, qui risquent d’être bloqués par le maintien hors hiérarchie d’un nombre croissant de leurs collègues.
Il est donc nécessaire que les magistrats du second grade continuent à être recrutés en nombre suffisant, ce qui ne semble pas être le cas à la lecture du projet de loi de finances pour 2011 que nous examinerons dans quelques semaines.
En conclusion, le projet de loi organique constitue tout simplement – M. le secrétaire d’État l’a dit – la transposition à la magistrature de la réforme des retraites qui sera applicable au secteur privé comme à l’ensemble de la fonction publique.
À ce titre, il n’appelle pas d’observation particulière par rapport à celles qui ont pu être faites pendant trois semaines sur le projet de loi portant réforme des retraites, adopté tout à l’heure par notre assemblée.
Cependant, cette réforme, vous l’avez compris, mes chers collègues, risque de se révéler moins anodine qu’il n’y paraît eu égard à la gestion du corps.
En effet, la fragilité des améliorations obtenues au cours des dernières années dans l’évolution des effectifs de magistrats et les tensions qui existent déjà dans le déroulement des carrières – je le soulignais tout à l’heure –, doivent conduire le Gouvernement à envisager rapidement des mesures de réforme complémentaires permettant d’assurer la transition.
Depuis plusieurs années, le ministère de la justice s’est engagé dans une nouvelle approche des ressources humaines. Il dispose enfin depuis quelques années d’une direction des ressources humaines !
Le report de la limite d’âge et la modification des règles d’ouverture du droit à pension auront des effets qui doivent donc être pris en compte dans ce cadre, sous peine de perdre – ce serait vraiment dommage – le bénéfice des efforts conduits ces dernières années pour améliorer le fonctionnement de la justice.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois vous propose, mes chers collègues, d’adopter conforme le projet de loi organique.